Pour bien des étudiants du Québec, la rentrée, c'est aussi la rencontre de nouveaux colocataires. Décision d'ordre financier dans bien des cas, l'expérience devient pour certains un mode de vie. Mais pour relever les défis de la colocation, il y a des règles à suivre. Trucs et astuces.

L'ABC de la colocationColocation. Un mot qui évoque pour plusieurs un logement d'étudiants à la propreté un peu douteuse et au décor pas toujours harmonieux. Mais il est possible de rendre l'expérience enrichissante, sur le plan tant personnel que financier.

«Quand les règles sont claires, ça facilite les choses, soutient d'entrée de jeu Hélène Belleau, professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l'INRS. Mais j'aurais tendance à dire que les gens entrent en colocation par nécessité, alors ce n'est pas nécessairement très planifié. Surtout si c'est une première location et que l'on est en apprentissage de l'autonomie.»

La chercheuse vient justement d'entreprendre une étude exploratoire pour comprendre comment se passe la vie quotidienne en colocation. «Il existe un large spectre de types de colocation, certains où les colocataires sont très indépendants et d'autres qui s'apparentent à des communes, explique-t-elle. La nourriture est partagée, on perçoit même l'expérience comme un idéal social de consommation plus responsable. On n'agit plus simplement par souci d'économie, mais davantage par engagement social.»

C'est le cas de La Cafétéria, le nom que s'est donné un groupe de colocataires formé de quatre hommes et trois femmes qui vivent en communauté dans deux logements d'un immeuble d'Hochelaga-Maisonneuve. «Ce n'est vraiment pas comme une commune, où tout le monde vit ensemble, prévient Laurent Levesque, l'un des initiateurs du projet, lancé il y a huit ans. Nous disposons de plusieurs espaces de séjour qui permettent aux gens d'être seuls, alors qu'ailleurs, ça peut être plus actif.»

«Ce n'est pas parce qu'on est plusieurs que l'on veut être tout le temps avec les autres. On a besoin d'équilibre entre espaces personnels et participatifs.»

Le logement principal compte six chambres à coucher, la cuisine, un salon, une salle à manger, un atelier et deux salles de bains. À l'étage, on trouve deux autres chambres, une cuisine et un salon. L'espace foisonne donc d'espaces de vie.

Mais la personne qui voudrait se joindre au groupe doit savoir qu'il ne s'agit pas simplement de partager un toit et quelques factures. «On conserve les bénéfices économiques de la colocation, mais on construit au-dessus un projet collectif, explique Laurent Levesque qui, incidemment, travaille dans le milieu de l'habitation collective. Le logement, c'est plus qu'un toit, c'est un milieu de vie.»

Des colocataires triés sur le volet

Le modèle est possible parce que chacun respecte un mode de fonctionnement bien huilé. «Toutes les factures de bouffe sont mises en commun. On organise des activités ensemble, des soupers collectifs. Le système évolue depuis qu'on l'a créé, ajoute Laurent Deslauriers. On en parle dans des réunions mensuelles, on aborde aussi les façons d'exprimer notre mécontentement.»

Le groupe ne choisit donc pas ses colocataires à la légère. «Notre processus de sélection est assez intense, reconnaît Richard Lavoie-Levasseur, le dernier à s'être joint à La Cafétéria. J'ai d'abord passé un week-end avec eux, et ensuite une semaine complète. Il faut apprivoiser beaucoup de choses en peu de temps. C'est un peu paradoxal: on voudrait être le plus inclusif possible, mais notre système peut s'avérer difficile pour certaines personnes qui ne partagent pas nos valeurs ou qui ne sont pas issues de nos cercles socioéconomiques. Si les gens ne sont pas à l'aise avec notre façon de faire, ils vont naturellement s'isoler et s'auto-exclure. Quand ça va bien, c'est cool, mais si tu es mal dans ta peau, ça peut être difficile...»

Mais tous s'entendent pour dire que les efforts d'intégration requis valent largement le coût. «C'est un lieu d'empowerment extraordinaire, un lieu de communication de projets sans pareil, on est une vraie communauté, des amis. D'ailleurs, j'ai bien hâte de retrouver ma gang», avoue Laurent Deslauriers, actuellement en voyage dans l'ouest du pays.

