De l'extérieur, la maison ne semble pas si mal en point. Pourtant, les nouveaux propriétaires viennent d'entreprendre sa démolition. En quelques jours, la maison aura été démolie, en tout ou en partie, pour laisser place à une toute nouvelle construction. Phénomène isolé ou tendance qui se dessine?

Des transactions pas comme les autres

La recherche d'une propriété dans le but de la démolir est bien différente de celle d'une maison qu'on souhaite habiter. Dans un monde où les offres multiples sont fréquentes, les courtiers qui participent à ce type de transaction doivent être très réactifs, tout comme les acheteurs.

Les acheteurs magasinent un terrain et non pas une maison. Ils cherchent la résidence la moins chère, la moins bien entretenue en se disant qu'ils ne garderont peut-être que quelques éléments, dont les fondations ou la façade. «Les maisons qui ont déjà été rénovées et que l'on achète et démolit, c'est rare. D'habitude, elles sont insalubres, elles n'ont jamais été mises à jour, elles ont des problèmes structurels importants. Les gens ne veulent pas payer une prime pour les rénovations existantes en sachant qu'ils vont tout mettre à terre», explique Marc Lefrançois, courtier immobilier chez Royal LePage, très actif à Mont-Royal.

Une offre très limitée

Selon M. Lefrançois, démolir et reconstruire est un phénomène de plus en plus fréquent dans le haut de gamme, tout spécialement auprès d'une clientèle qui achète dans le but de revendre à profit. Ces gens qui enchaînent flip après flip n'hésitent pas à mettre le paquet pour acquérir ce type de propriété à démolir, très rare sur le marché. «Les "flippeux" sont très agressifs. Ils les achètent sans se poser de question. Nous avons mis récemment une maison avec d'importants problèmes de pourriture dans les poutres qui soutenaient le premier plancher. Un habitué des "flips" a fait une offre en haut du prix demandé sans inspection, sans condition», illustre M. Lefrançois.

Un acheteur intéressé par un tel projet qui s'y connaît moins en construction peut difficilement être aussi réactif. «Il va vouloir coordonner une visite avec l'architecte, parler à un entrepreneur, faire venir un évaluateur, remarque Marc Lefrançois. Avant, ça allait, les gens avaient le temps de bien penser à leur projet. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les professionnels de la reconstruction savent exactement dans quoi ils se lancent, ils sont tolérants au risque, ils ont les fonds disponibles et n'hésitent pas à faire monter les prix.»

Récemment, il a conclu une transaction pour une maison à refaire qui était affichée à 769 000 $ et qui a été vendue à 805 000 $, en offres multiples. «J'ai aussi déjà vu un acheteur mettre la main sur deux lots adjacents. Après un long combat avec la Ville, il a fait démolir les deux maisons pour construire un immense château.»

De bungalow à condo

Certaines familles achètent des maisons désuètes au coeur de la métropole pour y construire d'impressionnantes unifamiliales signées par des grands architectes. Toutefois, ce sont surtout des entrepreneurs qui sont attirés par ce type de propriété à démolir. «Dans les quartiers centraux de Montréal, le lot classique fait 25 pi sur 70 pi. Qu'est-ce qu'on peut faire de rentable dans cet espace? Des condos. Ceux qui viennent nous voir, ce sont des entrepreneurs qui y vont un projet à la fois», explique Nathalie Clément, directrice à Via Capitale du Mont-Royal.

Ce type de terrain reste plutôt difficile à trouver sur le marché. «On se retrouve avec de 15 à 20 offres d'achat. Le petit bungalow à démolir affiché à 400 000 $ est vendu à 480 000 $. Souvent, ce sont des acheteurs qui n'ont pas besoin de financement, alors tout bouge rapidement», explique son collègue, le courtier immobilier Romain Lecomte, qui couvre entre autres les secteurs de Rosemont, du Plateau Mont-Royal, de Villeray et de La Petite-Patrie.

Un parc vieillissant

Forte d'une trentaine d'années d'expérience, la courtière Nathalie Clément remarque qu'avec les années, cette tendance est en augmentation.

«Une ville, ça vit, ça se renouvelle. Il y a 30 ans, le parc immobilier était dans un meilleur état. Montréal étant une population traditionnellement de locataires, il y a beaucoup d'immeubles que les propriétaires n'ont pas bien entretenus avec les années.»

