On a longtemps parlé à Montréal de la fameuse vente de feu des Expos en 1995. Mais celle à laquelle les Marlins de Miami viennent de procéder est d'une toute autre dimension.

En cédant aux Blue Jays de Toronto les lanceurs Josh Johnson et Mark Buehrle, l'arrêt-court Jose Reyes, le joueur d'utilité Emilio Bonifacio et le receveur John Buck en retour de Yunel Escobar, du receveur Jeff Mathis, du partant Henderson Alvarez et de quatre joueurs des mineures, les Marlins se sont débarrassés de presque tous leurs meilleurs éléments.

Il ne reste que le jeune voltigeur Giancarlo Stanton, qui se dit ouvertement dégoûté par ce qui se passe.

Réglons tout de suite la question du côté des Jays. Devant eux, une fenêtre d'opportunité s'est ouverte avec les malheurs des Red Sox de Boston et le vieillissement des Yankees de New York. Ils peuvent légitimement aspirer à remporter la section Est de la Ligue américaine l'an prochain, même si cela a coûté la galette à la compagnie Rogers.

Mais, malgré le travail du DG des Blue Jays, le Montréalais Alex Anthopoulos, c'est en Floride que se trouve vraiment l'épicentre de cette onde de choc.

Avec l'argent des autres

Le propriétaire Jeffrey Loria est depuis longtemps un ennemi public là-bas. Faut-il s'en surprendre? Il s'était fait les dents à Montréal en prenant le contrôle des défunts Expos de façon astucieuse en décembre 1999. Il avait d'abord investi 12 millions US pour obtenir 24% des parts dans le club montréalais. À la suite d'une série d'appels de fonds à laquelle les autres partenaires n'ont pas donné suite, Loria a augmenté sa participation à 94%. Il a ensuite vendu les Expos au baseball majeur pour 120 millions, en 2002, ce qui lui a permis d'acheter les Marlins de la Floride l'année suivante.

Même s'il a remporté la Série mondiale dès sa première saison en Floride, Loria n'a pas hésité à démanteler les Marlins. Dans les 18 mois suivant leur championnat, ces derniers s'étaient départis de la majorité de leurs joueurs-clé. Ça ne s'est pas arrêté là: entre 2005 et 2006, Loria a également réduit la masse salariale de l'équipe de 60 millions à 15 millions.

À l'époque, Loria amorçait un long bras de fer avec le comté de Miami-Dade afin de soutirer de l'argent public pour la construction d'un nouveau stade. Menaçant de quitter le sud de la Floride, plaidant qu'il lui serait incapable d'offrir une équipe compétitive sans les revenus liés à un nouveau stade, et prétendant qu'il ne faisait aucun profit avec les Marlins, Loria a fini par obtenir en fonds publics 76% des 515 millions nécessaires à la construction d'un nouveau stade.

Ce n'est qu'une fois la construction amorcée que des documents ont révélé que Loria camouflait des profits de plusieurs dizaines de millions provenant du système de partage des revenus du baseball majeur.

Photo: archives PC

Jeffrey Loria s'est fait les dents à Montréal en prenant le contrôle des défunts Expos de façon astucieuse.

Un transfert de 160 millions

Afin de marquer l'ouverture du Marlins Park, au début de la dernière saison, les «nouveaux» Marlins - nouveaux joueurs, nouveau stade, nouvel uniforme - ont doublé leur masse salariale, la faisant passer de 57 à 118 millions. Or, leur bateau a vite piqué du nez et les Marlins se sont retrouvés derniers de leur section.

Aucune équipe en 30 ans n'a enregistré une moyenne d'assistance aussi faible (27 400) dans l'année d'ouverture d'un nouveau stade.

Trois joueurs, dont l'étoile Hanley Ramirez, ont fait les frais de ces difficultés à la date-limite des transactions. Puis le releveur Heath Bell - un flop monumental en Floride - a traîné son lourd salaire en Arizona sitôt la saison terminée.

Visiblement, ce n'était qu'un début.

L'échange avec les Blue Jays est peut-être la plus grosse vente de feu réalisée d'un seul coup dans l'histoire du baseball. En cédant aux Jays trois joueurs vedettes et deux autres quand même fort utiles, les Marlins ont effacé de leurs livres près de 160 millions en salaires.

Le fait de s'être aliéné à tout jamais la base partisane des Marlins ne dérange guère Loria. Il peut sabrer impunément dans sa masse salariale car le modèle économique des majeures passe de moins en moins par les revenus au guichet.

Les contrats nationaux de télévision qu'a renégocié le baseball majeur rapportent 1,5 milliard par année, somme que les équipes se divisent entre elles. Pas surprenant que, selon la revue Forbes, la valeur moyenne des franchises ait bondi de 16% entre 2011 et 2012.

Pourquoi dépenser inutilement sur le terrain et s'acharner à offrir un produit de qualité si la valeur des Marlins augmente de toute façon?

Les Marlins ne gagnent pas, mais Loria oui. Et ce sera encore plus vrai le jour où il vendra l'équipe.

> David Courchesne: N'importe quoi

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Photo: AP

Les Marlins ont échangé le lanceur Mark Buehrle, l'arrêt-court Jose Reyes et le lanceur Josh Johnson aux Blue Jays.