Chacun pour soi

À l'autre bout du spectre, Noémie Gagnon et Marie-Pierre Cantin viennent de commencer leurs études collégiales au cégep Garneau de Québec. À 17 ans, elles en sont à leur toute première expérience de colocation. «J'ai pensé faire l'aller-retour chaque jour entre le cégep et la maison de mes parents, à Saint-Raymond, mais ils voulaient que je me concentre sur mes études. Comme les heures sont comptées, c'était la meilleure option», explique Marie-Pierre Cantin. 

Quant à l'organisation de la vie en colocation, elles ont opté pour la simplicité: «On n'a pas encore de règles pour l'instant, souligne Noémie Gagnon. On met notre vaisselle en commun, au salon, on partage tout. Mais on sépare nos trucs de salle de bains et la bouffe.»

En cas de pépin, les filles comptent sur leur grande amitié. «On a joué cinq ans au basket ensemble, je connais le caractère de Noémie, on s'entend bien, soutient Marie-Pierre. On n'est pas gêné de se parler, je suis capable de tout lui dire.» Et surtout, elles sont conscientes que la communication reste la clé de tout.

Leçons de maîtresIls surnomment leur projet collectif d'habitation «La Cafétéria». Leur milieu de vie se veut tolérant et flexible, mais la cohésion repose sur un système rodé au quart de tour, basé sur le consentement, l'ordre et l'organisation de l'espace, le partage et la confiance, le tout saupoudré d'une bonne dose d'humour. On a fait le tour du logement en compagnie de Richard Lavoie-Levasseur, l'un des colocs de cette fascinante communauté qui est le résultat de huit ans de colocation active.

Ruban magiqueIl y a du ruban à masquer un peu partout dans l'appartement, mais c'est surtout vrai dans la cuisine. Comme toute la nourriture est partagée et que tout le monde participe aux achats, on identifie clairement ce qui se trouve dans les pots et parfois même comment s'en servir. Le ruban est aussi utilisé pour laisser de courts messages. «La mention BEH, pour "back-up en haut", permet aussi de savoir que certains aliments sont aussi disponibles dans le garde-manger du logement d'en haut», précise Richard.

Repas communsC'est lors des réunions mensuelles obligatoires que sont déterminés l'horaire des repas communs et ceux qui en seront responsables. Il y en a généralement trois par semaine, et on en profite pour faire des quantités suffisantes pour préparer des lunchs pour le lendemain. L'horaire est ajusté selon les saisons - l'été est moins occupé avec les vacances de tout un chacun - ou selon les périodes de l'année - on fait relâche pendant les sessions d'examen, par exemple.

Tiroirs individuelsLa nourriture est partagée, c'est aussi le cas des produits de pharmacie, mis à part les médicaments d'ordonnance. Mais des tiroirs individuels ont été aménagés dans la salle à manger, les colocataires y rangent principalement des effets personnels reliés au travail, car l'endroit sert aussi de bureau. La pièce, qui a déjà servi de chambre à coucher, a repris sa vocation principale. Elle abrite aussi le bar, qui sert à tous et qui est approvisionné par tous. «Ça prend des gens responsables, c'est certain», reconnaît Richard.

Tâches en rotation«Il y a deux ou trois choses qui sont non négociables, et la principale est la propreté des lieux», soutient Richard Lavoie-Levasseur. L'entretien ménager est organisé selon un tableau de tâches hebdomadaires qui sont faites à tour de rôle par tous les colocs. «Mais on essaie d'améliorer le système parce qu'il ne fonctionne pas, reconnaît Richard en rigolant. Certaines tâches ne sont pas essentielles, alors on réfléchit à un système plus complexe qui peut incorporer les tâches régulières et celles à réaliser en rotation.» Quant aux corvées saisonnières, on détermine une date en réunion mensuelle, et tous doivent y participer.

Tableau des achatsQuand une denrée vient à manquer, les colocs sont appelés à communiquer l'information en l'inscrivant sur un babillard commun. Les achats se font donc en consultant cette liste mise à jour par tout le monde. Il y a plusieurs listes en fait, regroupées selon les différents types de produit ou d'aliment, ou encore selon le commerce qui les vend. Quand quelqu'un fait des achats, il doit mettre la liste à jour. «C'est une responsabilité collective de garder ce tableau à jour», soutient Richard.

Outils informatiquesTout le système repose sur la confiance, mais aussi sur un robuste système de communication et de comptabilité. Chaque coloc a la responsabilité d'entrer ses factures dans un tabulateur qui ajuste la part mensuelle de chacun en fonction de ses dépenses respectives. Également, chacun sait qui doit de l'argent à qui. Aussi, le groupe utilise le logiciel de communication Slack pour traiter efficacement de tous les sujets dignes de mention.

