Comme avant chaque course, Richard Weinberger n'a pas fermé l'oeil de la nuit. Le nageur de 22 ans n'était pas nerveux. Il avait juste hâte de nager ce 10 kilomètres en eau libre des Jeux olympiques de Londres. Une compétition est bien plus agréable que de regarder une ligne noire au fond de la piscine pendant 80 à 100 kilomètres chaque semaine.

Quand Weinberger s'est levé hier, c'était donc «comme le matin de Noël...»

Il était facile à repérer dans les eaux brunâtres du lac Serpentine, qui sépare le célèbre Hyde Park en deux. Il était le seul à nager sans casque de bain, qu'il a arraché dès le début parce qu'il trouvait l'eau trop chaude (21 ¿C).

Surtout, le nageur de Victoria était toujours à l'avant du peloton, bien souvent la tête hors de l'eau pour bien voir où il allait. Il peut le faire aux six tractions de bras, sans ralentir, une habileté qu'il a développée à l'entraînement. Quand est venu le temps d'amorcer le sprint final, à quelque 500 mètres du panneau d'arrivée, Weinberger savait donc exactement où tout le monde se situait. Le Tunisien Oussama Mellouli, quelques longueurs de corps devant, ne pouvait plus être rattrapé. Il fallait donc se méfier de l'Allemand Thomas Lurz et du Grec Spyridon Gianniotis, champion du monde et grand favori, qui collait aux pattes du Canadien depuis déjà quelques kilomètres.

Quand Lurz s'est déporté à sa droite, Weinberger a suivi immédiatement, créant un trou qui fut suffisant pour tenir Gianniotis en respect jusqu'au bout. Weinberger a gagné le bronze, devenant le premier médaillé canadien en eau libre, qui en est à sa deuxième présentation aux JO.

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Comme la plupart des nageurs de marathon, Weinberger est issu de la piscine. Bon nageur de 1500 mètres (record personnel de 15:37), il s'est mis à l'eau libre grâce à son coéquipier David Creel.

«Je voyais qu'il s'entraînait plus longtemps que moi et je détestais voir quelqu'un travailler plus fort que moi...»

Son entraîneur, Ronald Jacks, est un véritable gourou de la discipline. Triple olympien en piscine dans les années 60 et 70, il a mené Greg Streppel à un titre mondial au 25 km en 1994.

En Weinberger, Jacks a hérité d'un nageur talentueux, intelligent, travaillant... mais pas toujours commode. Surtout les mercredis matin, avant ces deux 5000 mètres chronométrés si douloureux. «C'est là que Ron et moi avions l'une de nos adorables conversations!» a dit à la blague Weinberger en regardant son entraîneur.

Si Weinberger a fini 17e aux Mondiaux de Shanghai, l'été dernier, c'est parce qu'il n'avait pas encore réussi à mettre la main sur une combinaison intégrale. Un mois plus tard, il a remporté l'épreuve-test disputée dans le Serpentine de Hyde Park. Par la suite, il est monté sur le podium à toutes les épreuves internationales auxquelles il a participé, dont une victoire au Lac-Saint-Jean deux semaines avant les Jeux olympiques.

Avant la course, Weinberger ne s'est pas entraîné une fois dans le Serpentine. Trop de risques de tomber malade avec toutes ces fientes de canard à la surface de l'eau, a expliqué Ron Jacks. «L'autre chose est qu'il a peur de nager seul... Il ne pourrait pas traverser ce lac seul.» Vraiment? «Vraiment.»

Comme le commun des mortels, le médaillé de bronze olympique a peur des eaux profondes.

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Mellouli, qui s'est détaché au début de la dernière des six boucles, a ainsi décroché son deuxième titre olympique après celui du 1500 m en piscine à Pékin. À Londres, il a gagné le bronze dans la même épreuve, tout juste devancé par le Canadien Ryan Cochrane.

Mellouli, qui s'est brièvement entraîné à Montréal il y a une dizaine d'années, espère que sa victoire saura inspirer ses compatriotes. «Les dernières années ont été difficiles, en particulier la dernière avec la révolution (en Tunisie), a souligné le nageur de 28 ans. J'espère que tout le monde aura pu voir cela à la télévision et en retirera de la joie et de la fierté. On en a certainement besoin.»

Son titre en eau libre a été nettement plus difficile à conquérir que ses médailles en piscine. «C'était l'enfer, il n'y a pas d'autre mot, a-t-il dit. Je garderai un souvenir très vif des 400 derniers mètres. Je levais la tête pour voir l'arrivée et mes épaules étaient si pesantes, mes jambes si raides, mes poumons brûlaient. Tout mon système était en état de choc. C'était un pur enfer. On dit que le marathon est douloureux. Ça, c'est encore pire.»

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En tout cas, Weinberger s'est amusé. Aux deux premiers passages, il s'est avancé pour franchir la ligne le premier... juste pour le plaisir de savoir que son nom serait le premier à apparaître sur l'écran.

«Avant une course, il a l'air d'un enfant qui va jouer à des jeux vidéo», raconte le Québécois Marc-André Leclerc, un ancien nageur d'eau libre qui aide à l'organisation de la Coupe du monde du lac Mégantic, présentée aujourd'hui.

Par la suite, Weinberger s'est assuré d'imposer un rythme rapide et constant, avec l'intention de saper les énergies des vétérans Lurz et Gianniotis, de redoutables finisseurs: «Je n'ai pas ce que j'appelle la force des «vieux» hommes.»

Son avenir s'annonce brillant. Avec les retraites probables de Mellouli, Lurz et Gianniotis, il sera l'homme à battre dans les prochaines années.

La médaille de Weinberger permet à l'équipe canadienne de natation, rassemblée au grand complet à Hyde Park, de conclure la quinzaine londonienne avec trois podiums, l'objectif annoncé. Le basané directeur général Pierre Lafontaine, qui a toujours pris un soin jaloux de l'eau libre, rayonnait littéralement.