Un record du monde battu par une nageuse de 15 ans, le vieux record de Mark Tewksbury qui tombe avec deux autres marques nationales. Point commun derrière ces performances hallucinantes: le Jaked, le maillot en polyuréthane qui alimente la controverse depuis le début de l'année.

Malgré le temps couvert et frisquet qui a fait fuir les spectateurs, les sélections canadiennes de natation pour les Championnats du monde de Rome ont démarré sur les chapeaux de roues, hier, dans l'île Sainte-Hélène. Malheureusement, ce sont les maillots hyper moulants du fabricant italien Jaked qui ont volé la vedette plutôt que les performances athlétiques proprement dites.

Amanda Reason, une recrue de 15 ans, a provoqué le plus gros remous de la soirée en établissant un record mondial au 50 mètres brasse. L'Ontarienne a franchi la distance en 30.23 secondes, soit huit centièmes de mieux que l'ancienne marque établie par l'Australienne Jade Edmistone, en janvier 2006. Ironiquement, cette dernière nageait sous les ordres de Pierre Lafontaine à cette époque.

«Je suis sans mot. C'est incroyable!» a réagi Reason, qui a abaissé de 99 centièmes sa meilleure marque personnelle. «Je suis très surprise, car je ne sentais pas que j'allais si vite.» Malgré sa performance, elle ne s'est pas qualifiée pour les Mondiaux de Rome puisque le 50 m brasse n'est pas une épreuve olympique.

Avant cette course, le plus grand fait d'armes de Reason était une médaille de bronze aux Mondiaux juniors de l'an dernier. Hier, elle est devenue la première nageuse canadienne à réaliser un record du monde en grand bassin depuis Allison Higson aux sélections olympiques de... 1988.

La réaction de la jeune fille était belle à voir, mais la question sur la combinaison Jaked était inévitable: quelle fut la part de cette seconde peau, que Reason portait pour la toute première fois en compétition, dans le record? «Tout est dans la tête et tout est une question de confiance», a-t-elle répondu, manifestement préparée pour la question.

Pascal Wollach a offert sensiblement le même discours. L'Albertain de 21 ans a battu le plus vieux record canadien, celui que Mark Tewksbury avait établi pour gagner la médaille d'or du 100 m dos aux Jeux olympiques de Barcelone. Tewksbury avait réussi 53.98 en petit maillot; Wollach a fait 53.63 vêtu d'une combinaison qui lui donnait des airs de statue de bronze.

«C'est un honneur total de battre ce record. Mark est un héros national», a commenté l'étudiant de l'Université Auburn, en Alabama.

En une journée, Wollach a amélioré sa meilleure marque personnelle de deux secondes. «J'ai travaillé très fort au cours des dernières années à l'université, a-t-il rappelé. Un jour ou l'autre, j'allais battre ce record. C'est arrivé un peu plus tôt que prévu.»

Deux autres titres canadiens et un québécois

Deux autres records nationaux ont été battus par des nageurs portant des Jaked: Scott Dickens, gagnant du 50 m brasse, qui a réalisé un chrono de 27.81 en matinée, et Heather MacLean, 17 ans, gagnante du 200 m libre en 1:57.20.

La Québécoise Gabrielle Soucisse n'a pas eu besoin du Jaked pour se qualifier pour les Mondiaux au 100 m dos. L'athlète de 18 ans a fini deuxième en 1:01.35, un nouveau record québécois. «Je suis vraiment contente, la pression a tombé», a dit Soucisse, très heureuse de participer à son premier grand rendez-vous avec l'équipe canadienne senior. Elle vise aussi une qualification au 200 m dos, samedi.

Soucisse a quand même été battue par Sinead Russell, 16 ans, auteure d'un chrono de 1:00.83 avec sa combinaison Jaked. Il y a à peine trois semaines, la Montréalaise avait devancé Russell à la Coupe du Québec par quatre dixièmes. Alors, battue par un maillot? «Oui, un peu», a-t-elle admis, étonnée comme tout le monde par les performances dont elle a été témoin durant la soirée.

Soucisse a bien hâte d'avoir son Jaked. Son entraîneur Benoit Lebrun, du club CNPPO, en a commandé une demi-douzaine il y a deux semaines, mais il a appris mardi que le fabricant italien était en rupture de stock pour les tailles commandées.

De toute évidence, ce retard a coûté une participation à l'épreuve individuelle du 200 m libre à Geneviève Saumur, elle aussi membre du CNPPO. Troisième à deux centièmes de la deuxième place, l'olympienne devra se contenter du relais à Rome malgré une meilleure performance personnelle.

«Le maillot n'a pas fait une si une grande différence. Il faut quand même que tu fasses ta course», a précisé Saumur, qui regrettait peut-être une touche un peu molle.

Lui aussi battu par deux porteurs de Jaked au 50 m brasse, Mathieu Bois ne s'en faisait pas trop. Cette épreuve n'étant pas sélective pour les Mondiaux, les conséquences sont pas mal moins importantes. Il lui reste les 100 et 200 m brasse pour se qualifier.

N'empêche, les maillots, il les a en travers de la gorge. «C'est sûr que c'est n'importe quoi, mais je ne l'ai pas, le suit, a lâché Bois, résigné. Je ne peux pas chialer là-dessus. Je vais faire mes courses et gagner à ma façon.»

En fin de soirée, Audrey Lacroix a encore démontré qu'elle était la meilleure papillonneuse au pays, se classant première avec un excellent chrono de 2:07.86, le quatrième de sa carrière. Pour une fois, le polyuréthane n'a pas interféré dans la course.