Des prix en hausse, un parc immobilier vieillissant, un taux d'inoccupation qui augmente et le prix des loyers qui plafonne... Est-ce encore possible d'espérer un bon rendement de l'investissement en achetant un plex en 2017 ? Des spécialistes donnent leur avis.

TROP TARD POUR LE PLEX?

Pour certains investisseurs, le temps des bonnes affaires est révolu à Montréal. D'autres croient encore à la perle rare, tout en insistant sur le fait qu'il faut être patient. Et les courtiers immobiliers, eux, appellent à la prudence. L'achat d'un immeuble de cinq logements ou moins peut-il encore être un bon coup ? Le tour de la question.

LE PROPRIÉTAIRE OCCUPANT



Louise Roy est courtière immobilière agréée et connaît bien le marché des immeubles à revenus. Même si la demande est encore forte pour ce type de propriété, elle admet que la plupart des acheteurs paient trop cher. Selon elle, la meilleure façon d'en faire un investissement rentable est de l'habiter. « C'est encore possible de faire de bonnes affaires, il n'est pas trop tard. Mais il faut être un acheteur avisé, travailler avec un courtier expérimenté et aller vers des propriétés qui ne demanderont pas d'investissement en capital à court terme », explique-t-elle.

Pour celui qui choisit d'habiter une partie de l'immeuble qu'il achète, le ou les loyers apportent une aide financière non négligeable pour les dépenses, mais il faut tout de même « tenir compte du bien, sa taille, sa condition, sa localisation, sa valeur locative, etc. C'est du cas par cas », ajoute pour sa part le courtier Max Philippe Bissuel.

DÉNICHER LA BONNE AFFAIRE



S'il y a encore de bonnes occasions à saisir, il faut quand même être de plus en plus vigilant.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Il constate aussi qu'il y a un certain ralentissement dans le marché du plex, après l'explosion des prix des dernières années. Et voit d'un bon oeil ce plafonnement. « Il y a quelques années, les acheteurs n'avaient pas le temps de faire les bons calculs ni d'inspections. On sentait une certaine urgence de signer, sinon on perdait l'immeuble. Les gens sautaient des étapes. Comme ça s'est calmé, on peut dire aux futurs acheteurs de prendre leur temps. Même si on laisse passer des opportunités, il y en aura d'autres », assure M. Brouillette. Sa recommandation : visiter, faire des calculs, faire des offres d'achat et ne pas s'en faire si on perd une occasion. On finira par mieux connaître le marché et on pourrait distinguer plus facilement le bon coup quand il viendra.

BIEN CONNAÎTRE LA RÉGIE DU LOGEMENT

Si, sur papier, l'achat d'une propriété à vocation locative peut sembler une bonne affaire, il faut aussi considérer un autre élément important : les restrictions qu'impose la Régie du logement. « La plupart du temps quand les gens achètent leur premier plex, ils connaissent mal les règles de la Régie. Ils les découvrent par la suite, au fur et à mesure. Malheureusement, les gens sont mal préparés parce qu'il ont regardé uniquement l'aspect financier de la chose », explique Denis Doucet, directeur de l'Académie Multi-Prêts.

Il rappelle aussi que bien que les prix des propriétés ne soient pas réglementés par la Régie, le prix des loyers, quant à lui, est très encadré. « On voit régulièrement de vieux propriétaires qui ont des locataires de longue date et qui ont laissé le loyer sans augmentation pendant des années. On se retrouve avec des loyers qui sont trop bas par rapport au marché, et pour celui qui souhaite corriger ça, c'est beaucoup plus complexe que de simplement le réafficher au prix du marché », prévient M. Doucet. C'est pourquoi, avant d'acheter un plex, il est essentiel de prendre le temps de se familiariser avec les droits locatifs au Québec qui peuvent imposer des limites importantes aux propriétaires.

