Et si l'on construisait autrement les habitations, pour qu'elles répondent aux besoins de leurs occupants tout au long de leur vie? Certains y pensent... et d'autres passent à l'action.

Répondre aux besoins de tous

En 2013, Mathieu Lamarche a innové quand il a construit son premier immeuble résidentiel locatif à Sainte-Agathe-des-Monts, en ayant recours à la géothermie. Le hic: il ne pouvait même pas y entrer, à cause des marches. En fauteuil roulant à la suite d'un accident de moto survenu en 2002, il avait effectivement reproduit ce qui se fait habituellement. «Un mauvais réflexe», convient-il. 

Mais on ne l'y prendrait plus.

Mathieu Lamarche s'est assuré, quand il a ensuite érigé un immeuble locatif à Lachute, qu'il n'y aurait ni marche ni escalier pour y pénétrer, qu'il y aurait un ascenseur et un garage intérieur.

C'est bien, mais ce n'était pas encore parfait, a constaté celui qui est président du Groupe GDI. Il a voulu aller beaucoup plus loin en construisant le complexe locatif TerraNova, à l'entrée du quartier Urbanova, à Terrebonne.

Au coeur de sa réflexion: les défis que présentent une mobilité réduite et le vieillissement de la population.

Avec l'accord de son partenaire financier, la famille Benoit, il a privilégié une approche à long terme, se demandant quels seront les besoins des locataires dans 20 ans. Il a donc décidé de réaliser des immeubles universellement accessibles, conçus pour accueillir une clientèle aux besoins multiples.

Dans les deux premières phases de son projet, 56 des 148 logements (38 %) sont ainsi adaptables. Il sera facile d'y apporter des changements si certains occupants perdent progressivement ou de façon permanente certaines capacités physiques.

«Dans 20 ans, les retraités représenteront 50 % de notre clientèle, estime M. Lamarche. On a voulu bâtir des immeubles adaptés à la prochaine génération de locataires.»

Un exemple particulièrement frappant: les couloirs font 1,8 m (6 pi) de largeur. Tous les stationnements (même ceux pour les visiteurs) sont intérieurs. Dans les logements adaptables, il sera facile de faire certaines modifications pour accommoder un locataire en fauteuil roulant ou à mobilité réduite puisque, d'entrée de jeu, les cadres de portes de ces logements sont plus larges et la salle de bains offre une aire de manoeuvre de 1,5 m (5 pi). La cuisine est aussi conçue pour faciliter les déplacements et l'accès aux plans de travail.

Mathieu Lamarche y est allé un peu à tâtons, en se basant sur le guide Un logis bien pensé - j'y vis, j'y reste, de la Société d'habitation du Québec, publié en 1999. Il a suivi attentivement la hauteur des seuils de portes, a fait installer une génératrice et deux ascenseurs, plutôt qu'un seul, dans la première phase de 69 logements.

Il faut dire qu'il est en mesure d'identifier les besoins. Par exemple, «je peux ouvrir les portes, mais je m'arrache le coeur, confie-t-il. J'ai donc fait installer des ouvre-portes automatiques, à près de 2000 $ chacun».

Le complexe comporte d'autres caractéristiques intéressantes: un dépanneur ouvrira ses portes au rez-de-chaussée, le toit est assez solide pour accueillir un jour des panneaux solaires et un espace est prévu dans le garage pour un parc de cinq voitures électriques en autopartage.

Mathieu Lamarche, qui vise une certification Novoclimat, aurait aimé qu'une certification pour les bâtiments en matière d'accessibilité universelle existe. «Je me suis beaucoup servi de mon expérience, souligne-t-il. Tous les membres de mon équipe ont aussi l'accessibilité à coeur.»

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La largeur des couloirs se remarque tout de suite. Ceux-ci mesurent 1,8 m (6 pi) de largeur. À noter: les poignées à levier, faciles à ouvrir.

Contrainte... ou avantage?



Ce type de logement demeure l'exception dans le marché résidentiel privé. Comment renverser la vapeur? Société Logique, dont la mission est de promouvoir la création d'environnements universellement accessibles, constate que la notion même d'accessibilité universelle, bien que de plus en plus connue, n'est pas attirante. 

