La population vieillit. D'où une demande croissante de maisons intergénérationnelles ou à logement parental. Mais celle-ci reste marginale et donne lieu, actuellement, à une certaine accalmie. «La permissivité est plus grande. Pourtant, on en réclame peu», déclare Caroline Tremblay, urbaniste au service de la Ville de Québec.

La population vieillit. D'où une demande croissante de maisons intergénérationnelles ou à logement parental. Mais celle-ci reste marginale et donne lieu, actuellement, à une certaine accalmie. «La permissivité est plus grande. Pourtant, on en réclame peu», déclare Caroline Tremblay, urbaniste au service de la Ville de Québec.

 Entrepreneur de L'Ancienne-Lorette et président de la société SMB Construction, Sylvain Tremblay constate, lui aussi, un repli de la demande. Après que son entreprise eut construit une cinquantaine d'habitations de ce type durant les 10 dernières années, il n'y en a aucune, à présent, dans son carnet de commandes.

 Les maisons à logement parental sont également au nombre des «produits» qu'offre Construction Maurice Bilodeau inc. de Saint-Rédempteur. «Cela fait partie de notre vitrine. D'autant que les villes et arrondissements, souvent, le permettent», déclare son pdg, Marc Vaillancourt.

 Ce dernier raconte que sa société en construit une ou deux par année. En 2006, elle s'est même mé-ritée, à cet égard, un trophée d'excellence (Nobilis) de l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ).

 D'un autre côté, il est persua- dé que davantage de familles en exigeront, car les baby-boomers joindront en force les rangs du troisième âge entre 2010 et 2021. La cohabitation intergénérationnelle s'ajoute maintenant au logement en copropriété, au logement locatif, à la maison jumelée et aux résidences pour aînés dans l'éventail des façons d'habiter.

 Mais, déplore-t-il, il est difficile d'agrandir une maison latéralement ou de construire une habitation intergénérationnelle toute neuve sur un terrain de 50 pieds de façade. «C'est en arrière, au détriment de la cour, du jardin ou de la piscine, qu'il faudrait implanter le logement parental. Cependant, lorsque la façade a 60 pieds, la probabilité de le faire est accrue», explique l'homme d'affaires.

 Ce sont les maisons de coins de rue, plaide pour sa part Sylvain Tremblay, qui se prêtent le mieux à l'édification de pareils logements. Il y a plus de place aussi bien pour la construction que pour les espaces de stationnement.

 Pratique marginale

 Professeure au département d'anthropologie de l'Université Laval, la Dre Manon Boulianne soutenait, en 2005, sur la base d'une enquête empirique faite quelques années plus tôt, que la cohabitation intergénérationnelle, qui a principalement pour objet «d'améliorer les conditions de vie de personnes proches pour qui on a de l'affection», est une pratique marginale, voire excentrique.

 «Les familles qui s'y engagent savent bien qu'elles ne suivent pas la norme», écrivait l'universitaire dans un article publié dans le périodique Recherches féministes. Et que ce mode d'occupation, qui vise aussi à briser l'ennui et l'isolement des parents, va comme un gant aux familles en harmonie et très unies affectivement.

 En 2006, par ailleurs, un porte-parole de la Société d'habitation du Québec notait un certain intérêt, dans la population, pour les logements parentaux. Intérêt qu'il jugeait sporadique.

 Il se concrétisait davantage, selon lui, dans les duplex et maisons jumelées, qui consacrent l'existence de deux ménages distincts, avec chacun son adresse. Sans être reconnus, cependant, comme habitations intergénérationnelles.

 Encore que le duplex, d'après le président de SMB Construction, n'est pas réputé être une façon normale d'habiter bigénérationnellement. Car les parents, en raison de leur âge, ne sont pas intéressés à habiter le second étage; les jeunes ménages, en raison de leurs besoins et celui de leurs enfants d'accéder directement à la cour, non plus.

 Selon l'APCHQ de Québec, il y aurait au moins une centaine de maisons du genre dans la région.

 «Le Code du bâtiment, à cet égard, ne contient aucune stipulation, tellement le concept est nouveau. Néanmoins, il est clair aux constructeurs qu'il faille des portes et murs coupe-feu et autres éléments mécaniques sécuritaires», dit le conseiller technique de l'organisme, Guy Simard. Car on ne fait pas un logement parental comme on finit un sous-sol.

 Il lui paraît évident, en revanche, que le besoin sera croissant. La population prend de l'âge et ne peut plus compter sur l'État, juge-t-il

Les villes restent sur leurs gardes

 Les villes sont persuadées du bien-fondé des maisons intergénérationnelles ou à logement parental, mais elles sont sur la corde raide dans les quartiers où un seul logement est permis. C'est pourquoi leur implantation est très encadrée.

 «Une fois que les parents occupant le logement supplémentaire seront partis, à qui sera-t-il loué? Impossible, en principe, de vérifier», appréhende Caroline Tremblay, urbaniste au service de la Ville de Québec. La Ville craint donc que la maison ne devienne tôt ou tard locative.

 Pour accroître la densification, Québec intégrera bientôt les maisons intergénérationnelles à une réglementation des maisons à deux logements.