Atelier de véloTous les colocs étant de fervents cyclistes, un atelier de vélo a été installé au sous-sol, mais il peut au besoin être transformé en salle de couture ou pour y accueillir des visiteurs. Encore une fois, tout fonctionne ici sur une base communautaire. Les outils et l'équipement d'entretien sont mis en commun, alors que le coût des pièces est ajouté au bilan mensuel de chacun. «Encore une fois, on se fie à l'honnêteté des gens, dit Richard. De toute façon, si quelqu'un trichait, ça finirait par se savoir. Ce n'est à l'avantage de personne.»

Photo André Pichette, La Presse

Comme toute la nourriture est partagée et que tout le monde participe aux achats, on identifie clairement ce qui se trouve dans les pots et parfois même comment s'en servir.

L'étonnant poids locatif des étudiantsLes étudiants sont les champions de la colocation. À un point tel qu'ils ont un poids considérable dans le marché locatif de certains quartiers centraux. C'est ce qui ressort d'une vaste étude réalisée par l'UTILE, l'Unité de travail pour l'implantation de logement étudiant, qui a sondé 17 000 étudiants provenant de 12 campus universitaires québécois.

Coup d'oeil au logement étudiant

Selon l'étude PHARE 2017 (Prospection des habitudes et aspirations résidentielles étudiantes 2017), dont La Presse a obtenu les grandes lignes en exclusivité, le deux tiers des étudiants sont locataires. «Une petite partie est propriétaire, il s'agit surtout d'étudiants adultes qui font un retour aux études ou qui poursuivent des cours à temps partiel», précise Laurent Levesque, coordonnateur général de l'UTILE. Le quart des étudiants habitent chez leurs parents.

Locataires: 68 %

Propriétaires: 7 %

Chez leurs parents: 25 %

Source: Prospection des habitudes et aspirations résidentielles étudiantes 2017, Unité de travail pour l'implantation de logement étudiant.

Majoritairement colocataires

Les étudiants locataires choisissent la plupart du temps d'habiter en colocation. Presque trois quarts d'entre eux, en fait. «L'étude nous a permis de confirmer quelques lieux communs, notamment le fait que les étudiants vivent en colocation, a soutenu Laurent Levesque. C'est d'autant plus pertinent qu'il s'agit de la plus grande cueillette de données sur les conditions de vie étudiante au Québec. On a sondé presque toutes les universités du Québec, en passant par les associations étudiantes ou le bureau de direction. Un courriel a ainsi été envoyé à tous les étudiants, et les réponses sont au rendez-vous.»

Le Québec, société distincte

Une infime minorité des universitaires québécois vivent en location dans une résidence étudiante. «La grande majorité est locataire sur le marché privé, constate Laurent Levesque. C'est une expression particulière au Québec. À Boston, par exemple, la plupart des universitaires vivent en résidence étudiante. C'est donc une expérience québécoise de partir en colocation en logement privé.»

Un effet sur le marché

Avec une grande proportion de locataires combinée à une forte propension à vivre en colocation, les étudiants accaparent une partie non négligeable des grands logements des arrondissements centraux. «À Montréal, la moitié des locataires étudiants vivent dans trois arrondissements, soit Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, Le Plateau-Mont-Royal et Ville-Marie, explique Laurent Levesque. Comme les revenus cumulés de trois, quatre ou cinq étudiants sont bien souvent supérieurs à ceux d'une famille, celle-ci se retrouve fortement sous-représentée dans les arrondissements centraux.» C'est l'effet pervers du poids considérable des étudiants dans le marché locatif. «Il n'y a clairement pas assez de résidences étudiantes au Québec, conclut le coordonnateur de l'UTILE, dont la mission est de créer des projets immobiliers pour étudiants. L'un de nos objectifs est justement d'utiliser le logement étudiant pour le bien commun, pour les villes et les quartiers.»

photo FOURNIE PAR L'UTILE

L'UTILE est dans les dernières phases d'obtention de permis pour la construction d'un premier projet de résidence étudiante, avenue Papineau à Montréal, en face du parc La Fontaine. L'édifice, rendu ici dans sa forme préliminaire, doit ouvrir en 2018 ou 2019. Il abritera 150 chambres étudiantes réparties dans quelque 80 logements. Le loyer mensuel moyen variera entre 450 $ et 470 $.