Les flips immobiliers - acheter une propriété à bas prix et la revendre rapidement, après l'avoir rénovée ou transformée en condos ou laissée telle quelle - ont fait beaucoup parler d'eux depuis 15 ans. Perçus par certains investisseurs comme un moyen facile de faire de l'argent, les flips sont pourtant moins simples qu'il y paraît. Des experts en témoignent.

Une méthode en déclin

Après un boom de 47 % en 2012, le nombre de ventes identifiées comme des flips immobiliers est en baisse depuis trois ans, selon la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ). Représentant 3,5 % des ventes il y a 4 ans, les flips occupent 2,1 % du marché à ce jour en 2016.

Une baisse qui s'explique principalement par le resserrement des règles hypothécaires. «Ça a refroidi l'ensemble du marché et provoqué l'allongement des délais de vente, explique Paul Cardinal, économiste à la FCIQ. On s'est graduellement dirigés vers un marché d'acheteurs. Par définition, cela signifie une croissance des prix plus faible. Il y a donc moins d'intérêt pour les flips, où le profit est souvent le principal objectif.»

Pourtant, l'auteur du livre Les flips, Yvan Cournoyer, observe encore beaucoup d'intérêt pour ces transactions. «Il faut faire attention aux statistiques, qui représentent uniquement les ventes réalisées par des courtiers, alors que de plus en plus de gens vendent eux-mêmes, dit-il. Le phénomène des flips est plus fort que jamais grâce aux émissions de rénovation spécialisées. Et de plus en plus de gens se présentent aux formations sur le sujet.»

Il souligne au passage que les flips ont toujours existé. «C'est une mode télévisuelle, mais d'un point de vue d'investissement, ç'a toujours été là et ça va rester. L'immobilier est un pilier de l'économie, et il y aura toujours des gens intéressés à faire de l'argent rapidement.»

Flippeurs «professionnels»

Directrice chez Via Capitale du Mont-Royal, Nathalie Clément juge que le marché des flips se maintient, en particulier du côté des individus et des entreprises qui s'y consacrent à temps plein.

Invitée à commenter le phénomène, la courtière a exprimé son malaise face à certains flippeurs, comme ceux qui ont profité des effets dramatiques de la bulle immobilière et de la crise économique pour se remplir les poches aux États-Unis. «Les Américains étaient dans un marché épouvantable, avec des millions de maisons reprises par les banques, qui ne voulaient pas les posséder et qui les revendaient à prix ridicules. Certains flippeurs les ont achetées pour le quart de leur valeur, les rafistolant un peu ou pas du tout, et les ont remises sur le marché pour empocher.»

Cette réalité n'est pas celle du marché immobilier québécois. Toutefois, Mme Clément précise qu'il existe, au Québec, plusieurs personnes qui surveillent les avis de succession et les avis de défaut de paiement pour acheter rapidement et à bas prix afin de faire un coup d'argent en revendant. «Ce sont comme des vautours qui talonnent des gens en situation de faiblesse.»

Jeunes et manuels

En ce qui concerne la majorité des flippeurs, on retrouve quantité de jeunes gens débrouillards. «J'observe plusieurs acheteurs âgés de 25 à 45 ans, qui aiment faire les rénovations eux-mêmes», affirme Yvan Cournoyer.

Il remarque aussi davantage de femmes que dans les autres sphères immobilières. «Plusieurs d'entre elles aiment la décoration et le home staging, deux talents très utiles dans un flip. Généralement, ça les attire plus que de gérer un immeuble à 24 logements et ses locataires.»

Le vieillissement de la population contribue également au phénomène, alors que de plus en plus de propriétés ayant appartenu à des personnes décédées ou parties en résidence sont mises en vente. «Les flippeurs achètent des maisons qui, souvent, n'ont pas été entretenues depuis 10, 15 ou 25 ans, affirme la directrice de Via Capital Mont-Royal. Ils les rénovent et les revendent rapidement à des acheteurs qui veulent une propriété clés en main, sans rénovations majeures à faire.»

Payant?

Les chiffres de la FCIQ démontrent que 72 % des reventes rapides concernent des maisons unifamiliales, alors que les copropriétés et les plex représentent respectivement 23 % et 5 % du lot.

La prépondérance des unifamiliales s'explique par des gains en capital généralement plus élevés. «On peut faire beaucoup de travail dans une unifamiliale pour l'améliorer: divisions, décoration, enveloppe du bâtiment, finition, design intérieur, etc., explique Paul Cardinal. Mais on a un pouvoir de transformation plus limité dans une copropriété.»

Il ajoute que le parc des copropriétés et des plex est plus récent que celui des unifamiliales. «Les travaux potentiels sont moins drastiques que sur une unifamiliale de 60 ans qui a besoin d'amour.»

Comment faire des profits?

