Nos journalistes et nos chroniqueurs ont été aux premières loges des Jeux de Londres. Nous leur avons demandé de nous dire ce qu'ils retiendront le plus de ces deux semaines de compétition. Voici ce qu'ils nous ont répondu.

Gabriel Béland : la joie pure

Ça faisait déjà quelques jours que je traînais au Centre ExCel. Le bâtiment titanesque situé dans l'est de Londres me déprimait de plus en plus. De toutes les installations olympiques, c'est sans aucun doute la moins réussie; il a des airs de ce qu'il est: un centre des congrès souffrant d'embonpoint.

Ce qui s'y passait n'était pas beau non plus. Dans les premiers jours des Jeux, le rêve olympique de plusieurs judokas montréalais y est parti en fumée. Un combat, une défaite, parfois un sanglot, comme ce costaud de près de 30 ans qui pleure et soupire: «J'ai tant donné à mon sport!» L'atmosphère était lourde.

Puis, Antoine Valois-Fortier a foulé le tatami le 31 juillet au matin. Au moment de quitter Montréal, l'entraîneur national Nicolas Gill m'avait prévenu: «Antoine peut causer la surprise.» Alors quand le kid de 22 ans a battu le champion olympique en titre à son premier combat, je n'ai plus quitté mon siège. À son sixième match de la journée, il se battait pour le bronze.

Je n'ai pas revu les images d'Antoine Valois-Fortier après sa victoire contre l'Américain Travis Stevens. Mais je sais que ces quelques secondes resteront en moi pour toujours: une joie pure comme une eau de source.

Et je sais que plusieurs Québécois ont aussi été touchés. Comment ne pas l'être? Six combats, de 9h30 à 17h30. Le judo est foncièrement col bleu. Pas de notes, pas de figures imposées, rien du clinquant de la piste d'athlétisme...

Le travail acharné et des larmes de joie. Qui peut être contre ça?

Philippe Cantin : une si belle équipe

Mon moment fort des Jeux? Question déchirante!

Comment oublier la joie d'Émilie Heymans après avoir remporté le bronze avec Jennifer Abel en plongeon synchro?

Émilie, cette grande olympienne, est une athlète discrète, mais tellement engagée dans son sport. Elle est montée sur le podium lors de quatre Jeux d'été consécutifs, signe de son extraordinaire ténacité.

J'ai été ému en voyant les plongeuses Meaghan Benfeito et Roseline Filion sauter dans les bras de leurs parents après avoir reçu leur médaille. C'était derrière le Centre aquatique, un endroit morne soudain illuminé par la joie pure de ces embrassades. Quelques secondes qui se transforment en souvenir pour la vie.

Et puis il y a eu ce match à Old Trafford, stade mythique du football anglais où joue le Manchester United. La demi-finale entre le Canada et les États-Unis s'annonçait comme une célébration du soccer féminin. Mais personne ne s'attendait à un tel feu d'artifice, sur le terrain et hors du terrain!

Les Américaines ont remporté une victoire controversée après 120 minutes de jeu. Terrassé, le clan canadien a accusé l'arbitre de partialité. Le ton était dur et la tension, vive.

Trois jours plus tard, le Canada a arraché la médaille de bronze aux Françaises, même si les Bleues ont outrageusement dominé la deuxième moitié du match.

Comment expliquer cette improbable tournure des événements? La défenseure Marie-Ève Nault a suggéré cette réponse: «Dans notre groupe, tout le monde croyait en tout le monde». Une aussi belle équipe, je n'en ai pas vu souvent.

Simon Drouin : une soirée magique

Je n'ai pas vu une seule image des médailles d'Antoine Valois-Fortier, Christine Girard ou Émilie Heymans. J'ai cependant eu le bonheur de vivre un deux-en-un que je n'oublierai pas de sitôt.

Ce soir-là, le Chinois Sun Yang a réalisé la plus grande démonstration de puissance que j'ai vue dans une piscine. Dans le couloir voisin, l'increvable nageur canadien Ryan Cochrane ne s'est pas laissé noyer par la vague du géant chinois pour gagner l'argent de ce 1500 mètres libre d'anthologie.

Quelques minutes plus tard, Michael Phelps a plongé pour la dernière fois dans un bassin de 50 mètres. Je ne m'ennuierai pas de ses conférences de presse tardives, mais je regretterai ce champion éternel dont j'ai eu le privilège de voir presque tous les grands exploits.

La soirée n'était pas terminée. Au loin, on entendait la clameur provenant du Stade olympique. Jessica Ennis, la reine des JO, était en route vers son titre en heptathlon.

