C'était un projet fou à l'époque. Qui germait dans la tête de l'éditeur Ara Kermoyan depuis un bon moment.

Demander à un auteur qui ne connaissait rien au hockey d'écrire la biographie de l'un, sinon du hockeyeur le plus populaire de la province, Guy Lafleur.

Denise Bombardier a d'abord été approchée. Rien n'a abouti. Georges-Hébert Germain s'est emparé du projet et nous a livré en 1990 "l'Ombre et la lumière", à mes yeux la meilleure biographie sportive jamais écrite, un succès critique et populaire vendu à 94 000 exemplaires. Une bio qui se lisait comme un roman.

Il fallait être visionnaire et téméraire pour prendre un tel pari mais le mariage Germain-Lafleur a donné ce chef d'oeuvre, orchestré par Ara Kermoyan, éditeur chez Art global.

"Ara voulait trouver un écrivain qui ne connaissait pas le hockey pour avoir un regard plus naïf et plus vierge sur le sujet, confiait Georges-Hébert Germain tantôt au téléphone. J'avais trouvé ça difficile parce que je savais que les gars des sports m'attendaient avec une brique et un fanal. J'en suis très fier de ce livre. Lafleur s'est vendu au Canada anglais aussi. Ara avait convaincu Guy de faire de la promotion."

Moi aussi, j'ai eu le bonheur de travailler avec Ara Kermoyan il y a quelques années. Nous avions publié, de concert avec les Éditions La Presse, un livre de textes et d'images sur la carrière du champion de tennnis Robert Bédard. Nous sommes restés proches. Même si quatre décennies nous séparaient, Ara avait encore le coeur et l'esprit d'un jeunot. J'aimais sa passion et sa candeur.

Georges-Hébert Germain est du même avis. "C'était quelqu'un d'unique. Il a toujours été très fidèle à ses auteurs et ses partenaires. C'était un guerrier, il a eu ses différends, mais il était toujours ouvert et transparent. C'était un artiste. D'autres éditeurs le consultaient pour trouver le bon papier ou la bonne page couverture. Il avait une élégance. Une élégance de l'âme."

Ara rêvait depuis plusieurs années de publier un livre sur les masques des gardiens. La maladie l'a empêché de mener les opérations quotidiennes nécessaires à l'accouchement du récent bouquin écrit par le collègue Richard Labbé, mais sa femme Mireille a pris la relève avec brio. Richard y a mis tout son talent, sa passion et son coeur: le résultat est exceptionnel.

Je ne sais pas si Richard sait à quel point Ara tenait à cet ouvrage. Il ne s'agit pas que d'un livre. C'est le dernier chapitre d'un homme au parcours professionnel bien rempli, l'ultime défi. Même si la maladie ne lui laissait aucun répit, il semble avoir combattu jusqu'à la naissance de l'oeuvre, il a deux semaines, avant de s'éteindre doucement, il y a quelques jours. Avec la satisfaction du devoir accompli. Le monde de la littérature québécois perd un grand artisan.