Ils veulent rompre la «culture du silence» qui règne dans la gymnastique américaine, théâtre d'un retentissant scandale d'abus sexuels: sénateurs et anciennes championnes victimes d'agressions sexuelles ont présenté une législation qui propose de criminaliser la non dénonciation de ces actes.

«Qui savait? Quelqu'un devait savoir» que 368 anciennes gymnastes, des adolescentes, parfois des fillettes, ont été agressées sexuellement par un médecin et des entraîneurs de la Fédération américaine de gymnastique sur plus de deux décennies, s'est emporté mardi le sénateur démocrate Richard Blumenthal lors d'une conférence de presse chargée en émotion au Congrès.

Avec une dizaine d'autres sénateurs, républicains comme démocrates, M. Blumenthal a appelé ses collègues a voter la loi inspirée par l'affaire qui a poussé à la démission, mi-mars, le président de la Fédération (USA Gymnastics). Ce dernier était accusé d'avoir trop tardé à rapporter les faits aux autorités.

C'est justement sur la dénonciation qu'insiste le texte qui a fait l'objet d'une audition mardi sur la colline du Capitole.

Il enjoint aux instances du sport amateur telles qu'USA Gymnastics, ainsi que les adultes qui encadrent les athlètes, de rapporter dès qu'ils en ont connaissance les abus sexuels présumés aux autorités. Si elle était prise en défaut, une instance ou une personne se rendrait coupable d'une infraction criminelle au niveau fédéral.

Silence, argent et médailles 

Autre objectif: mettre en place un suivi des entraîneurs qui auront été accusés d'agressions sexuelles. Il s'agit d'empêcher qu'une même personne puisse récidiver simplement en changeant de ville ou d'Etat, comme cela a souvent été le cas jusqu'ici.

«C'est du bon sens. Nous voulons marquer noir sur blanc que les instances dirigeantes ont la responsabilité de protéger nos jeunes athlètes», explique la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, principale auteure du texte de loi, dénonçant une «culture de l'argent et des médailles» dans la gymnastique américaine.

Le texte, assure-t-elle, doit envoyer un message aux 50 000 gymnases en Amérique: «Nous ouvrons une nouvelle page» et «nous avons un oeil sur vous».

La plupart des victimes étaient très jeunes au moment des faits et avaient consacré toute leur vie à leur rêve de faire partie, un jour, de l'équipe olympique américaine, rendant la prise de parole d'autant plus délicate.

«La trahison de la confiance est particulièrement atroce», reprend Richard Blumenthal. «La culture du silence qui leur est imposée est le fruit d'une pression systématique, impitoyable et cruelle».

Le scandale avait éclaté en décembre dernier lorsque l'Indianapolis Star a révélé que 368 enfants et adolescentes de clubs affiliés à la Fédération de gymnastique avaient été victimes d'agressions sexuelles.

Le journal a depuis eu accès, après avoir saisi la justice, à des documents internes d'USA Gymnastics, montrant que des entraîneurs, reconnus coupables d'agressions sexuelles, avaient continué à travailler au sein de clubs après leur condamnation. 

Nouvelle génération 

«Beaucoup d'entre nous ont longtemps eu l'impression que nous n'avions pas de voix», a déclaré, visage fermé, Jeannette Antolin, ancienne membre de l'équipe américaine. «Avoir le soutien que l'on a aujourd'hui et enfin être entendues est tellement important», a-t-elle ajouté, en insistant sur la responsabilité de prendre la parole pour «protéger les enfants qui viennent».

La mère de deux enfants a ensuite évoqué l'un des médecins de l'équipe américaine, le Dr Lawrence Nassar, inculpé en février de 22 chefs d'accusation pour agressions sexuelles, y compris sur des filles âgées de moins de 13 ans.

«Le Dr Nassar s'en est tiré avec ce qu'il faisait» pendant longtemps, a souligné la jeune femme, aux côtés de quatre autres ex-gymnastes qui peinaient à retenir leurs larmes. «Il est temps que cela change».

La législation proposée mardi représente un «tournant positif dans l'histoire de ce sport», a acquiescé Dominique Moceanu, médaillée d'or olympique en 1996, qui n'a pas elle-même été victime d'abus.

Le texte prévoit par ailleurs un renforcement de la supervision des adultes dans les gymnases. Et entend faciliter les démarches des victimes qui souhaiteraient dénoncer leurs agresseurs, notamment grâce à un centre d'appel qui assurera l'anonymat des interlocuteurs.

«Cela a pris du temps» à mettre en place, reconnaît Rick Adams, du Comité olympique américain, assurant la législation du «soutien inflexible» de l'Usoc.

Cette législation est un premier jalon, insiste Dianne Feinstein: «Nous sommes déterminés à changer la nature de la gymnastique dans ce pays».