AU-DELÀ DU PLEX

Si la plupart des observateurs s'entendent pour dire qu'il est encore possible de conclure de bonnes affaires, d'autres voient plutôt le duplex et le triplex comme une façon dépassée d'investir en immobilier. « Ça fait longtemps que l'immobilier est à la mode. Mais les gens confondent immobilier et immeuble », explique Martin Provencher, auteur, conférencier et développeur immobilier.

Selon le conférencier, ce n'est tout simplement plus une bonne affaire.

« Ça fait déjà un bon moment que les gens parlent de duplex, de triplex, de quadruplex et les taux d'intérêt sont bas depuis longtemps, ajoute Martin Provencher. Pour moi, il est normal de passer à autre chose. L'immobilier, c'est large, et même si les plex, c'est terminé, il y a plein d'autres avenues. »

Parmi les autres créneaux possibles, il propose notamment les résidences secondaires locatives, là où les valeurs augmentent et où il y a une forte demande.

SE LANCER EN AFFAIRES

Même si tous les propriétaires ne se voient pas comme des entrepreneurs, c'est pourtant le cas. Acquérir un duplex, c'est se lancer en affaires. Il faut avoir un bon positionnement, évaluer la rentabilité, considérer le potentiel de croissance, les revenus et les dépenses, tout en gardant une marge de manoeuvre pour l'entretien de l'immeuble. Ce n'est pas une question de coup de coeur, c'est une question de rendement de l'investissement.

« Aussitôt qu'on a un locataire, on est en affaires. On collecte des revenus, on a des dépenses fiscales, on gère l'immeuble, on dépose de l'argent et il faut connaître les lois et les règlements », insiste Yvon Cournoyer, président du Club d'investisseurs immobiliers du Québec. C'est pourquoi, selon lui, un rigoureux processus de réflexion et d'analyse précède impérativement tout achat de plex.

SE MÉFIER DU DUPLEX « DE RÊVE »

Coup de coeur et signature ? C'est une erreur. « Ce n'était pas trop grave de s'en tenir qu'au coup de coeur au début des années 2000. Le marché a tellement monté que les gens en sont sortis gagnants quand même. Mais en 2017, ce n'est pas dit que le marché va monter autant, il va peut-être descendre », prévient M. Cournoyer.

L'approche qu'il recommande pour réussir : faire un bon profit à l'achat, c'est-à-dire payer sous la valeur marchande actuelle, et s'assurer que l'immeuble va faire ses frais. Autrement, en payant le plein prix, ou même plus dans le cas d'immeubles surévalués, il sera difficile d'utiliser la propriété comme levier pour graduellement se constituer un parc immobilier. « Il faudra attendre plus longtemps avant d'être capable de refinancer l'immeuble et on sera ralenti dans le processus d'investissement si on veut progresser et en acheter d'autres », ajoute M. Cournoyer.

LA RÉALITÉ DE L'ENTREPRENEUR

« Sur papier, tout est toujours loué, tout le monde paie et tout va bien. Mais dans la vraie vie, le taux de vacance est en progression, il y a beaucoup de construction de condos qui viennent concurrencer le marché locatif et on se retrouve avec un parc immobilier locatif vieillissant. Il faut avoir un excellent positionnement. Les gens regardent les revenus d'un plex et ils oublient de considérer le fait que des sommes seront exigées pour des rénovations à court ou moyen terme », explique le conférencier Martin Provencher. Les mauvais calculs sont souvent une des raisons qui poussent les gens à vendre et abandonner le projet d'investissement.

Pour ces deux intervenants, l'acheteur qui espère des profits et un rendement satisfaisant devrait plutôt préférer un immeuble de six logements et plus, puisque moins il y a de locataires, plus le risque de perte est élevé. Il est plus difficile d'absorber la perte de revenu d'un locataire qui omet de payer lorsque l'on n'a que deux logements. Même si l'investissement de départ n'est pas du tout le même, c'est lorsque l'on analyse la situation avec des yeux d'entrepreneurs que tout ça prend son sens.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

LE FACTEUR HUMAIN

Être propriétaire d'un immeuble ne donne pas tous les droits. Même si l'immeuble semble intéressant sur papier et que tous les chiffres laissent croire à un bon potentiel de rentabilité, il ne faut pas oublier l'autre élément à considérer : les locataires.

