Emanuel Bou Lutfallah avait 15 ans quand, sa famille fraîchement immigrée au Canada, il a commencé le patinage artistique. « Je me sens libre ! », s’exclame l’homme de 29 ans, atteint de trisomie 21.

Comme Emanuel est souple, ses parents l’avaient inscrit à des cours de ballet jazz au Liban. Il allait donc de soi de lui faire essayer le patinage artistique, une fois au Québec.

À l’époque, Louise Gagné, entraîneuse au sein du Club de Saint-Laurent où était inscrit Emanuel, avait déjà pris sous son aile un jeune homme autiste, Emile Baz. Elle était la seule à détenir toutes les qualifications requises pour entraîner des athlètes neuroatypiques ou présentant une déficience intellectuelle.

« Les parents m’ont contactée pour me demander si je voulais travailler avec Emanuel, raconte-t-elle dans un appel vidéo avec La Presse. On a embarqué ! »

Voilà bientôt 15 ans qu’Emanuel apprend auprès de Mme Gagné. « Je le connais pas mal ! », lance l’entraîneuse.

Emanuel est très allumé, nous explique-t-elle. […] C’est très facile parce qu’il est un bon garçon. Très bien élevé, très poli. Il a des parents assez magnifiques qui s’occupent de lui. Il est bien chanceux d’avoir des parents très disponibles !

Louise Gagné, entraîneuse au sein du Club de Saint-Laurent

À l’écran, Emanuel sourit en entendant ces compliments. « Je l’aime beaucoup, Louise », laisse-t-il entendre.

« Je suis un peu ta deuxième mère, hein ? Quand ce n’est pas correct, je le dis, et quand c’est correct, je le dis », ajoute Mme Gagné.

« Oui », acquiesce le patineur sans que le sourire quitte son visage.

Toujours est-il qu’au moment de commencer à suivre des cours privés avec Mme Gagné, il y a une quinzaine d’années, Emanuel n’avait jamais patiné. Graduellement, l’entraîneuse lui a montré les bases, « comme à n’importe quel patineur qui a 5 ou 6 ans ». « Ça a demandé beaucoup de travail. […] Il a appris et il a quand même évolué rapidement », relate-t-elle.

Vers les Mondiaux

Progressivement, Emanuel a fait son chemin, multipliant les compétitions. Aujourd’hui, il s’entraîne de trois à quatre fois par semaine avec Mme Gagné.

« Rendu à un certain âge, il y a des patineurs qui plafonnent, comme n’importe qui dans n’importe quel sport. [Avec Emanuel], on est encore capables d’évoluer. Il me fait de belles surprises ! »

Quand il réussit une nouvelle figure, Emanuel en retire une grande satisfaction. « Je me sens fier », déclare-t-il.

« Comme ton sit spin ! note Mme Gagné. Avant, on ne descendait pas, et maintenant, ta pirouette assise, elle est vraiment assise en bas. Tu t’es vraiment amélioré. »

L’entraîneuse apprend, elle aussi. Elle apprend à adapter ses enseignements. « C’est comme essayer d’enseigner à quelqu’un qui a deux pieds gauches. Ils ont un talent, mais il faut le développer avec leurs capacités. »

Emanuel s’était qualifié pour les Jeux mondiaux d’hiver d’Olympiques spéciaux de 2021, mais la pandémie a forcé le report de l’évènement à 2023… en Russie. La guerre avec l’Ukraine a finalement eu raison de la compétition. Tout est donc à recommencer pour Emanuel.

« Là, on essaie de se requalifier pour faire le même cheminement », dit Mme Gagné.

C’est dans cette optique que Bou Lutfallah se rendra à Calgary pour les Jeux nationaux Olympiques spéciaux Canada, qui ont lieu du 17 février au 4 mars.

Enfin, ce n’est pas vraiment dans cette optique, parce que l’objectif premier d’Emanuel n’est pas la victoire. Quand on lui demande ce qu’une participation à un tel évènement représente pour lui, il réfléchit. « C’est une expérience. On voit les amis », dit-il.

Ses ambitions ? Apprendre, s’amuser, côtoyer les amis… et « devenir champion du monde » !

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Emanuel Bou Lutfallah avec sa mère Manuella Émile Boulos et son père Najib Bou Lutfallah

Différent, mais champion

Cette année, les parents d’athlètes d’Olympiques spéciaux doivent débourser 300 $ pour permettre à leur enfant de prendre part à l’évènement. Billet d’avion, hôtel et nourriture leur sont payés. Et les athlètes sont habillés « de la tête aux pieds », note Louise Gagné, qui s’y rend bénévolement en tant qu’entraîneuse.

Tout ça, c’est grâce aux différents commanditaires et aux dons. Tim Hortons a d’ailleurs récemment lancé son initiative de beignes Olympiques spéciaux ; du 2 au 4 février, un beigne en édition limitée aux couleurs des Jeux est vendu dans les différents restaurants. L’argent amassé sera entièrement versé à l’organisation des Jeux olympiques spéciaux. C’est justement Emanuel qui apparaît dans la publicité de l’entreprise, nous fait savoir sa mère, Manuella Émile Boulos.

« Je suis né différent, mais je suis champion », dit le Montréalais dans ladite publicité.

Avant que l’on mette fin à notre entretien, Mme Gagné tient à souligner le travail réalisé par les gens responsables d’Olympiques spéciaux Canada, qui « mettent en lumière les enfants avec une différence ». « Ils font tout pour leur donner la chance de s’épanouir. »

C’est l’heure de raccrocher. Avant de nous laisser, l’entraîneuse s’adresse à Emanuel : « Nous, on va se voir tantôt ! »

« Oui, on va se voir tantôt… en patin ! », répond l’athlète. « On peut dire merci de raconter », laisse-t-il entendre.

« Il veut dire merci pour l’entrevue », complète sa mère.

Ce fut un plaisir, Emanuel.