Quand les enfants sont grands, ils quittent la maison familiale. Ou pas. Et il arrive aussi qu'ils reviennent. Avoir ses enfants dans la maison où l'on a grandi, ce n'est pas si rare.

De solides fondations

Dans trois ans, Alain Nuckle se promet un gros party pour fêter le centenaire de ce qu'on pourrait presque appeler un membre de la famille. En 2017, un bel édifice en briques rouges du Plateau Mont-Royal aura appartenu à sa famille depuis 100 ans, et il compte bien célébrer l'occasion comme il se doit.

Si on dit de familles qu'elles sont tricotées serré, de celle-ci on peut également dire qu'elle est bien enracinée. Une partie de l'arbre généalogique d'Alain Nuckle réside dans ces trois duplex, puisque ses quatre grands-parents y ont vécu. Ses parents étaient voisins bien avant de devenir amoureux...

Au rez-de-chaussée des trois triplex vivent aujourd'hui côte à côte Alain et sa fille, son grand-père maternel et sa grand-mère paternelle. La mère d'Alain Nuckle habite en haut, sa tante aussi, son frère habite encore chez sa mère, et la soeur de sa mère vit avec sa grand-mère. «C'est compliqué», concède-t-il.

Pas besoin de calculs ardus pour comprendre que le lien qui unit toutes ces personnes est solide. «C'est certain que des fois, c'est plus difficile d'avoir ton intimité, il y a toujours quelqu'un qui sait ce que tu fais et qui fouine dans la fenêtre, dit en riant Alain Nuckle. Mais je vois juste des avantages à habiter près de la famille.»

Aujourd'hui, sa fille de 5 ans côtoie ses grands-parents presque quotidiennement. Après le travail, il va parfois retrouver son grand-père Jean-Paul, son «meilleur ami», à la taverne Aux verres stérilisés pour une bière.

Alain Nuckle est né dans un des triplex, mais c'est en banlieue de Montréal qu'il a grandi jusqu'à la jeune vingtaine, quand il y est revenu. «C'était dans mes plans de revenir. Tous mes souvenirs de jeunesse sont ici. Je passais mes fins de semaine chez ma grand-mère, je suis bien ici», dit-il.

Il concède une certaine part de nostalgie. «Mon père est mort quand j'avais 6 ans. La plupart de mes souvenirs de lui sont ici, c'est ici qu'il a vécu sa jeunesse. La maison, c'est un lien avec mon père, avec une de mes tantes que j'aimais beaucoup. J'aime à penser qu'ils ont laissé une parcelle d'eux ici», dit-il, ému.

Pas à vendre

En 100 ans, le Plateau a bien changé et, depuis quelques années, les offres d'achat ont commencé à affluer. «Des offres pour acheter la maison, mon grand-père en a une sérieuse par mois», dit Alain Nuckle. Il se souvient d'une fois où celui-ci a sérieusement songé à vendre.

«Il a réalisé que s'il vendait la maison, le nouveau propriétaire ne nous garderait pas. Ou bien il nous louerait à des prix incroyables. Je pense qu'il a réalisé qu'il aurait les poches pleines, mais qu'il serait seul.»

Avis aux promoteurs: quand le «jour va arriver» où son grand-père n'y sera plus, Alain Nuckle n'envisage pas de vendre. À la seule évocation de la chose, il oppose un «non» catégorique. «Vendre, ce n'est pas une option. Ce serait au détriment de trop de souvenirs. Je veux que ma fille grandisse ici, j'aime mes voisins, j'aime le quartier», dit-il.

Comme son grand-père et son arrière-grand-père l'ont fait avant lui, il prend grand soin du bâtiment, une tâche qui l'occupe plusieurs fins de semaine par année. «C'est ma fierté», dit-il.

C'est ainsi que l'été, en passant devant l'un des trois triplex que la famille occupe, vous verrez peut-être trois générations assises dans les escaliers escarpés, jasant avec les voisins, saluant les passants. Fiers d'une tradition centenaire.