Le sort de l'ancienne coopérative d'habitation de Saint-Léonard, qui a façonné la banlieue montréalaise à partir des années 50, attire de plus en plus l'attention depuis qu'elle figure sur la liste des 10 sites emblématiques menacés d'Héritage Montréal.

Entre 1956 et 1962, 655 bungalows ont été construits à l'intention de familles aux revenus modestes, qui ont pu accéder à la propriété grâce aux efforts de la Coopérative d'habitation de Montréal. D'abord bâtis à l'est du boulevard Lacordaire, au nord de la rue Jarry, les bungalows disparaissent graduellement, déplore Héritage Montréal.

«Cet ensemble s'est démarqué par son ampleur autant que par son intention sociale, explique son porte-parole, Dinu Bumbaru. Au cours des années, plusieurs des bungalows d'origine ont été modifiés, agrandis ou encore démolis pour être remplacés par de nouvelles maisons dont l'échelle et l'architecture rompent avec l'harmonie de l'ensemble. Au-delà de la perte des maisons les unes après les autres, c'est l'ensemble d'une communauté et le sens fondateur de ce projet coopératif de construction qui sont oubliés.»

La pertinence de protéger un patrimoine modeste et récent comme celui-ci était au coeur d'un circuit organisé le 4 mai par MontréalExplorations, dans le cadre de La promenade de Jane. Ce mouvement, qui rend hommage à l'urbaniste canado-américaine Jane Jacobs et s'est étendu cette année à une centaine de pays, veut encourager les citoyens à explorer leur ville à pied et à tisser des liens avec leurs voisins. À Montréal, 103 visites pédestres ont ainsi eu lieu les 2, 3 et 4 mai.

À chaque famille sa maison

Petit village agricole, Saint-Léonard-de-Port-Maurice s'est transformé au rythme de la construction des 655 bungalows de la coopérative, dans une longue bande de terre qui appartenait à un certain Aimé Renaud, a ainsi expliqué Bernard Vallée, cofondateur de MontréalExplorations.

«La coopérative a démarré de façon fulgurante grâce à un projet utopique et social», a-t-il indiqué en arpentant la rue portant le nom de l'ancien propriétaire terrien. Les noms d'autres rues du voisinage (des Artisans, Alphonse-Desjardins, Place des Fondateurs), a-t-il fait remarquer, rappellent aussi l'histoire de ce projet sans précédent qui se voulait l'embryon d'une réforme plus large de la condition ouvrière.

Avec comme slogan «À chaque famille sa maison», la Coopérative d'habitation de Montréal a réalisé la plus importante expérience coopérative en habitation de l'après-guerre, a-t-il précisé.

Sept modèles de maisons couvertes pour la plupart de briques rouges étaient offerts pour répondre aux besoins de familles plus ou moins nombreuses. Or, moins de la moitié des habitations subsisteraient dans leur forme originale.

Entraînant le groupe à sa suite, M. Vallée a fait remarquer le contraste entre des bungalows d'origine et les maisons (rénovées, agrandies ou construites de toutes pièces) juste à côté. La majorité des nouvelles constructions n'a pas trouvé grâce à ses yeux.

«Comment pourrait être conservée une certaine harmonie?», a-t-il demandé, précisant du même souffle que dans l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, un plan d'implantation et d'intégration architecturale (PIIA) a été élaboré pour préserver l'homogénéité du village Champlain, lui aussi reconnu comme «ensemble urbain d'intérêt» par la Ville de Montréal.

«Le PIIA fait clairement référence au bâti existant, qui doit être respecté dans ses grandes lignes comme dans certains détails», a-t-il fait remarquer.

Aucun projet ne prévoit la démolition de 200 bungalows d'un coup. «La menace n'est pas évidente, indique Bernard Vallée. Je trouve légitime de se poser des questions et de se demander si ce qui remplace les maisons est aussi bien ou mieux.»

D'autres quartiers à explorer

MontréalExplorations veut susciter une réflexion sur divers enjeux urbains et faire connaître autrement l'histoire de la métropole. À compter du dimanche 8 juin, son équipe chevronnée se propose de faire découvrir le passé d'autres quartiers montréalais, sous différents angles. À certains endroits, le coeur militant et solidaire de la ville sera mis en valeur, tandis qu'ailleurs, les circuits exploreront davantage les origines et l'évolution du territoire.

Héritage Montréal, qui désire mieux faire connaître et préserver les spécificités de la ville, organise de son côté une série de trois visites architecturales du centre-ville de Montréal jusqu'au 19 juin. L'organisme invite aussi les familles à découvrir le village de Sainte-Cunégonde, mieux connu sous le nom de Petite Bourgogne. Le parcours, conçu spécialement pour les enfants de 5 à 12 ans et leurs parents, sera offert les dimanches matin du 25 mai au 15 juin.

Info:

montrealexplorations.org

www.heritagemontreal.org

ecologieurbaine.net (Promenade de Jane)