Sous-sols inondés, poutres pourries, fondations à refaire, murs de brique qui s'écroulent, installations électriques dangereuses, la facture monte vite lorsque l'on doit voir à la structure et la mécanique d'une maison.

Une négociation différente

Présenter une offre d'achat alors que le but du futur acquéreur est de démolir le bâtiment existant n'est pas toujours facile. Une propriété, c'est un morceau de patrimoine auquel sont rattachés moult souvenirs.

«Même si certains vendeurs sont conscients qu'ils n'ont pas bien entretenu leur résidence, ils nous manifestent quand même le désir de trouver un acheteur qui y installera sa famille pour encore d'autres souvenirs, d'autres beaux moments. Ils sont attachés à leur maison.» Cependant, une offre d'achat, libérée de toutes conditions et bien souvent chiffrée au-dessus du prix demandé, aide sans doute à tourner la page sur les souvenirs.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Certaines familles achètent des maisons désuètes au coeur de la métropole pour y construire d'impressionnantes unifamiliales signées par des grands architectes.

Le choix de l'entrepreneur

Pour les équipes de professionnels qui réalisent des projets de démolition-construction, les défis sont nombreux. Le gestionnaire de projet joue le rôle de chef d'orchestre et sa contribution assure le bon déroulement des choses, de l'obtention des permis au dernier clou enfoncé.

Certains propriétaires décident de se lancer dans cette aventure en prenant en charge la gestion du dossier. Ils sont rares. La plupart se tournent vers des entreprises qui ont acquis une expertise dans ce type de grands projets. «À Réno M3, on est gestionnaire de projet. On fait tout de A à Z. Ça comprend les vérifications à la Ville, la préparation des demandes de permis, les entretiens avec les comités consultatifs d'urbanisme, la démolition et la construction. On peut même accompagner le client pour l'achat de la maison», détaille Pierre Guy, vice-président, exploitation, pour l'entreprise.

Des particuliers en moyens

Parmi ses clients, on trouve des professionnels qui n'achètent pas dans un but spéculatif. «Il y a beaucoup de promoteurs qui se procurent ces vieilles maisons pour construire des logements, remarque M. Guy. On cible plutôt les gens qui veulent habiter l'endroit et construire une unifamiliale ou un duplex.» 

Il s'agit souvent de couples ou de jeunes familles qui paient jusqu'à 400 000 $ pour une maison qu'ils démolissent pour ensuite investir des sommes pouvant dépasser 700 000 $ en travaux seulement.

Négocier avec la Ville

Parmi les tâches que ces futurs propriétaires délèguent au gestionnaire de projet, l'une des plus importantes est sans doute celle de vérifier la réglementation en vigueur auprès de la municipalité et d'obtenir les permis requis.

«À Montréal, c'est le plus gros enjeu. La Ville doit confirmer que le projet respecte les normes et que vous pouvez aller de l'avant. Il y a aussi l'aspect consultatif. C'est l'interprétation du dossier par le comité consultatif d'urbanisme qui détermine si on peut avancer ou non», explique Pierre Guy, vice-président, exploitation, de Réno M3.

En d'autres mots, un propriétaire peut acheter une maison, investir plusieurs milliers de dollars en plans et demandes de permis, puis se voir refuser le projet. Après s'être porté acquéreur d'une propriété ne pouvant être démolie, la suite des choses peut coûter très cher.

Choisir son entrepreneur

Dans le domaine de la rénovation, beaucoup de gens s'improvisent spécialistes. L'élément le plus important lorsque vient le temps de choisir son entrepreneur est avant tout de vérifier les références et voir d'autres projets qu'il a réalisés. 

Il faut aussi s'assurer qu'il est bien entouré et qu'il peut compter sur une équipe fiable et compétente pour respecter l'échéancier qui peut s'étendre sur plusieurs mois, voire une année et plus. Finalement, une vérification à l'Office de la protection du consommateur et à la Régie du bâtiment du Québec est recommandée.

Et si on recyclait les matériaux?

L'impact environnemental du remplacement d'une vieille maison par une nouvelle résidence est non négligeable. «La démolition, même une déconstruction en prenant soin des matériaux, ne sera jamais aussi écologique qu'une rénovation», souligne Emmanuel Cosgrove, cofondateur et directeur du site ÉcoHabitation, organisme qui regroupe une mine d'informations pour aider les Québécois à diminuer leur impact écologique à la maison.

