L'euphorie n'aura pas duré très longtemps pour la Sherbrookoise Kim Boutin.

Dès le moment où Boutin a hérité de la médaille de bronze à la suite de la disqualification de la Sud-Coréenne Choi Min-jeong en finale du 500 m sur courte piste, une véritable pluie d'insultes et de menaces s'est abattue sur la patineuse québécoise. Des milliers de partisans coréens ont pris d'assaut ses comptes sur les réseaux sociaux, au point où Boutin les a tous fermés au cours de la journée.

«Tu n'es pas une vraie athlète... Si je te trouve, tu vas mourir... Prends ta retraite et [je souhaite] que ta vie soit difficile», disaient certains messages, selon une traduction publiée par Radio-Canada. Les commentaires ont été éparpillés sur des photos publiées par l'athlète de 23 ans.

En fin de soirée mardi (heure de l'Est), le Comité international olympique (CIO) a condamné les propos menaçants à l'endroit des athlètes.

«Malheureusement ou heureusement, nous ne pourrons pas contrôler les médias sociaux et le public a le droit de s'exprimer», a fait valoir le porte-parole Mark Adams, questionné à propos de Kim Boutin au briefing quotidien du CIO.

«Je n'ai pas vu moi-même ces commentaires, mais malheureusement, ce genre de phénomène se produit et c'est quelque chose que nous n'approuvons absolument pas.»

M. Adams a rappelé que la sécurité des athlètes relevait des comités olympiques nationaux, en l'occurrence le Comité olympique canadien (COC) dans le cas de Boutin.

Quelques heures plus tôt, le COC avait publié un communiqué laconique indiquant que «la santé et la sécurité de tous les membres de notre équipe sont une priorité [et que] nous travaillons actuellement en étroite collaboration avec Patinage de vitesse Canada, notre personnel responsable de la sécurité et la Gendarmerie royale du Canada».

Le Comité a ajouté qu'aucun autre commentaire ne serait formulé à ce sujet «pour permettre à Kim de se concentrer sur ses épreuves à venir».

Consciente des risques

D'autres internautes sud-coréens ont tenté de répliquer aux insultes en offrant des mots d'encouragement à la jeune patineuse et en soulignant que l'arbitre était celui qui avait pris la décision. Mais les remarques haineuses les ont largement surpassés en nombre.

Selon Pierre Boutin, père de Kim, sa fille était consciente des risques que posent les réseaux sociaux bien avant les Jeux.

«Kim n'accède jamais à ça pendant les compétitions, c'est sa belle-soeur qui gère sa page Facebook, a-t-il confié au quotidien La Tribune. Kim a été la première à fermer ça avant les Coupes du monde ou même pendant les sélections. Est-ce que les fédérations devraient agir de ce côté? Je ne sais pas. Est-ce que c'est une tempête dans un verre d'eau ? Je préfère qu'on parle des performances positives de Kim.»

Pas une première

Cette histoire ressemble étrangement à celle qu'a vécue le patineur américain Apolo Anton Ohno aux Jeux de Salt Lake City en 2002. En finale du 1500 m, la disqualification du Sud-Coréen Kim Dong-sung avait conféré l'or à Ohno. Les insultes et les menaces ont aussitôt commencé à déferler: le patineur avait terminé les Jeux sous la protection de l'armée, et le Comité olympique américain avait remis au FBI quelque 16 000 courriels haineux, principalement en provenance de la Corée du Sud. Craignant pour sa sécurité, Ohno avait refusé de se rendre à une manche de la Coupe du monde disputée en Corée quelques mois plus tard.

Le multi-médaillé olympique Marc Gagnon se souvient très bien de cet événement - il avait remporté le bronze dans ce 1500 m controversé. Lui-même avait fait l'objet de menaces, mais dans une bien moindre mesure qu'Ohno.

«C'est drôle, c'est toujours avec des Coréens que ça arrive...», a-t-il ironisé mardi en entrevue.

Aujourd'hui entraîneur-chef du Centre régional canadien d'entraînement (CRCE) à Montréal, Gagnon explique que l'arbitre à PyeongChang a pris une décision difficile, mais juste, en disqualifiant Choi Min-jeong.

«Le règlement est clair, et en regardant la reprise, il n'y a pas de doute possible, a-t-il commenté. Marianne [St-Gelais, en quart de finale] a été disqualifiée pour un geste similaire. On voit la Coréenne tenter de passer entre la première et la deuxième place, il n'y a pas d'espace, elle nuit à Kim [Boutin], c'est une disqualification, point. C'était à la Coréenne de garder son corridor.»

La patineuse britannique Elise Christie avait elle aussi fait l'objet de menaces de mort après un accrochage avec une adversaire sud-coréenne aux Jeux de Sotchi en 2014.



Photo Martin Chamberland, La Presse

Marc Gagnon

Un choc

La nouvelle des menaces contre Kim Boutin a été un choc pour les jeunes patineuses qui la côtoient au CRCE.

Son amie proche et ex-colocataire Rosalie Tremblay est passée de l'incompréhension à la colère.

«Comment les gens peuvent-ils être aussi méchants? Ce n'est même pas de la faute de Kim, c'est l'arbitre qui a pris la décision! Je n'en revenais pas. J'étais tellement bouleversée en voyant son compte Instagram que je cherchais comment effacer moi-même ce que je lisais là pour ne pas qu'elle le voie...»

Selon Rosalie Tremblay, les réactions excessives sont courantes dans le monde du patinage de vitesse après des décisions arbitrales controversées. Sa coéquipière Véronique Gagnon, qui à la clé entraîne des patineurs plus jeunes, acquiesce, précisant que les invectives viennent le plus souvent de la famille ou de proches des athlètes.

Mais toutes deux n'avaient jamais assisté à une vague de haine de cette ampleur.

«En tant que femme, c'est épeurant, souligne Véronique Gagnon. Les gars le prennent avec plus de détachement, mais dès qu'on a vu ça, on s'est parlé, les filles de l'équipe. Kim n'a rien demandé, dans cette histoire-là. Elle mérite sa médaille.»

«Mine de rien, elle doit encore passer du temps là-bas, note pour sa part Juliette Brindamour. Est-ce que quelqu'un sera assez fou pour passer à l'acte et lui faire du mal? C'est très inquiétant.»

Préparation

Pour Marc-André Monette, ex-patineur aujourd'hui entraîneur adjoint au CRCE, ce triste dénouement n'est malheureusement pas une surprise. Et parfois, les coups les plus durs ne viennent pas du camp adverse.

Il donne en exemple le cas de François Hamelin aux Jeux de Sotchi en 2014. En demi-finale du relais, le patineur avait fait une chute et l'équipe canadienne n'avait pu accéder à la finale. Dans les heures qui ont suivi, Hamelin avait lui aussi eu droit à la médecine des réseaux sociaux. « Il y a goûté... », résume Marc-André Monette.

«En 2018, les athlètes arrivent mieux préparés qu'avant, dit-il. Ça fait partie de leur préparation mentale. En connaissant du succès, ils deviennent des personnalités publiques, alors forcément, des choses seront véhiculées à leur sujet. C'est dommage, mais ce n'est certainement pas la dernière fois que ça va arriver.»

À PyeongChang, Kim Boutin doit encore prendre part aux qualifications du 1500 m samedi, en plus du 1000 m lundi et de la finale du relais 3000 m mardi.

- Avec la collaboration de Sébastien Lajoie, La Tribune

Photo Martin Chamberland, La Presse

Rosalie Tremblay