« Je suis en plein milieu de l’océan Arctique », lâche Patrick Charlebois au bout du fil. Une phrase aussi singulière que l’aventure qu’il vient de vivre…

Au moment de prendre l’appel de La Presse, mercredi, M. Charlebois est sur le chemin du retour du point le plus septentrional du globe, où il est devenu le premier Canadien à remporter le North Pole Marathon avec un temps de 3 h 48 min 41 s, le 17 août.

Le Trifluvien se trouve sur le Commandant Charcot, un navire d’exploration polaire qui accueille 200 passagers et 200 membres d’équipage. C’est le même navire qu’il a pris pour se rendre au pôle Nord au départ de Longyearbyen, au Svalbard, avant le marathon. La navigation entre l’archipel norvégien et le pôle Nord a duré six jours.

« À bord, il y a un laboratoire avec des scientifiques de plein d’universités à travers le monde, explique-t-il. Ils font des expériences. Ce soir, je suis avec des scientifiques qui partagent leurs connaissances. C’est un peu le principe de la croisière. On doit – et ça nous intéresse – échanger avec eux sur différents aspects du climat. »

« C’est un cinq étoiles, ajoute-t-il. […] Ce soir, on va manger un rib eye médium saignant. D’ailleurs, c’était un défi pour le marathon de ne pas trop manger parce que tout est bon. »

Initialement, le North Pole Marathon devait se tenir en avril dernier, dans la période printanière, mais l’évènement a dû être annulé. Les organisateurs ont donc décidé d’organiser cette 17e édition en été pour la première fois de l’histoire. « Ce n’était jamais arrivé… et on sait pourquoi maintenant ! », s’exclame M. Charlebois.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU NORTH POLE MARATHON

Les participants du North Pole Marathon

Le matin même du marathon, les 12 participants – des dizaines se sont désistés avec le changement de saison – ignoraient encore s’ils réussiraient à courir sur la calotte glaciaire de l’océan Arctique comme prévu « tellement ce n’était pas sécuritaire ».

« Le bateau est arrêté au pôle Nord, au 90e parallèle. L’équipe d’exploration est sortie pour établir un périmètre de sécurité. Le plus grand périmètre qu’ils pouvaient faire est de 500 mètres. Ils ne pouvaient pas faire plus que ça. Le compromis, c’était : soit on courait sur le bateau, ce qui ne me tentait pas du tout, soit on courait sur la banquise », raconte M. Charlebois.

Plutôt que de courir six boucles de sept kilomètres comme le veut la formule habituelle, les athlètes ont parcouru 82 boucles de 500 mètres… avec une veste de flottaison sur le dos. Il faisait 3 °C.

« Honnêtement, sur le coup, je trouvais ça ridicule. Mais c’est quand on court au pôle Nord et qu’on voit qu’à peine 100 mètres plus loin, c’est l’océan… c’est l’eau ! Même sur le parcours lui-même, j’ai vu quelqu’un s’enfoncer de cinq pieds dans l’eau.

« C’étaient des conditions, au niveau de la glace, très instables. Mais on a accepté de courir avec des vestes de flottaison, ce qui est une première. »

Stratégie réussie

Patrick Charlebois, qui a fait des marathons partout sur la planète, allait au pôle Nord pour gagner. « Ça, c’est clair ! », s’exclame-t-il. Il se mesurait toutefois à d’excellents coureurs, dont un autre Canadien, Dalip Shekhawat. Et à 53 ans, il était le plus âgé du groupe.

Si ce marathon n’était « pas du tout » le plus difficile qu’il ait réalisé, il a dû user de stratégie pour l’emporter.

PHOTO FOURNIE PAR PATRICK CHARLEBOIS

Patrick Charlebois

« Psychologiquement, c’était plus difficile parce que c’était 82 boucles, mais j’ai mis ça à mon avantage. Je sais que je n’étais pas le coureur le plus endurant, mais j’étais le plus rapide. C’est sûr que j’étais le plus rapide. L’avantage d’avoir une boucle de 500 mètres, c’est que tu vois très bien où sont tes adversaires. »

M. Charlebois a couru les 21 premiers kilomètres en 1 h 45 min et dépassé à quatre reprises son plus proche poursuivant, le Chinois Xiaobin Qiu.

Ç’a joué psychologiquement sur lui. À la deuxième moitié, même moi j’ai un peu ralenti. Lui, il est expérimenté, il a continué à tenir la cadence, mais ce sont vraiment les dix derniers kilomètres où il a lancé la serviette. Ma stratégie a fonctionné !

Patrick Charlebois

Il a finalement terminé avec plus d’une heure d’avance sur Qiu (4 h 54 min 30 s).

Voilà cinq ans qu’il n’y avait pas eu de marathon au pôle Nord pour différentes raisons : la COVID-19, la guerre en Ukraine… Traverser la ligne d’arrivée, nous explique M. Charlebois, symbolisait surtout « une victoire pour tous les coureurs du monde ».

Inutile de dire que l’aventure a été à la hauteur des attentes du Trifluvien. D’autant plus que ce premier marathon estival au pôle Nord était sans doute, aussi, le dernier…

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU NORTH POLE MARATHON

Patrick Charlebois sur la glace… avec une veste de flottaison sur le dos.

Ce soir, je soupe avec un scientifique qui nous prédit que d’ici huit ans, malheureusement, il n’y aura plus de marathon l’été ; ça va être l’eau vive, il n’y aura plus de glace à cause des changements climatiques.

Patrick Charlebois

Tout au long de son aventure au pôle Nord, Patrick Charlebois avait en tête Les lunettes roses, un groupe de femmes de la Mauricie « si inspirantes » qui amasse des fonds pour la recherche sur le cancer. Ayant lui-même perdu un ami à la suite d’un cancer du côlon, l’athlète a demandé à se greffer au groupe temporairement, ce que celui-ci a accepté.

Son message, depuis plusieurs mois : « Les gens qui veulent m’encourager, donnez aux Lunettes roses. »

Avant de raccrocher, on demande à M. Charlebois s’il a un autre projet sur le feu. Un autre projet un peu fou.

« Je n’ai encore rien en tête… », dit-il avant de s’interrompre, puis d’ajouter : « En fait, je travaille sur quelque chose, mais c’est très, très, très embryonnaire », ajoute-t-il.

« Ce serait de courir dans l’espace. C’est en négociation avec les organisateurs, mais on est vraiment dans les premiers balbutiements. »

Le tout se déroulerait d’ici 2025. Il aurait alors 55 ans.

« J’ai dit aux organisateurs que [je serais] présent. »

Marathon Grand Slam Club

En complétant le North Pole Marathon, Patrick Charlebois a fait son entrée au sein du club sélect international du Marathon Grand Slam, réservé aux athlètes ayant couru au moins 42 km sur les sept continents de la planète ainsi que sur l’océan Arctique. Il y a cinq ans, le Québécois avait fait sept marathons sur sept continents en sept jours. Ne restait plus que l’océan Arctique. « Je suis content d’y adhérer, dit-il à ce sujet. On n’est pas beaucoup au monde. »