Malheureusement, il en coûte souvent moins cher de raser et repartir à neuf que de rénover ou de démolir de façon responsable en préservant certains matériaux et produits comme le bois, la maçonnerie, certaines fenêtres qui seront ensuite revendus dans les petites annonces. C'est un choix écologique qui coûte cher et que peu de futurs propriétaires acceptent de faire.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Fort mal en point, ce duplex du Plateau-Mont-Royal deviendra un immeuble de trois étages plus une mezzanine. Il comptera six logements. Comme rien n'est simple, le propriétaire a dû faire approuver son projet par l'arrondissement, et s'engager à reconstruire en maintenant une façade identique à celle de son voisin de gauche.

La municipalité a le dernier mot

Les permis de démolition sont très difficiles à obtenir. Dans la plupart des municipalités ou arrondissements, la réglementation est stricte et peu permissive à ce sujet. Tour d'horizon.

Avant de construire la maison de ses rêves, le nouvel acquéreur doit d'abord obtenir les autorisations nécessaires. Par exemple, à Saint-Lambert, on ne se cache pas pour dire que c'est très difficile d'obtenir de telles permissions. «La Ville n'accepte pas les démolitions pour les reconstructions à moins que la maison éprouve de très sérieux vices de construction. Le propriétaire doit en faire la démonstration avec des études d'ingénieur et d'architecte. Beaucoup aimeraient acheter, démolir et recommencer, mais c'est rarement possible», prévient Julie Larose, chef du service de l'urbanisme à la Ville de Saint-Lambert. Comme dans bien d'autres municipalités, le but est de préserver le patrimoine bâti.

Des gens tentent aussi de jouer avec les mots en ne conservant qu'une partie de la maison, la façade par exemple, pour faire passer un projet de rénovation majeure plutôt que de démolition. «Ça ne fonctionne pas comme ça, prévient Mme Larose. Ce sont plusieurs calculs bien précis en fonction du règlement de démolition en vigueur qui détermineront s'il s'agit d'une rénovation majeure ou d'une démolition.»

À Saint-Lambert, les contrevenants s'exposent à une amende de 25 000 $ s'ils ne respectent pas le règlement. Pas suffisamment dissuasif, ce chiffre est présentement en révision pour atteindre près de 200 000 $.

Oui, si la maison est vétuste

De façon générale, la démolition d'un bâtiment est interdite à Magog. Néanmoins, si le propriétaire réussit à obtenir un certificat d'autorisation de démolition d'un bâtiment vétuste, dans le cas où l'état est tel qu'il peut mettre en danger des personnes ou lorsqu'il a perdu la moitié de sa valeur par vétusté, par incendie ou par explosion, il pourra procéder.

Autrement, c'est un long processus pour tenter d'obtenir une autorisation. La première étape sera de soumettre un programme préliminaire de réutilisation du sol dégagé ainsi qu'une garantie financière de l'exécution du programme de réutilisation du sol dégagé. Tout comme à Saint-Lambert, des amendes de plusieurs milliers de dollars sont prévues s'il y a non-conformité.

Destruction et démolition

Dans l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, une procédure a été mise en place pour encadrer tout projet de démolition.

«La procédure de démolition vise à protéger les immeubles pouvant présenter un intérêt patrimonial et à encadrer la réutilisation du sol dégagé, dans un contexte de rareté des logements à louer», peut-on lire dans le préambule de la procédure. 

Par exemple, selon les calculs, la destruction de plus de 45 % de la superficie totale des murs extérieurs et du toit est considérée comme une démolition.

Sur quoi base-t-on la décision?

À Beloeil, comme dans bien des municipalités, c'est le Comité sur les démolitions d'immeubles qui autorise (ou pas) les demandes. Après analyse de plusieurs éléments, il doit être convaincu de la nécessité de la démolition. Parmi les critères à considérer: 

•  L'état de l'immeuble visé par la demande 

•  La détérioration de l'apparence architecturale, esthétique ou de la qualité de vie du voisinage 

•  Le coût de la restauration 

•  L'utilisation projetée du sol dégagé  

•  Le préjudice causé aux locataires 

•  Les besoins de logements dans les environs 

•  La possibilité de relogement des locataires 

•  Tout autre critère pertinent

Photo La Presse

Des gens tentent aussi de jouer avec les mots en ne conservant qu'une partie de la maison, la façade par exemple, pour faire passer un projet de rénovation majeure plutôt que de démolition.