Une crise sans précédent secoue l'Université d'Ottawa. À quelques jours de la Journée internationale de la femme, l'institution suspend son programme de hockey masculin en raison d'une enquête criminelle sur une présumée agression sexuelle impliquant plusieurs joueurs et une jeune femme. Détail troublant: l'équipe aurait tenté de camoufler l'affaire aux autorités.

L'université a été avare de détails, lundi. Mais à l'interne, la direction craint de graves répercussions, selon des sources universitaires bien informées. Le recteur a convoqué une réunion d'urgence du bureau des gouverneurs, où il a souligné le péril qui menace l'établissement. «La réputation de l'université est en jeu», aurait-il lancé d'un air grave alors que les participants l'écoutaient, complètement sonnés.

L'incident serait survenu il y a plusieurs semaines, lors d'un périple de deux matchs à Thunder Bay de l'équipe des Gee-Gees, selon les informations qui ont filtré lundi. Une jeune fille qui connaissait un membre de l'équipe aurait prétendument été agressée sexuellement par plusieurs joueurs. Elle n'aurait pas porté plainte dans l'immédiat.

Selon les informations transmises à la direction, l'équipe aurait pris acte des débordements, mais aurait tenté de gérer le tout «entre hommes», à l'interne, sans avertir ni la police ni les instances universitaires. Il aurait été question que des joueurs se livrent à des travaux communautaires et assistent à des séances de sensibilisation sur l'abus de substances pour racheter leurs fautes.

Les Gee-Gees ont finalement été éliminés le 21 février dernier en deuxième ronde des séries éliminatoires par l'Université Queen's. Selon le communiqué de l'Université d'Ottawa, ce n'est que trois jours plus tard que la direction a été informée «d'allégations d'inconduite grave» par «une tierce partie».

Selon nos sources, c'est une amie de la présumée victime qui aurait dénoncé l'affaire. Le mardi 25 février, au lendemain de la dénonciation, l'université dit avoir informé la police. La police de Thunder Bay a confirmé que son unité des agressions sexuelles mène l'enquête depuis.

«L'incident a eu lieu il y a plusieurs semaines. L'Université est profondément préoccupée de constater que la haute direction a seulement été mise au courant de ces allégations le 24 février et, qui plus est, par une tierce partie», a précisé l'établissement.

Activités suspendues

La porte-parole de l'université, Caroline Milliard, a confirmé à La Presse que toutes les activités liées au programme de hockey sont suspendues, incluant les activités des entraîneurs comme le recrutement pour l'an prochain.

L'entraîneur-chef Réal Paiement, un vétéran du hockey universitaire qui a déjà été nommé entraîneur de l'année dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec, est suspendu avec salaire. Il n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.

L'université mène sa propre enquête interne, parallèlement à la police, pour faire la lumière sur la situation. «Tous les membres du programme de hockey ont été rencontrés», a souligné le porte-parole Patrick Charrette. Selon ce qu'a appris La Presse, un «expert-conseil» a même été embauché pour aider l'institution à traverser la crise.

La direction marche sur des oeufs, car elle veut respecter la présomption d'innocence de ses joueurs. Entre sept et neuf hockeyeurs seraient ciblés par l'enquête selon nos informations, mais personne n'est accusé de quoi que ce soit pour l'instant.

«C'est inquiétant. Ce sont des jeunes de bonne famille, des futurs leaders de la société!», a déploré une source universitaire qui connaît certains joueurs, mais qui souhaite garder l'anonymat.

«Rien de spécial»

L'équipe de hockey masculin des Gee-Gees compte une douzaine de joueurs originaires du Québec sur environs 25 membres. «Ils ont eu une saison avec des hauts et des bas, mais il n'était rien arrivé de spécial avant cette histoire», raconte Léa Papineau-Robichaud, du journal étudiant La Rotonde.

«On a un solide groupe d'environ neuf ou dix attaquants qui reviennent l'an prochain [...] Le meilleur reste à venir», a commenté l'entraîneur-chef Paiement dans le dernier numéro du journal, au moment de faire le bilan de sa saison.

Une autre controverse de nature sexuelle avait éclaté il y a quelques jours à l'Université d'Ottawa. Des leaders étudiants ont démissionné après que des gens eurent fait circuler des extraits d'une conversation Facebook où ils tenaient des propos dégradants sur les actes sexuels qu'ils auraient voulu faire subir à la présidente de la fédération étudiante locale.

«Ça fait deux incidents cette semaine. Il va y avoir cette semaine une rencontre d'urgence avec la direction pour discuter des problèmes de harcèlement sexuel et de la culture du viol», a confirmé Nicole Desnoyers, vice-présidente de la Fédération étudiante de l'Université d'Ottawa.

«L'Université a des attentes élevées envers tous ses étudiants et employés. L'inconduite présumée ne correspond aucunement aux valeurs qui sous-tendent la pratique des sports et la vie étudiante à l'Université», a souligné l'établissement dans son communiqué.

- Avec la collaboration de Louis-Denis Ebacher

Les hockeyeurs en colère contre l'université

Les membres de l'équipe de hockey masculine des Gee-Gees ont vivement critiqué, hier, la suspension de leur programme sportif dans un communiqué où ils ne s'expriment pas sur le fond de l'affaire.

Ils ne digèrent pas le fait que l'Université d'Ottawa se soit «uniquement» fiée à une «tierce partie» pour prendre des mesures sérieuses et immédiates contre l'équipe. «Les joueurs ne sont pas en accord avec la manière dont la situation a été traitée», ont-ils écrit dans un bref communiqué destiné aux médias. «Aux dernières nouvelles, nous vivons toujours dans un pays où nous appliquons le principe de présomption d'innocence.» Dans le même esprit, les hockeyeurs ont souligné «qu'il n'y a présentement aucune accusation criminelle portée contre des membres de l'organisation».

Le communiqué fait valoir que la sortie de l'Université d'Ottawa était «injuste» à leur égard. Ils reconnaissent toutefois être «conscients» des graves allégations qui pèsent contre eux, et promettent de collaborer avec la police.

Il n'a pas été possible de savoir si le communiqué de presse émanait de l'ensemble des joueurs des Gee-Gees ou s'il s'agit de l'initiative d'un groupe restreint d'individus. «Il n'y aura plus aucun commentaire émis par les joueurs faisant partie de l'équipe de hockey masculine des Gee-Gees de l'Université d'Ottawa à ce sujet», conclut simplement le texte. 

- Philippe Teisceira-Lessard