Normand Legault a de l'argent. Il baigne dans le sport depuis 30 ans. Et le siège de sa société, GPF1, au 45e étage de la Tour IBM, offre une vue imprenable sur le Centre Bell, de l'autre côté de la rue de la Gauchetière. C'est clair: il n'y a pas mieux placé que lui pour acheter le Canadien de Montréal.

Je blague, bien sûr. N'empêche, à entendre l'ancien promoteur du Grand Prix du Canada, bien des gens semblent tenir ce genre de raisonnement depuis que La Presse a révélé, il y a une semaine, que George Gillett avait confié à BMO Marchés des capitaux le mandat «d'évaluer toutes les stratégies possibles» au sujet de ses propriétés à Montréal.

«Toute sorte de monde s'imagine qu'on pourrait être là. En plus, j'ai un vice-président aux finances, Jean Laflamme, qui connaît le hockey: il a occupé ce poste pendant 14 ans chez les Nordiques de Québec. Mais honnêtement, je te le dis en te regardant dans le blanc des yeux, je ne sais pas. Je n'y ai même pas pensé.»

Il ne faut jamais dire jamais. Mais il suffit de discuter un peu avec Legault pour comprendre qu'il entretient des doutes sur le modèle économique de la Ligue nationale de hockey.

«Il ne faut pas être obnubilé par la grosse affaire qu'est le Canadien. Le fait que le Canadien aille exceptionnellement bien comme entreprise masque en partie la réalité. Sans être expert, je présume que la LNH va devoir se poser des questions sur la viabilité à moyen terme de certaines franchises et de son modèle d'affaires, avec un plafond, mais aussi un plancher salarial. Et s'interroger sur l'impact des fluctuations du dollar canadien sur les finances de la Ligue. L'an dernier, les six équipes canadiennes comptaient pour environ 40% des revenus. Il y a une surreprésentation des équipes canadiennes au niveau financier.»

De toute façon, il n'est pas convaincu que le Canadien soit à vendre. «Je ne suis pas encore arrivé à cette conclusion, dit-il. Sans être un intime, je connais bien George. Et sa famille et lui semblent très attachés au Canadien. Je suis persuadé que s'il est forcé de s'en départir, ce ne sera pas de gaieté de coeur.»

Reste qu'en affaires, tout est à vendre si le prix est bon. «Si quelqu'un frappe à la porte de George Gillett pour lui offrir 500 millions, je présume qu'il va vendre le Canadien tout de suite!»

Le Canadien et le Centre Bell, au même titre que le Liverpool FC, sont d'excellents actifs, juge-t-il. Sauf que... «Dans le contexte actuel, même les meilleurs actifs ne sont pas nécessairement faciles à vendre. Une Mercedes reste une aussi bonne voiture qu'il y a six mois, mais elle est plus difficile à vendre aujourd'hui. Et si tu la vends, tu la vends malheureusement moins cher. C'est un mauvais moment pour être pris pour se refinancer.»

Le magazine Forbes établit la valeur du Canadien à 334 millions$US. Legault prend toutefois ce genre de chiffre avec des pincettes. «Pour savoir la valeur de quelque chose, il faut le mettre sur le marché, dit-il. Les chiffres comme (ceux de Forbes) sur la course automobile sont toujours inexacts. S'ils sont inexacts dans notre business, ils doivent l'être aussi dans d'autres domaines.»

Autre détail important: plusieurs équipes sont sans doute disponibles pour une bouchée de pain dans la LNH. «Il doit y en avoir une couple à vendre pour pas cher ou pour une piastre si tu es prêt à ramasser leurs dettes, comme Phoenix ou Tampa Bay, dit Legault. Tu as beau avoir le joyau, ça fait forcément baisser sa valeur.»

Plutôt un consortium

À supposer que le Canadien finisse bel et bien par être vendu, Legault s'attend à ce que la transaction implique un consortium d'investisseurs québécois, plutôt qu'un acheteur unique.

«Premièrement, c'est plus facile de réunir cinq gars à 50 millions qu'un à 250 millions. Deuxièmement, être propriétaire du Canadien est une sacrée responsabilité, ce que les Anglais appelleraient un public trust. Je ne suis pas sûr qu'un individu ait envie d'assumer seul cette responsabilité-là. George est le premier individu depuis longtemps à posséder le Canadien. Mais George n'habite pas à Montréal. Pour quelqu'un qui est à Montréal 365 jours par année, ce serait une sacrée responsabilité.»

Un groupe d'investisseurs crédibles aurait beau jeu de cogner à la porte de la Caisse de dépôt et placement, estime Legault. «Si des Québécois disent qu'ils veulent mettre 100 millions comptant et emprunter 200 millions, la Caisse serait bien mal placée pour refuser le prêt, après en avoir accordé un à George pour plus de 100 millions!»

Ce genre de consortium, estime Legault, pourrait même être mis sur pied par le président actuel du Canadien, Pierre Boivin. «C'est un peu comme quand moi, j'ai acheté le Grand Prix du Canada. Pierre est un naturel. Il est là depuis au moins 10 ans, il connaît bien le vendeur, l'organisation, la LNH. On est à des années-lumière du gars qui veut se payer un trip, un Jim Balsillie qui veut se payer une équipe de hockey.»

Le retour de Villeneuve...

Ma rencontre avec Normand Legault a eu lieu avant que n'émerge la rumeur d'un retour de la F1 à Montréal dès cette année, en remplacement du Grand Prix d'Abou Dhabi. Mais une chose me semble évidente : un GP en automne est un pis-aller. Gérald Tremblay a raison d'exiger qu'un tel scénario s'accompagne d'un retour à long terme de la F1 à Montréal. Et puis une course à Montréal en novembre, franchement, c'est un peu suicidaire. Quoiqu'on pourrait remplacer les monoplaces par des motoneiges et ramener Jacques Villeneuve. Le mononcle, bien sûr.