Quand un inspecteur en bâtiment découvre un immeuble insalubre ou dangereux, doit-il seulement en informer son client? Devrait-il aller jusqu'à dénoncer la situation aux autorités?

Des taudis, il en reste encore plusieurs à Montréal. J'ai pu le constater de mes propres yeux plus tôt cette année, en me joignant à mon collègue Jean Noël pour l'inspection d'un triplex presque centenaire dans Hochelaga-Maisonneuve.

Au rez-de-chaussée, des murs sales, des pièces très encombrées, un bébé qui pleure, des enfants qui toussent. Beaucoup d'humidité dans l'air.

Nous descendons au vide sanitaire... l'horreur.

Le béton des murs des fondations est si mal en point qu'il s'effrite «à la cuiller», comme le dit Jean Noël. À force d'être gorgés d'humidité, certains bétons de mauvaise qualité finissent par se désagréger. Les fondations sont à remplacer.

À la jonction avec le béton des fondations, les solives du plancher du rez-de-chaussée de ce triplex sont tellement pourries qu'on y enfonce un tournevis sans effort.

Quelqu'un a eu la brillante idée d'isoler le plancher du rez-de-chaussée avec de la laine minérale soutenue par un polythène (un plastique étanche) fixé aux solives. Erreur. L'humidité se retrouve alors emprisonnée dans la structure du plancher, ce qui fait pourrir les solives de bois.

Dans ce vide sanitaire, j'ai découvert une poche d'eau brunâtre suspendue dans le polythène, probablement le produit d'une fuite de plomberie.

Au fond du sous-sol se trouvait une immense flaque d'eau visqueuse, de quoi fournir toute l'humidité nécessaire à une florissante population de moisissures.

Sous la salle de bains, des solives de plancher sont affaissées. Le tuyau du drain de la baignoire est décroché et se vide en partie sur le sol boueux.

De retour au rez-de-chaussée, je constate une baignoire qui s'enfonce dans le plancher, des carreaux de céramique manquants et amplement de taches noires. À chaque douche, l'eau nourrit la moisissure dans les murs.

Devoir de citoyen

Les locataires de ce logement étaient au courant du problème d'humidité dans le sous-sol. Mais aurions-nous dû les informer que cette humidité était probablement la source de certains de leurs problèmes de santé? Ou dénoncer la situation aux autorités de santé publique?

En inspection préachat, l'inspecteur a la responsabilité légale de bien informer son client sur les dangers pour la santé et la sécurité dans le bâtiment qu'il se propose d'acheter. En revanche, «rien ne l'oblige légalement d'informer le propriétaire ou les locataires, mais c'est son devoir de citoyen de le faire», dit Stéphane Perron, médecin spécialiste à la Direction régionale de santé publique de Montréal (DSP).

«La plupart des gens ne font pas le lien entre leur état de santé et la présence possible de moisissures. L'inspecteur en bâtiment a le devoir de citoyen de leur recommander de consulter un médecin.»

Chez des locataires, l'inspecteur devrait suggérer d'aviser le propriétaire et d'exiger qu'il règle le problème, ajoute Stéphane Perron. Si le propriétaire ne collabore pas, les locataires peuvent demander l'aide du comité logement de leur quartier ou composer le 311 pour demander la visite d'un inspecteur municipal. Ce dernier a le pouvoir légal d'exiger des correctifs à l'immeuble. 

Un médecin ou un inspecteur municipal qui établit un lien entre l'état d'un logement et le problème de santé de l'occupant peut effectuer un signalement à la Direction de la santé publique (DSP), afin qu'elle ouvre un dossier. «Nous avons l'expertise pour évaluer les problèmes du bâtiment qui peuvent nuire à la santé», dit Stéphane Perron. 

Les moisissures sont de loin le plus grave problème de salubrité dans les logements. La DSP intervient aussi dans des cas d'infestation de coquerelles, punaises de lit, rats et autre vermine. 

Faire tomber les murs

En 17 ans de carrière dans les vieux quartiers de Montréal, l'inspecteur Jean Noël a à maintes occasions informé des propriétaires qu'ils étaient aux prises avec d'importants problèmes de champignons et de moisissures dont ils ignoraient la présence. 

À deux reprises, il s'est adressé aux pompiers pour signaler des murs de brique qui menaçaient de s'effondrer. Ils sont aussitôt venus sécuriser l'endroit. Le lendemain, ils faisaient démolir le mur. 

«Quand, au pied du mur, il y a des tricycles qui trainent et qu'à la hauteur du troisième étage, toute la brique est décrochée, c'est sérieusement dangereux, dit Jean Noël. Je préfère signaler le 911 et dormir sur mes deux oreilles que de rester avec un mauvais pressentiment.»

PHOTO ANDRÉ DUMONT, COLLABORATION SPÉCIALE

Quelque part à Montréal, une famille utilise cette baignoire tous les jours.