Derick Brassard aurait bien voulu que ça fonctionne à Ottawa. Il jouait dans sa région natale, avec son ancien entraîneur des rangs juniors, il a aidé les Sénateurs à se rendre à un but de la finale de la Coupe Stanley l'an dernier. Et même quand ça s'est mis à dérailler cette saison, il aurait été prêt à rester.

«Au début, [le directeur général des Sénateurs] Pierre Dorion disait qu'il ne voulait pas m'échanger, mais ensuite, la direction de l'équipe a commencé à aller plus vers la jeunesse. Pierre voulait que je fasse partie du renouveau, et ça ne m'aurait pas dérangé. Mais quand j'ai su que j'avais une chance de venir à un endroit comme ici, avec une chance de gagner la Coupe Stanley, ça m'intéressait!»

Ici, c'est à Pittsburgh, loin du cirque d'Eugene Melnyk, du feuilleton Erik Karlsson et des Sénateurs. Brassard avait une clause de non-échange qui lui permettait de refuser une transaction vers 8 des 30 autres équipes de la LNH. Les Penguins ne faisaient pas partie de la liste noire. Et même s'il était clair qu'en raison de la présence de messieurs Crosby et Malkin au centre, il allait jouer un rôle moindre, il était hors de question de laisser passer une telle occasion.

«Je voulais jouer avec ce noyau qui gagne depuis deux ans. Je n'aurais jamais pensé avoir la chance de jouer ici une fois dans ma vie», a raconté à La Presse Brassard, rencontré au centre d'entraînement des Penguins mardi.

On peut comprendre cette réaction, venant d'un joueur qui n'a toujours pas de bague de la Coupe Stanley, même s'il a participé à une finale et à deux autres finales d'association.

En territoire connu

Brassard savait très bien dans quoi il se lançait quand les Sénateurs l'ont échangé à Pittsburgh, le 23 février dernier. C'est qu'il a affronté les Penguins en séries éliminatoires quatre années de suite, de 2014 à 2017!

Les deux premières fois, Brassard et les Rangers de New York ont éliminé les Penguins. Puis, en 2016 à New York et en 2017 à Ottawa, Brassard a vu des Penguins imbattables au centre poursuivre leur chemin vers la finale. Ces deux saisons-là, derrière le tandem Crosby-Malkin, le très fiable Nick Bonino pilotait le troisième trio, et l'ajout de l'ailier Phil Kessel faisait en sorte que le top 9 des Penguins devenait infernal.

Bonino parti à Nashville, les Penguins se tournent donc vers Brassard pour remplir ce rôle, ce qui se traduit par des sacrifices personnels pour le Québécois. À Ottawa, il jouait plus de 18 min par match. À Pittsburgh, il en joue 15. À Ottawa, il jouait près de trois minutes par match en avantage numérique, et pas en désavantage numérique. Maintenant, c'est la moitié moins en supériorité numérique, et quelques présences à 4 contre 5.

«On a le meilleur avantage numérique de la ligue, donc parfois, la première vague contrôle la rondelle pendant 1 minute 30 secondes, 1 minute 45. Quand j'embarque, il reste 20 ou 30 secondes!»

«On a deux des meilleurs joueurs au monde. J'aurai moins de temps en avantage numérique, mais je vais essayer de me concentrer sur le reste, je vais peut-être commencer à jouer en désavantage numérique un peu. À 5 contre 5, avec la profondeur qu'on a, si je peux finir dans les plus, que je ne me fais pas marquer de buts, on aura de très bonnes chances de gagner.»

Pour l'heure, Brassard a été limité à un but et deux aides en huit matchs. Mais son ailier droit s'appelle Kessel, ce qui laisse croire en des jours meilleurs.

Les acteurs de soutien

Le calcul des Penguins est très simple. Crosby et Malkin affrontent les deux meilleurs duos adverses, ce qui permet à Brassard et Kessel d'exploiter les failles de l'adversaire. Contre une équipe comme le Canadien, ça veut donc dire que les deux premiers trios se mesurent au duo Alzner-Juulsen et Reilly-Petry.

Dans un monde idéal, ça permet donc à Brassard et Kessel de se frotter à un duo Benn-Lernout, ce que bien des constitutionnalistes décriraient comme un châtiment cruel et inhabituel.

«De la façon dont notre équipe est construite, on sait qu'un de nos centres aura un affrontement avantageux et c'est ce qui peut nous permettre de gagner», souligne l'entraîneur-chef des Penguins Mike Sullivan.

En fait, la réalité est souvent plus complexe, et les équipes en santé et qualifiées pour les séries comptent généralement sur un troisième duo plus hermétique que celui du CH. N'empêche, dans un tel système, Kessel continue à s'éclater et totalise 78 points. Malkin terrorise la LNH depuis le 1er janvier (51 points en 31 matchs), tandis que Crosby produit à son rythme habituel.

Brassard voit quant à lui un autre facteur de succès. Quand les Rangers ont éliminé les Penguins, les acteurs de soutien s'appelaient Blake Comeau, Daniel Winnik, Steve Downie et Maxim Lapierre. Ces vétérans ont été remplacés par une vague de produits maison, plus jeunes.

«Ils ont amené des gars comme Bryan Rust, Conor Sheary, Jake Guentzel, Tom Kuhnhackl, énumère-t-il. On parle souvent des meilleurs joueurs des Penguins, mais ils ont des joueurs qui ont solidifié la profondeur et c'est une des raisons pour lesquelles ils ont gagné.»

Les Penguins tentent d'accomplir ce qu'aucune équipe n'a réussi depuis les Islanders de 1980 à 1984: gagner trois fois de suite la Coupe Stanley. Les Oilers d'Edmonton, deux fois, les Penguins de 1993 et les Red Wings de Detroit de 1999 ont échoué à la tâche. Des points d'interrogation subsistent, particulièrement devant le filet, où l'absence de Marc-André Fleury se fait parfois sentir.

Mais si les Penguins ratent leur coup, ce ne sera certainement pas en raison de leur ligne de centre.