Joannie Rochette n'a pas eu une minute à elle depuis les funérailles de sa mère, il y a deux semaines. La fatigue la rattrape, mais elle prévoit un sursaut d'adrénaline quand elle renouera avec ses amis patineurs lors de la tournée de Stars on Ice, le mois prochain. Entre son départ pour l'aéroport, un contrôle de sécurité où sa médaille de bronze a été remarquée et l'embarquement, la patineuse de 24 ans a trouvé le moyen de se confier.

Le sommeil est plus léger et le chagrin toujours aussi grand, mais pour l'essentiel, la vie de Joannie Rochette n'a pas changé.

Hier après-midi, elle s'envolait vers New York pour donner quelques entrevues et offrir une prestation dans le cadre de l'émission Thin Ice, diffusée ce soir et dimanche sur ABC. Suivra une tournée qui la mènera en Floride, au Japon, partout au Canada et en Corée. Plus de 25 spectacles en deux mois.

Ce rythme effréné était prévu bien avant sa médaille de bronze et son drame personnel hautement médiatisé aux Jeux olympiques de Vancouver, il y a trois semaines.

«Même si je n'ai pas nécessairement le goût de faire tout ça, je me force parce que c'est ça qui me tient en vie et me garde motivée», dit-elle en entrevue téléphonique, tout juste avant de monter à bord de l'avion. «En ce moment, c'est sûr que je suis crevée et que j'aurais juste le goût d'être chez nous à ne rien faire. Mais je sais que ce n'est pas une très bonne solution et que ça ne va pas avec ce que ma mère aurait aimé que je fasse.»

Rochette n'a fait qu'une concession, se retirant des championnats du monde, qui se dérouleront la semaine prochaine à Turin. La vice-championne en titre a raté une semaine d'entraînement pour les funérailles de sa mère Thérèse et elle savait qu'elle ne serait pas au sommet de sa forme.

«Si j'étais allée à Turin, ça aurait été super difficile parce que je parle à ma mère matin, midi et soir quand je suis en compétition. Elle est comme mon coach de vie aussi.»

La voix est étouffée et la conversation est souvent interrompue par une quinte de toux. Pour une rare fois dans sa vie, Joannie Rochette est allée consulter un médecin, hier matin. Diagnostic: sinusite. Prescription: antibiotiques.

Normalement, elle aurait sollicité l'avis de sa mère, comme elle avait l'habitude de le faire trois ou quatre fois par jour pour tout et pour rien. Le réflexe est encore bien présent. «Chaque fois que ça arrive, c'est là que c'est plus difficile.»

La première visite à la résidence familiale de l'île Dupas, dans Lanaudière, a été particulièrement pénible. «Ma mère était hyper accueillante. Je faisais juste rentrer mon auto dans la cour et elle sortait dehors. Ça fait bizarre de rentrer et qu'elle ne soit plus là.»

Elle garde le moral en se tenant occupée. Elle fait régulièrement l'aller-retour à l'île Dupas pour épauler son père. Elle doit aussi préparer deux nouveaux numéros pour la tournée de Stars on Ice.

«Je vais à l'aréna. J'ai vu les messieurs de la glace, que j'aime beaucoup. Ils aimaient beaucoup ma mère. On en a parlé. À un moment donné, je me suis dit: bon là, j'ai assez pleuré, il n'y a rien qui va changer. Je pleure encore souvent, mais je ne veux pas non plus que le monde me voie brailler tout le temps. Je m'entraîne et je fais mes affaires. Il faut que je sois aussi concentrée.»

Joannie Rochette n'a pas revu ses prestations à Vancouver: «C'est rare que je me regarde. Peut-être dans un an ou deux.»

Ses principaux souvenirs olympiques sont reliés au village des athlètes. Sidney Crosby qui joue au ping-pong, son père qui se fait prendre en photo avec Roberto Luongo et Martin Brodeur. «On dirait que pour un instant, il avait comme oublié et il y avait un petit sourire sur son visage. Sinon, je me souviens d'être enfermée dans ma chambre à dormir une heure sur deux avec mon chum.»

Rien sur la glace ou la compétition. Lors des deux ou trois premières journées, elle supportait mal le regard compatissant des autres quand elle arrivait à l'aréna.

«J'ai senti beaucoup de respect des autres patineuses, ajoute-t-elle. Des fois, dans le vestiaire, j'étais incapable de m'arrêter de pleurer. Ça ne devait pas être facile pour elles non plus. Le plus difficile était de contrôler ça avant de sauter sur la glace. Quand la musique commençait, c'était un peu le pilote automatique.»

Sa vie n'a pas changé, si ce n'est le regard des autres.

Ces gens qui se retournent sur son passage, ceux qui viennent spontanément lui parler de leur propre deuil. Ce type qui baisse la vitre de sa voiture pendant qu'elle magasine avec des amies dans la rue Saint-Denis, et qui crie: «On t'aime, Joannie!» Cet employé de l'aéroport qui vient juste de lui donner un suçon «pour que le voyage soit moins long». Ou cette agente de bord qui lui offre un siège en classe affaires avant de lui faire autographier sa vieille carte d'embarquement.

Rochette a même réussi à faire plier l'ISU, la très rigide fédération internationale de patinage. Afin de protéger les intérêts commerciaux de ses Mondiaux, l'ISU menaçait en effet de lui retirer son statut amateur si elle participait à Thin Ice, une épreuve non sanctionnée.

Devant le tollé, l'ISU a exceptionnellement accepté de surseoir à l'application de son règlement. Sur la recommandation du président de Patinage Canada, Rochette a appelé Ottavio Cinquanta, l'omnipotent président de l'ISU, pour le remercier personnellement.

Rochette tenait mordicus à conserver ce statut amateur, condition sine qua non pour prendre part aux compétitions de l'ISU. La saison prochaine, la patineuse de 24 ans compte en effet s'aligner aux épreuves du circuit Grand Prix. Si tout va bien, elle n'écarte pas non plus la possibilité de participer aux championnats canadiens et mondiaux.

«Je ne veux pas donner de réponse définitive. Je verrai comment je me sens et je déciderai ça en temps et lieu», précise la sextuple championne nationale.

Pour le moment, Joannie Rochette pense plutôt à sa toute première expérience en ski alpin, dimanche prochain, dans Charlevoix. «Je me suis privée de ça toute ma vie parce que j'avais des compétitions de patin tout l'hiver. Là, les Jeux sont passés, je ne me prive plus.» Après, ce sera le parachute.

Et puis, dans les haut-parleurs, l'on entend que l'avion s'apprête à décoller. Il serait peut-être temps de raccrocher.