Il faut bien évaluer l'immeuble et accorder autant d'attention à qui l'occupe. « Bien sûr, il y a la brique, mais aussi important sinon parfois plus important, c'est de savoir à qui les logements ont été loués », insiste Martin Messier, président de l'Association des propriétaires du Québec.

PRENDRE SON TEMPS

Lorsque l'on achète un immeuble avec un logement vacant, il rappelle que la prudence est de mise : « Un nouvel acquéreur de plex aura le réflexe de louer au premier venu, de crainte d'avoir un logement vide. Rappelons que la personne à qui on loue fait la différence dans la rentabilité de son investissement et dans la qualité de vie des autres occupants de l'immeuble. Il faut s'assurer de louer à quelqu'un qui sera en mesure non seulement de respecter les obligations financières, mais aussi de ne pas déranger la quiétude des autres locataires de l'immeuble », poursuit M. Messier. Un coup de dés, donc, peut coûter très cher.

C'est ce qui est arrivé à Laurence Labat et son conjoint qui ont acheté un duplex dans Hochelaga-Maisonneuve en 2008. C'était une bonne affaire, les deux logements étaient remis à neuf. Mais le couple a loué à un mauvais payeur.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Mme Labat avait entrepris des démarches avec la Régie du logement. Le locataire a finalement quitté les lieux par lui-même, en laissant l'appartement dans un piteux état. « C'était l'horreur, se souvient la propriétaire. Ç'a été une très mauvaise expérience. Ça nous a refroidis et on a vendu très peu de temps après. »

Mme Labat est catégorique, ce n'est pas une expérience que le couple souhaite revivre. Pourtant, d'un point de vue financier, tout était parfait : l'immeuble avait été acheté à un très bon prix, les prix des loyers étaient justes et les perspectives à long terme étaient bonnes. « Si on avait placé le même montant d'argent, on n'aurait pas gagné autant. On a revendu avec un profit. Mais avec les troubles qu'on a eus, on se demande si c'était vraiment un bon placement », conclut Laurence Labat.

DES LOCATAIRES EXIGEANTS

Pierre (non fictif) habite dans un triplex avec sa femme et ses deux enfants. L'ingénieur de 41 ans voyait l'achat de cette propriété comme une façon de se loger au coeur du Plateau Mont-Royal tout en profitant du fait que deux locataires allaient contribuer à rembourser avec lui son hypothèque. « La bâtisse était parfaite. Mais une fois propriétaires, nous avons vite constaté que nous avions affaire à des locataires très exigeants : changer une ampoule, toilette bloquée, porte d'armoire qui grince, des clés perdues, gazon trop long et j'en passe. Le téléphone n'arrêtait pas de sonner. »

Le ras-le-bol a été atteint lorsque la locataire du haut s'est plainte du bruit causé par les enfants de Pierre qui jouaient dehors à la première neige, cet hiver. « Nous marchons sur des oeufs, même si nous sommes chez nous. Les liens se sont envenimés et je n'ai plus envie de gérer ça, ce n'est agréable pour personne », se désole-t-il. 

Après seulement deux ans, il a remis le triplex en vente, mais les acheteurs ne se bousculent pas. Il vient tout juste de baisser son prix, moins élevé que ce qu'il a payé. « Je me suis rendu compte que je ne suis pas fait pour ça, m'occuper de locataires », conclut le père de famille.

LES PROFITS, L'IMMEUBLE ET LES GENS

Au Québec, il y a d'innombrables histoires comme celles-là. Bien entendu, il ne faut surtout pas prendre un raccourci et conclure que devenir propriétaire signifie inévitablement que l'on partira en guerre contre un locataire un jour ou l'autre. Il faut simplement garder en tête que l'achat d'un plex signifie à la fois gérer un immeuble et des gens, et que l'un ne va pas sans l'autre lorsque vient le temps de déterminer si la propriété vaut le coup. Ou pas.