 Entre-temps, à Québec tout comme ailleurs, l'implantation des maisons  intergénérationnelles est rigoureusement encadrée, et ce, selon chaque arrondissement. À Saint-Rédempteur, par exemple, l'entrée principale doit être commune aux deux logements s'il s'agit d'un réaménagement ou d'un agrandissement. Quant au numéro civique, il est obligatoirement commun.

 La superficie doit avoir un minimum de 387 pi ca (36 mètres carrés), mais sans dépasser celle du logement principal. Par ailleurs, le logis ne peut contenir plus de deux chambres à coucher.

 Enfin, l'apparence extérieure doit être intégrée à l'architecture du bâtiment, sans en modifier le caractère familial. Sans compter le respect des marges de recul par rapport aux voisins.

 Créativité freinée

 «Difficile, avec pareils imposés, qui varient d'un secteur ou d'un arrondissement à l'autre, de mettre en oeuvre un projet», déclare Yvon Laplante, designer d'intérieur et entrepreneur général de Saint-Romuald. Car il faut accorder l'agrandissement à beaucoup de détails réglementaires qui inhibent, au fond, la créativité.

 «On préfère les fautes de goût dans le respect de l'urbanisme à la beauté avec dérogations», déplore-t-il.

 «Mais quel que soit l'endroit où vous habitez à Québec, vérifiez si votre secteur (...) correspond à une zone de deux logements, voire à logements parentaux permis», recommande Caroline Tremblay.

 Cap-Rouge non, Lévis oui

 À Cap-Rouge, on est peu favorable à la maison intergénérationnelle. À Val-Bélair aussi, mais seulement de façon théorique. Dans l'ancien Lévis, c'est oui. Avec cuisine commune, toutefois. À Sainte-Foy et Sillery, oui également, mais que dans les secteurs où les maisons à deux logements sont permis. À Charlesbourg, enfin, on est ouvert partout à l'implantation de maisons à deux logements. Intergénérationnelles ou non.

En chiffres

 100 Maisons intergénérationnelles environ dans la région de Québec

 60 pieds de façade sont nécessaires pour construire un logement parental qui n'empiète pas sur la cour arrière

Frapper avant d'entrer

 Deux familles, l'une à Charlesbourg depuis 2002, l'autre à Val-Bélair depuis 2004, vivent respectivement dans une maison à logement parental et ne cessent de s'en féliciter.

 «C'est la plus belle réalisation de ma vie», déclare, depuis la rue de l'Odyssée dans l'arrondissement de Charlesbourg, Denys Hawey.

 En 2002, les Hawey ont fait oeuvre de pionniers. Ils venaient d'en découdre avec un corridor réglementaire étroit en mettant en place un logement contigu pour leurs parents.

 Leur mère, Denise, n'est plus. Leur père, à présent, occupe seul le logement. Ils lui prêtent assistance et sont rassurés, plus que jamais, qu'il soit près d'eux.

 Chez les Hawey, parents et enfants s'entendent bien. Leurs liens ont toujours été tissés serré. Tout comme les Hunter à Val-Bélair.

 Pas de va-et-vient inutile

 Rita Hunter, septuagénaire, occupe le logement parental de 665 pi ca. Son fils, Gary, Marie-Josée Bélanger, sa compagne, et Victoria, leur fillette, le logement principal.

 «L'hiver, je m'absente quelque temps. Mon fils et sa famille surveillent mon appartement. L'été, ils vont à l'occasion au chalet, c'est moi qui veille», dit l'énergique dame, une grande internaute.

 Éducatrice en service de garde en milieu scolaire, Marie-Josée révèle qu'il n'y a pas de va-et-vient inconsidéré d'un logement à l'autre. «On ne va pas chez l'autre inutilement ou de façon improvisée. Le respect prévaut. Avec l'accord tacite de frapper avant d'entrer», continue-t-elle.

 Vivre auprès de sa belle-mère

 Des amis, se souvient-elle, lui avaient déclaré qu'elle devait être "faite forte" pour aller vivre auprès de sa belle-mère. Étant elle-même nourrie de l'affection de sa propre famille, y compris de son cousinage, elle était persuadée que tout irait bien. Et cela s'est avéré.

 D'une autre part, entre Victoria et sa grand-mère, c'est une histoire d'amour. Jamais la gamine ne part pour l'école sans avoir couru l'embrasser.

 Gary Hunter, lui, est informaticien. Il a la tête froide, mais le coeur chaud. Sa petite famille et lui habitaient L'Ancienne-Lorette, et sa mère Duberger, quand il lui a proposé d'acheter un terrain assez grand sur lequel il construirait une maison avec logement parental. Ils allaient donc vivre côte à côte.

 "Bien que ma mère ait vécu 42 ans à Duberger, elle a accepté. Le projet a été amorcé. Les plans discutés avec l'arrondissement de Val-Bélair. Nous avons voulu deux espaces de stationnement distincts. Nous avons essuyé un refus. Il fallait qu'ils soient jumelés et, finalement, c'est bien ainsi", détaille-t-il.

 D'un autre côté, afin que le logement parental ne soit pas dissocié de la maison et vendu, l'arrondissement a exigé que la moitié de son sous-sol fasse partie du grand corps de logis.

 Lorsque les gens passent devant la maison, raconte Gary, ils constatent qu'il ne s'agit pas d'un jumelé. Ils demandent des explications. D'autres apprennent qu'elle est à logement parental et veulent savoir comment on s'y prend pour y parvenir. Il y a un intérêt, constate-t-il.