«Elle ne rapporte pas un cent aux promoteurs et est associée aux rampes d'accès et au logo des personnes handicapées, déplore Isabelle Cardinal, directrice des services de consultation de l'organisme à but non lucratif. C'est pourquoi personne ne s'en préoccupe. On se retrouve avec des constructeurs et des acheteurs qui n'en veulent pas et une réglementation qui n'exige rien.»

Las de prêcher dans le désert, les membres de Société Logique changent de cap, préférant parler de design universel.

«C'est plus large, souligne Angélique Liard, consultante auprès de l'organisme. Cela veut dire concevoir en pensant aux besoins de tous, incluant ceux qui se cassent une jambe et ont temporairement de la difficulté à se déplacer. Pour susciter de l'intérêt, il faut que le design universel soit vu comme un avantage pour tous et non comme une contrainte.»

La population vieillit, il faut voir les choses autrement, pour tenir compte de ceux qui voient ou entendent moins bien, qui ont de la difficulté à se pencher ou embarquent moins facilement dans la baignoire, renchérit Isabelle Cardinal.

Une réflexion est engagée. La Régie du bâtiment du Québec travaille pour comprendre les enjeux et mieux y répondre, indique Rym Raoui, architecte à la direction du bâtiment et des installations techniques. «L'objectif, c'est de faire évoluer les façons de faire et les pratiques pour arriver à des villes plus inclusives», précise-t-elle.

Dans le domaine résidentiel, par exemple, le processus d'élaboration d'un règlement est en cours pour permettre une plus grande accessibilité et adaptabilité à l'intérieur des logements, dans les nouvelles constructions de plus de huit logements et de plus de deux étages, qui ont une entrée accessible au rez-de-chaussée et un ascenseur.

«Le volet réglementaire peut aider, mais la sensibilisation est aussi essentielle, souligne Mme Raoui. Des éléments peuvent faciliter l'accessibilité sans être coûteux.»

Un exemple? L'installation de poignées à levier, plutôt que rondes. Il suffit d'y penser pour que tous puissent ouvrir les portes plus facilement, peu importe leur condition...

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Les interrupteurs sont à une hauteur facilement accessible.

Vieillir chez soi

Mariés depuis 47 ans, Liette et Robert Marien viennent d'emménager dans un appartement où ils espèrent demeurer une bonne quinzaine d'années. 

Cela tombe bien: leur logement a été conçu de façon à pouvoir aisément être modifié si leur condition physique l'exige. Ils pourront donc y rester longtemps.

Autonomes, ils ont habité au cours de la dernière année dans une résidence pour personnes âgées et ont détesté l'expérience.

Le fait que le complexe locatif TerraNova qu'ils ont maintenant choisi, à Terrebonne, ne soit pas réservé à une population âgée leur plaît beaucoup.

Des jeunes professionnels, des préretraités et des retraités s'y côtoient. Quelques jeunes familles y ont aussi élu domicile. 

Quatre critères



Rares sont les constructeurs qui se soucient de réaliser des logements adaptables. Mais l'idée fait lentement son chemin. Depuis l'an dernier, à Victoriaville, les entrepreneurs doivent ainsi respecter quatre critères liés à l'accessibilité universelle lorsqu'ils construisent tout type d'habitation. 

Ils doivent poser un contreplaqué derrière le gypse pour faciliter l'installation future de barres d'appui près des toilettes et de la baignoire. Les prises de courant et les interrupteurs doivent se trouver à une hauteur accessible. Les portes à l'intérieur doivent avoir une largeur de 34 po minimum et les portes extérieures, de 36 po. Le niveau principal d'une maison doit être à aire ouverte ou les couloirs doivent avoir au moins 42 po de largeur.

«Les maisons servent à abriter des humains, dont les besoins et certaines capacités changent avec le temps, indique Nathalie Roussel, responsable de l'accessibilité universelle à Victoriaville. Les quatre mesures étaient facultatives à l'intérieur de notre programme encourageant la construction d'habitations plus respectueuses de l'environnement. Elles sont devenues obligatoires, car elles ne sont pas complexes et ne coûtent pratiquement rien, tout en évitant des dépenses beaucoup plus élevées plus tard.»

