L'ancien nageur Mark Tewksbury avait pris ses distances avec le mouvement olympique dans la foulée des scandales de la fin des années 90. Le champion olympique de 1992 avait quand même gardé des liens avec le Comité olympique canadien. À 43 ans, il s'est senti prêt à reprendre le collier de façon plus officielle. L'été dernier, il a été nommé chef de mission de l'équipe canadienne pour les Jeux de Londres de 2012. Moins rebelle, mais toujours aussi enthousiaste.

Mark Tewksbury espérait à la blague que le photographe ne puisse être présent au rendez-vous. Débarqué de Calgary la veille, il ne se sentait pas à son mieux hier matin. Il est revenu enthousiasmé par les idées d'Alain Roberge, qui a d'abord pris sa réflexion dans un miroir, avant d'en croquer une autre, plus sombre, sur un édifice de la rue Saint-Laurent.

L'ancien champion nageur y voyait une métaphore de son propre parcours olympique. Sa médaille d'or surprise à Barcelone en 1992, mais aussi le scandale Ben Johnson en 1988, qui a coïncidé avec ses débuts aux JO, et les scandales de corruption ayant ébranlé le Comité international olympique à la fin des années 90, qui l'ont conduit à abandonner avec fracas son rôle de représentant des athlètes.

Le sens de l'indignation de Tewksbury est toujours intact, mais, à 43 ans, il s'avoue un peu moins rebelle, moins tranché dans ses opinions.

«Il y a un peu plus de place pour le gris dans la vie. Ça ne veut pas dire que je pardonne la corruption qui est survenue - j'y réagirais aussi fortement aujourd'hui -, mais je suis un peu plus indulgent par rapport à la difficulté de gérer une énorme organisation internationale», a dit Tewksbury, qui vit en partie à Montréal depuis 2003.

Cette nouvelle manière de voir n'est pas étrangère à sa décision d'enfin soumettre sa candidature pour le poste de chef de mission de l'équipe canadienne aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. Sollicité depuis plusieurs années, ce leader naturel se satisfaisait des discours qu'il livrait aux olympiens canadiens depuis les Jeux d'Athènes en 2004.

Quelque chose a changé à Vancouver. Tewksbury a été invité par Nathalie Lambert à livrer le discours de motivation aux athlètes juste avant la cérémonie d'ouverture. Ça a commencé par une minute de silence. Le lugeur géorgien Nodar Kumaritashvili s'était tué quelques heures plus tôt. L'événement tragique fut l'occasion pour Tewksbury d'évoquer un thème fondamental de sa vie et de sa carrière athlétique: embrasser les contradictions.

«C'est l'idée que les Jeux olympiques sont l'événement le plus important de notre vie... et simplement une autre compétition, dit-il. Les deux sont vraies. On doit donc choisir ce qui nous convient le mieux et ce qui fonctionnera pour nous.»

Tewksbury attribue son retour officiel dans le giron olympique au vent de changement qui souffle sur l'ensemble du système sportif canadien depuis quelques années. Il loue la vision de Marcel Aubut, qui veut un Comité olympique canadien fort, actif et plus professionnel. Il applaudit une initiative comme À nous le podium et l'engagement gouvernemental qui a suivi les Jeux de Vancouver.

Il s'est aussi simplement laissé convaincre par les témoignages de Lambert et Sylvie Bernier, chef de mission aux Jeux de Pékin.

«Les deux ont dit que c'était l'expérience absolue d'une vie. Que c'était même mieux que de gagner! En tant que chef, on a en quelque sorte la chance de gagner chaque jour», fait remarquer Tewksbury, qui sera secondé à Londres par une autre championne olympique, Sylvie Fréchette.

Objectif ambitieux

Comme Alex Baumann, patron d'À nous le podium, Tewksbury reconnaît que l'objectif de finir parmi les 12 premiers au classement des médailles est ambitieux (le Canada a pris le 13e rang à Pékin).

Les résultats aux différentes compétitions internationales l'été prochain permettront d'établir des prévisions plus précises, souligne le chef de mission. Il croit néanmoins qu'une bonne première semaine de compétition à Londres offrirait un formidable élan à son équipe.

«Cette première semaine est très importante. De façon générale, on a toujours été un pays très fort dans la deuxième semaine et ça ne changera pas. Mais si on peut obtenir quelques médailles qu'on n'a pas été en mesure de décrocher dans la première semaine dans le passé, ça sera fantastique pour l'énergie, l'unité de l'équipe.»

Aux Jeux de Barcelone, Tewksbury se souvient que rien ne semblait aller pour le Canada avant que le judoka Nicolas Gill, alors un pur inconnu, ne remporte le bronze lors du sixième jour. Quelques heures plus tard, lui-même surgissait dans les cinq derniers mètres du 100 dos pour enlever l'or à la barbe de l'Américain Jeff Rouse. Son sourire de la victoire occupe une place de choix dans l'histoire olympique canadienne.

Selon Tewksbury, les succès de Vancouver, où le Canada a obtenu 14 médailles d'or, un record absolu, représentent un tournant. Il compte s'en servir pour motiver les troupes lors d'une importante rencontre dans la région de Toronto, en novembre. «On veut le faire sans se laisser envahir par Vancouver, prévient-il cependant. Il faudra agir de façon très respectueuse. Ce sont de nouveaux athlètes et ce sont leurs propres Jeux.»

Ces athlètes seront perçus différemment par leurs rivaux des autres pays, pense Tewksbury. Ce nouveau statut exige de s'y préparer. «On sera un peu plus une cible et pris davantage au sérieux. Les athlètes doivent en être conscients. C'est une bonne chose, mais il faut se montrer à la hauteur.»

Conférencier très recherché, Tewksbury est de passage au Québec à l'invitation du club de natation Blue Machine de Saint-Lambert. Il donnera une conférence à ses membres ce soir, de 17h à 19h, au Collège Champlain. Le grand public est invité. Prix des billets: 15$. À noter que la conférence se déroulera essentiellement en anglais.