Geoff Molson avait pris la décision depuis le début de l'année 2014 de retirer le chandail de Guy Lapointe. Il avait consulté des gens, mais avait ensuite entretenu le secret durant les séries éliminatoires afin que les performances du Canadien ne fassent pas d'ombre à cette annonce.

«C'est le bon moment maintenant car à l'occasion du repêchage, la semaine prochaine, Guy va revoir des centaines de gens qui auront l'occasion de le féliciter», a noté le propriétaire du Tricolore, qui n'a pas dévoilé à quel moment de la saison 2014-2015 aura lieu la cérémonie.

L'attente aura été longue pour l'ancien défenseur qui a porté l'uniforme du Canadien de 1970 à 1982, période au cours de laquelle il a contribué à six conquêtes de la Coupe Stanley. Mais Lapointe n'a jamais fait de cabale pour que l'équipe retire son chandail.

«Je regardais aller les choses. Les gens ont le droit de suggérer, mais moi, je n'y croyais pas», a-t-il admis.

La cabale, c'est sa fille Stéphanie qui s'en est chargée, faisant circuler depuis l'an dernier une pétition qui visait à sensibiliser l'opinion publique à sa candidature.

Ce geste d'amour, que par simple humilité il aurait été incapable d'endosser, réunit aujourd'hui les Lapointe. «Je suis sur un nuage en ce moment», dit-il.

Un «Big Three» qui a fait époque

Serge Savard a souvent rappelé que le Canadien comptait dans les années 70 sur un «Big Three» en défense, et non sur un «Big Two». À ses yeux, le numéro 5 de Lapointe méritait d'aller rejoindre son numéro 18 ainsi que le 19 de Larry Robinson dans les hauteurs du Centre Bell. Et c'est ce que Savard a réitéré à Geoff Molson lorsque ce dernier l'a consulté.

Savard et Lapointe ont formé la paire lors de la Série du siècle en 1972, mais avec le Canadien, le premier jouait davantage avec Robinson, tandis que le second était souvent jumelé à Bill Nyrop ou Brian Engblom, des arrières à caractère défensif.

À l'époque, il n'était pas rare que les équipes aient recours principalement à quatre défenseurs. Or, l'entraîneur-chef Scotty Bowman n'hésitait pas à réduire encore davantage ses effectifs quand la situation le demandait.

«Un soir, je ne me souviens plus contre quelle équipe, nous avions joué à nous trois les 30 dernières minutes du match», a raconté Robinson, venu de San Jose pour rendre hommage à son ami Pointu.

«Après le match, le coach de l'autre équipe avait dit: "C'est facile pour Montréal car ils ont seulement trois gars dont ils doivent se soucier."»

Ç'a été la première fois, dit Robinson, qu'il a entendu l'expression «Big Three».

L'expression a fait époque. Et leur domination aussi.

«Ce serait impossible, à cause des règles du repêchage et du plafond salarial, qu'on retrouve un Big Three de la sorte en 2014», estime Serge Savard.

De l'émotion

Dans son célèbre livre Le Match, l'ancien gardien Ken Dryden soutient qu'au début et au milieu des années 70, à l'exception de Bobby Orr, Guy Lapointe était devenu le meilleur défenseur de la LNH.

L'une de ses principales qualités? L'émotion qu'il pouvait apporter à un match.

«Durant des séquences fades et sans vie, écrivait Dryden, il faisait subitement éruption avec une fureur impatiente, à patiner partout autour de la glace, audacieux et inspiré en attaque comme en défense, et donnait à la partie un nouveau souffle - en la faisant pencher en notre faveur. C'est un rare talent, et même après que les Potvin et Robinson soient arrivés à maturité au milieu de la décennie et qui l'eurent relégué aux deuxièmes équipes d'étoiles, c'est un talent qu'ils ne sont jamais parvenus à égaler.»

Ses 15 buts à son année de recrue et ses 28 buts en une saison constituent encore aujourd'hui des records d'équipe chez les défenseurs. Pourtant, on aurait tort de considérer Lapointe uniquement comme un défenseur offensif.

«Il pouvait jouer dans toutes les situations et engranger les minutes, rappelle Robinson. Il pouvait jouer 30-35 minutes par match comme le font aujourd'hui Ryan Suter ou Drew Doughty.

«Il bloquait des tirs, il avait un très bon tir et une première passe incomparable, mais c'est son coup de patin qui le distinguait le plus.

«Il pouvait vraiment dominer offensivement autant que défensivement.»

Dans le vestiaire, Lapointe est déjà au Temple de la renommée des joueurs de tours depuis un bon moment. Un dentier volé à un coéquipier qui lui est réexpédié par la poste, une boule de crème glacée remplacée par de la crème sûre, une douche froide servie à Yvon Lambert... Rien n'était à son épreuve.

«Si je n'avais pas joué toutes ces années avec lui, peut-être que mes sous-vêtements n'auraient pas été découpés et je n'aurais pas eu de Vaseline sur mon pare-brise», a illustré Robinson.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Le «Big Three»: Larry Robinson, Guy Lapointe et Serge Savard.