Parce qu'il nous oblige à démonter notre univers familier et à faire le tri, le déménagement provoque souvent de profonds questionnements. Quelles possessions sont importantes pour moi? En d'autres termes, quelles sont mes valeurs? Pour y voir plus clair, quoi de mieux qu'un entretien avec Perla Serfaty-Garzon, psychosociologue et chercheuse, qui abordait déjà ce sujet dans Chez soi - Les territoires d'intimité (éd. Armand Colin).

Un déménagement fait-il aussi appel à la force morale?

Certainement! Le déménagement oblige à faire un saut dans le vide. Il faut démonter ce qui fait notre maison, cette ambiance qui nous ressemble, ces objets disposés avec soin. Le tri, particulièrement, est anxiogène, ramenant à la conscience des choses oubliées et soulevant des questions intimes. Il remet en question nos valeurs : qu'est-ce qui compte, à part les objets minimaux qui permettent de vivre bien?

Recommencer ailleurs est tout de même positif?

Le simple fait de déménager est porteur d'espoir. On se dit, par exemple: «Je vais enfin avoir plus d'espace, plus de rangement.» C'est peut-être lié à la venue d'un nouvel enfant, à une promotion, ou bien c'est la possibilité de vivre dans un nouveau quartier... C'est une projection dans l'avenir, dynamique, une occasion d'exercer sa créativité. Si on déménage dans plus petit, on se dit: «Je vais être plus libre, avec moins de responsabilités, je suis heureux de me débarrasser de ces vieux meubles, de ces vieilles archives.» Même l'emménagement dans sa dernière maison peut être une occasion d'appropriation.

Certains vivent-ils le déménagement comme un deuil?

Quand, par exemple, ils déménagent à contrecoeur. Cela retarde l'appropriation du nouveau lieu. On peut aussi regretter de perdre certains symboles de son statut, ou, parfois, de voir ses belles possessions dédaignées, par exemple, par les enfants, etc.

Le déménagement est-il difficile pour la vie de couple?

RLes conflits dans le couple sont réactivés au cours de ce microdrame qu'est le déménagement. L'harmonie dépend de la tolérance de chacun vis-à-vis des singularités de l'autre. Pensez à ceux qui transportent de maison en maison des boîtes qu'ils n'ont pas ouvertes depuis 12 ans...

Est-ce plus difficile pour une personne seule?

La solitude est plus lourde lors d'un déménagement. Il faut faire seul un travail que les autres font avec la famille et les amis. Il ne faut pas sous-estimer la fatigue physique d'un déménagement ! L'aide d'un réseau est importante. Elle diminue la fatigue physique et morale. Mais là aussi, le déménagement peut être un événement positif si on va, par exemple, dans un quartier plus propice à la vie sociale, animé, où il y a plus de services.

Comment présenter le déménagement aux enfants?

En essayant de compenser l'aspect «arrachement» par des perspectives positives. En présentant les avantages et le potentiel de la situation: des nouveaux meubles, une chambre avec vue sur la cour... Il est bon également de responsabiliser les enfants: qu'ils choisissent eux-mêmes ce qu'ils donnent et ce qu'ils veulent conserver. Mais quelques tiraillements sont inévitables.

Et si l'enfant ne s'épanouit pas dans son nouvel environnement?

On pourrait croire, à tort, que c'est à cause du déménagement. Ce dernier va plutôt cristalliser un problème déjà existant. C'est de cela qu'il faut s'occuper. En général, les choses se mettent en place progressivement pour l'enfant: de nouveaux copains, une familiarité avec le quartier. Le temps est un facteur important. S'approprier un nouvel environnement prend du temps. Il ne suffit généralement pas d'accrocher un tableau pour se sentir chez soi. Un chez-soi se construit lentement.

Un conseil à donner, à ceux qui déménagent?

Connais-toi toi-même. Quand on sait ce qui compte pour soi, ce à quoi on tient, on est capable de trier ses choses et de rester calme. On connaît ses limites et on les fait respecter.