Les villes doivent être visionnaires en ce qui concerne l'avenir de leur territoire, précise-t-elle. «Elles doivent s'assurer que ce qui se construit va bien vieillir. Ce sera plus rentable sur les plans économique, social et environnemental.»

La municipalité a lancé en 2011 le programme de subventions et d'attestations Victoriaville Habitation durable, adopté depuis par six autres municipalités au Québec (Dixville, Petite-Rivière-Saint-François, Val-David, Saint-Valérien, Varennes et Plessisville). Parmi la liste d'éléments pouvant être sélectionnés pour obtenir des points, une dizaine sont liés à l'accessibilité universelle, encourageant par exemple l'élimination de marches et l'aménagement d'une salle de bains au rez-de-chaussée pour mieux répondre aux besoins susceptibles d'évoluer avec les années.

Mieux vaut prévenir



Lors de la construction de cinq types d'habitations, combien coûterait l'intégration d'une soixantaine de caractéristiques, qui permettraient aux occupants de vieillir chez eux, s'est justement demandé la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). Elle a commandé une étude à Société Logique, qui a évalué les coûts dans cinq villes au pays, dont Montréal. Résultat? Environ 75 % des éléments reviendraient à moins de 500 $ et 57 % d'entre eux n'engendreraient aucun coût ou presque (poignées et robinets à levier, interrupteurs à une hauteur accessible, bas de la fenêtre situé à un maximum de 760 mm (30 po) du sol, toilettes adjacentes au mur, comptoir continu entre la cuisinière et l'évier, baignoire dégagée sur toute sa longueur, etc.). Environ 8 % des caractéristiques entraîneraient des dépenses variant entre 500 $ et 1000 $ (davantage de tiroirs et de tablettes dans les armoires de cuisine, structure aisément modifiable sous la douche, etc.).

«Le désir de vieillir chez soi est prévalent chez les aînés de demain, constate Étienne Pinel, conseiller en transfert de connaissances à la SCHL. L'étude démontre que le coût pour intégrer dès la construction diverses caractéristiques, qui rendront l'habitation accessible et davantage adaptable, est relativement faible.»

Dans le contexte du vieillissement de la population, constate-t-il, l'intérêt pour cette question est croissant.

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Robert Marien compte demeurer plusieurs années dans l'appartement où il vient d'emménager avec sa femme Liette, dans le complexe TerraNova, à Terrebonne. Cela tombe bien: le logement pourra être modifié au gré de leurs besoins. En attendant, l'octogénaire apprécie notamment la spacieuse cuisine.

Cuisiner en tout confort, à tout âge

Plusieurs solutions existent déjà pour optimiser la cuisine de façon à y travailler en tout confort, que l'on soit à un âge avancé ou non, ou en fauteuil roulant. Voici certains produits mis de l'avant par Véronique St-Cyr, de chez Richelieu, qui permettent d'avoir aisément accès au contenu des armoires et des tiroirs.

1. Les tablettes coulissantes du système Cavare sont peu profondes. Puisqu'elles sont extensibles, ustensiles, bols et casseroles se trouvent à portée de la main.

2. Plus besoin de monter sur un petit banc pour atteindre les tablettes du haut. Cet ingénieux système escamotable est doté d'un levier, qui permet de tirer aisément les armoires du haut, vers le bas.

3. Il n'y a plus de recoin inaccessible avec le système de plateaux pivotants pour armoires de coin LeMans. Les tablettes sortent complètement du caisson pour se retrouver à l'air libre.

4. Un éclairage avec détecteur de mouvements intégré améliore le confort dans la cuisine. Un tel système peut être installé à l'intérieur des armoires et des tiroirs, ainsi qu'en dessous des armoires du haut.

5. Une table escamotable s'avère fort utile dans de petits espaces. Ce mécanisme coulissant peut aussi rendre un fier service à ceux qui préfèrent cuisiner sur une surface moins haute.

PHOTO FOURNIE PAR RICHELIEU

La cuisine peut être conçue de façon à pouvoir y travailler avec facilité pendant de nombreuses années. Plusieurs options permettent d'avoir aisément accès au contenu des armoires et des tiroirs, comme le démontre cette cuisine aménagée avec divers mécanismes et produits de l'entreprise Richelieu.