Jusqu'ici en 2016, les Québécois ayant revendu leur propriété en moins d'un an ont réalisé en moyenne un gain en capital de 24 % (42 091 $), selon la Fédération des chambres immobilières du Québec. Une augmentation par rapport à 2012, alors que la moyenne se situait à 21 % (35 916 $).

Pour réaliser de tels profits, beaucoup d'éléments doivent être considérés. Le coach au Club des investisseurs immobiliers, Yvan Cournoyer, et la courtière immobilière Nathalie Clément partagent leurs trucs.

«Monter un plan d'affaires, avec l'argent investi, le rendu éventuel et combien ça peut se vendre sur le marché. Si les coûts de rénovations dépassent de 25 % le budget initial, il n'y aura probablement pas de profits.» - Nathalie Clément.

«S'assurer de bien connaître le secteur, y faire beaucoup de visites et demander des comparables à un courtier.» - Yvan Cournoyer

«Être prudent et inspecter la propriété de fond en comble. Si on veut revendre en moins d'un an, on ne veut surtout pas devoir refaire des fondations ou tomber sur un carré de madriers pourris.» - Nathalie Clément

«Faire un profit à l'achat en payant au moins 25 % sous la valeur marchande. Comme on revend rapidement, le temps n'a pas d'effet bénéfique sur la valeur de la propriété. S'il n'y a pas de profit à l'achat, avec tous les autres frais qu'on doit payer, on va faire un flop.» - Yvan Cournoyer

«Ne pas tout faire soi-même, car on ne peut pas être bon dans tout. Si on veut faire plusieurs flips, il faut bâtir une équipe de rêve avec un inspecteur en bâtiment, un évaluateur agréé, un courtier immobilier, un courtier hypothécaire, un décorateur, un "home stager", etc. Et avant de se lancer à temps plein, il vaut mieux en réaliser quelques-uns pour voir si on aime ça.» - Yvan Cournoyer

«Éviter de surrénover. Selon le secteur, jamais une maison avec une cuisine à 25 000 $ ne sera achetée. Et si on doit baisser le prix pour s'accorder aux environs, on peut perdre beaucoup d'argent.» - Yvan Cournoyer

«Avoir une bonne tolérance au risque, car on ne sait JAMAIS de quoi sera fait le marché. Une propriété rénovée peut être vendue en deux semaines ou en neuf mois. Dans ce cas, même si vous avez investi 100 000 $ en rénovations, vous allez devoir payer les différents frais et l'hypothèque avant de récupérer votre argent en vendant. Ça peut être très stressant!» - Nathalie Clément

«Ne pas vendre la propriété soi-même, à moins d'être un vrai courtier.» - Yvan Cournoyer

Photomontage La Presse

Flippeuse à temps plein

Il y a 10 ans, alors étudiante en neuropsychiatrie, Marie-Jeanne Rivard a décidé de transformer un duplex en unifamiliale. L'expérience a été si positive qu'elle a choisi de délaisser les sciences, de suivre une formation en construction et de devenir flippeuse professionnelle. Ayant désormais une vingtaine de flips à son actif, elle a accepté de partager les détails de son meilleur coup et de son moins bon.

Bon flip

Quoi: un ancien bâtiment commercial de trois étages de 1600 pi2, dans Ville-Émard 

Prix payé: 280 000 $

Prix vendu: 974 000 $

Investissement: 530 000 $

Objectif: conversion en deux immenses condos et un stationnement souterrain

Rénovations: dégarnir la bâtisse, refaire les façades en briques, aménager une descente vers le stationnement, refaire le toit et les fenêtres, réaliser l'aménagement intérieur, installer des planchers chauffants, un système domotique, des cuisines luxueuses et des terrasses autoportantes en béton, avec thermopompe, échangeur d'air, fournaises électriques et électroménagers.

Pourquoi est-ce votre plus grand succès? «J'ai adoré donner un second souffle à ce vieux bâtiment. Pour moi, le plus important, c'est d'être fière de ce que je fais. J'aurais pu investir moins et construire des condos à 300 000 $, avec moins de qualité. Mais ce n'est pas ça, mon but. Je préfère mettre plus de qualité et de luxe, quitte à faire moins de profits», dit Marie-Jeanne Rivard.

Le moins bon flip

Quoi: une maison de cocher située derrière un duplex sur le Plateau Mont-Royal

Prix payé: 401 000 $

Prix vendu: 815 000 $

Investissement: 415 000 $

Objectif: transformer la maison en propriété divise

Rénovations: tout refaire au goût du jour et ajouter un garage.

Pourquoi est-ce une déception? J'ai d'abord affiché la propriété à 849 000 $, mais ça n'a pas fonctionné. Sur le Plateau, les propriétés sont tellement chères à la base que le retour sur investissement est minimal. Dans le Sud-Ouest, à Montréal, j'aurais payé 250 000 $ pour la même chose et, avec le même investissement en rénovations, j'aurais fait beaucoup plus d'argent.

Photo fournie par Marie-Jeanne Rivard

Un bon flip, à Ville-Émard.