Comme les Londoniens sont bien organisés et savent y faire en déplacement de foules, j'ai eu amplement le temps de me rendre au stade pour le début de la finale du 10 000 mètres. O.K., ce n'était pas Cathy Freeman à Sydney, mais je porte encore en moi la vibration de 80 000 Britanniques en liesse durant le dernier tour victorieux de Mo Farah. Et les retrouvailles avec sa fille sur la piste m'ont paru particulièrement émouvantes.

Je conserverai cependant une autre image des Jeux olympiques de Londres. Celle, toute simple, d'Alex Genest exultant de bonheur après avoir réussi la course de sa vie en demi-finales du 3000 mètres steeple. La regrettée Émilie Mondor, dont il porte l'héritage, aurait été fière.

Yves Boisvert : samedi soir au Stade

J'ai aimé Andréanne Morin, chef de nage dans le sport janséniste de l'aviron.

Pour un matin glorieux à Lucerne, pour un jeudi d'argent aux Jeux olympiques, combien de sorties grises sur un lac trop froid à London?

J'ai aimé la manière crue avec laquelle elle a dit: c'est zéro chance, cette médaille, que de la sueur et de l'acharnement. De l'amitié, aussi, on ne vit pas en commune à neuf filles en ne s'aimant pas un peu.

J'aimais déjà Clara Hughes, ça ne compte pas.

Je n'ai rien vu de plus époustouflant ici que la course folle de David Rudisha au 800 m. Et sa tout aussi renversante affabilité.

Mais ceux qui étaient au Stade olympique le samedi 4 août n'oublieront jamais la finale du 10 000 m. Et on ne savait pas encore qu'il allait gagner le 5000 m en plus...

Après la victoire de Jessica Ennis et celle de Greg Rutherford, le 10 000 m s'est terminé dans la frénésie.

C'est long à courir, 25 tours de piste. Il a l'air de ne pas se passer grand-chose. Ça s'échange les premiers rangs, ça se surveille, ça ralentit, ça accélère...

Et dans celui-là, un Anglais né en Somalie, qui vit à Londres depuis 2008, Mo Farah, est sorti dans le dernier tour avec une puissance irrésistible. On l'en savait capable, il était dans les favoris. Mais entendre 80 000 personnes hurler pendant les 53,68 secondes qu'a duré ce dernier tour nous a donné une chaire de poule anglaise qui a duré plus longtemps que ça.

On l'en savait capable, seulement la foule ce soir-là ne lui a pas laissé le choix. C'était un moment parfait.

Mali Ilse Paquin, collaboration spéciale : «Allez Jess!»

Le sourire de Jessica. Les abdos de Jessica. Les cuisses de Jessica. Au cours des six derniers mois, la seule façon pour les Londoniens de ne pas voir Jessica Ennis et son inséparable maillot était de rester chez eux. Les commanditaires s'étaient entichés de la spécialiste de l'heptathlon.

Et nous aussi, forcément.

Elle a tout pour se faire aimer. Une athlète pour qui tout n'a pas toujours été facile - comme cette fracture au pied trois mois avant les Jeux de Pékin. Elle est jolie, mais ne joue pas la carte du sex-symbol. Et devinez quoi? Elle est née d'un père jamaïcain peintre décorateur et d'une mère travailleuse sociale de souche anglaise. La quintessence du multiculturalisme britannique.

Le 6 août dernier, la pin-up de «Team GB» s'est présentée à sa dernière épreuve, le 800 mètres, avec une avance confortable de 188 points sur ses rivales. La médaille d'or était pratiquement dans la poche.

De mon côté, je courais d'une section à l'autre du stade depuis 20 minutes. «Non, ici c'est pour les télédiffuseurs», m'avait-on répondu à l'une. Plus loin, il n'y avait pas de place. Soudain, j'ai aperçu deux rangées vides. Je m'y suis précipitée. «Ah mais non, vous n'êtes pas photographe», m'a dit un volontaire.

Le pauvre. Je l'ai engueulé. «Laissez-moi voir cette finale, merde!» Une Québécoise qui se fâche, cela fait son effet chez un Anglais.

«Jess» s'est élancée sur la piste sous un tonnerre de cris et d'éclairs de flashs. L'énergie de la foule m'a traversée comme une décharge électrique. «Allez Jess! Allez!» Jessica Ennis était en tête du peloton depuis 400 m lorsque sa rivale de toujours, Tatyana Chernova, l'a dépassée d'un mètre.

L'impossible est arrivé. Le niveau de décibels dans le stade a augmenté. Le mur de son lui a donné des ailes jusqu'à la ligne d'arrivée. Notre «Jess» avait enfin sa médaille d'or olympique.

Après Dame Kelly Holmes, double médaillée d'or à Athènes, Dame Jessica Ennis? D'ici les prochains Jeux olympiques, à Rio, ce sera fait. On parie?