Il a été ministre libéral, président des Maple Leafs de Toronto, professeur, avocat, mais Ken Dryden est surtout reconnu au Québec pour avoir été le gardien de but de l'une des grandes dynasties du Canadien, celle de la fin des années 1970.

Et ce sont ses souvenirs de cette grande équipe que Dryden évoque aujourd'hui dans sa croisade contre la violence au hockey. Le membre du Temple de la renommée du hockey a publié depuis le printemps 2011 une série de textes dans plusieurs quotidiens canadiens. Ils y dénoncent l'immobilisme des dirigeants de la LNH. «La position de la LNH dans le dossier de la violence me rappelle l'attitude inconsciente que nous avons longtemps eue, comme société, à l'égard du tabagisme ou de la conduite en état d'ébriété», a expliqué Dryden en entrevue exclusive à La Presse.

«Je me souviens d'avoir moi-même gardé les buts sans masque pendant mon enfance et mon adolescence. Quel imbécile j'étais! Mais je me suis réveillé à temps et je crois qu'il est aussi temps que les dirigeants du hockey se réveillent. Il est temps d'agir.»

Dryden a décrit sa vision d'un hockey expurgé de la violence gratuite qui n'a, selon lui, rien à voir avec la vraie nature de ce sport.

«Il ne s'agit pas d'éliminer la rudesse, a-t-il d'abord précisé. Le hockey implique qu'on doit être prêt à combattre pour la possession de la rondelle, pour une bonne position devant les filets adverses, pour stopper l'adversaire en zone défensive. Et surtout qu'on est prêt à combattre à tous les instants, match après match, sans jamais céder.

«En ce sens, tous les grands joueurs - Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur, Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Bobby Orr - tous, ont été de grands combattants, estime Dryden. Ils se sont battus avec leurs têtes, leurs jambes, leurs mains, leur volonté afin d'être les meilleurs. Et ils ont rarement eu recours à leurs poings.

«Combattre n'est pas l'équivalent de se battre. C'est cela que bien des analystes confondent aujourd'hui, Don Cherry le premier. Combattre est dans la nature du hockey; se battre, non.»

L'exemple de 1976

Selon Dryden, la série finale de la Coupe Stanley de 1976, entre le Canadien et les Flyers de Philadelphie, illustre parfaitement sa position. «De toutes mes saisons victorieuses avec le Canadien, celle-là a une saveur particulière justement parce que nous avons balayé les Flyers en quatre matchs en finale», s'est rappelé Dryden.

«Dès le début du camp d'entraînement, nous en avions fait notre objectif. À l'époque, les Flyers étaient les Broad Sreet Bullies, qui intimidaient toutes les autres équipes par leurs jeux agressifs et souvent salauds. Nous voulions les battre pour nous-mêmes et pour l'équipe, bien sûr, mais aussi pour défendre une certaine façon de jouer.»

Quelques mois avant la finale, le Canadien et l'équipe soviétique de l'Armée rouge avaient disputé le 31 décembre 1975 ce que plusieurs considèrent encore aujourd'hui comme le plus beau match de hockey jamais joué. «Un match propre, bien que non dépourvu de rudesse et de combativité. Ce style de jeu, qui a toujours été celui des grandes éditions du Canadien, était à l'opposé de celui des Flyers», a expliqué Dryden.

Pour l'ancien joueur, «cette finale de la Coupe Stanley opposait une formation prête à combattre jusqu'au bout, nous, à une autre qui n'était prête qu'à se battre, les Flyers. «Une équipe devait se lever et leur tenir tête. Nous l'avons fait. Nous leur avons tout de suite montré que nous ne nous laisserions pas intimider, que nous avions d'autres atouts pour les vaincre, et nous les avons sortis en quatre matchs! Une équipe était prête à tout pour gagner. C'était nous, pas eux.»

Dryden est convaincu que cette victoire du Canadien - et les trois autres conquêtes de la Coupe Stanley qui ont suivi - a contribué à éliminer une partie de la violence au hockey. «Les sportifs imitent les champions et nous sommes devenus le modèle dont d'autres équipes se sont inspirées pour connaître du succès à leur tour.

Sauver l'esprit du jeu

Celui qui est devenu politicien regrette que les dirigeants de la LNH n'aient pas saisi l'occasion pour régler la question de la violence. L'intimidation a certes cessé d'être une stratégie, mais les bagarres et les gestes dangereux sont demeurés. Depuis 30 ans, la LNH n'a agi que pour circonscrire la violence, sans jamais envisager de l'éliminer.

«La blessure de Sidney Crosby a été un tournant, estime Dryden. En voyant tomber le meilleur joueur de sa génération, un joueur de la trempe des plus grands, tous les gens qui s'intéressent au hockey ont été interpellés. Cette fois, il ne faut pas rater l'occasion d'agir.

«Et si les dirigeants de la LNH ne le font pas, je suis convaincu que d'autres vont le faire à leur place. Les Canadiens sont très sensibles à tout ce qui concerne le hockey et je ne doute pas que les politiciens seront invités à intervenir si personne ne le fait.

«En fait, il suffirait de règles strictes pour éliminer les bagarres. Et contrairement à ce que plusieurs croient, cela n'enlèverait rien au hockey. L'esprit du jeu n'est pas là.

«Qui oserait dire que Maurice Richard n'était pas un combattant? Pourtant, le Rocket ne s'est jamais battu que pour se défendre d'une agression ou d'un geste salaud. J'ai eu la chance de fréquenter pendant une dizaine d'années le vestiaire du Canadien avec les effigies des anciens Glorieux et la fameuse phrase qui parle du flambeau qu'ils nous tendent.

«C'est cela, l'esprit du jeu, et ça n'a rien à voir avec les bagarres ou la violence.»

Photo: PC

Guy Lafleur et Wayne Gretzky