Les prix des maisons grimpent sans cesse, au point où il n'est plus rare de voir des propriétés affichées à plus de 1 million de dollars. Le seuil n'est pas que symbolique, car les règles de financement changent pour des transactions dans les sept chiffres... Mais, d'ailleurs, qui se paie des maisons à ce prix? Petit portrait de la situation.

L'acheteur millionnaire

Le segment du marché des maisons à plus de 1 million est en pleine croissance au Québec. Or, cette somme n'ouvre pas les portes de propriétés équivalentes à Montréal ou à Saguenay... ce qui complique un peu l'exercice de faire le portrait-robot de l'acheteur millionnaire. Tentons tout de même l'expérience.

À Montréal 

Le courtier Simon Léger, de l'Équipe Bardagi, observe cinq types d'acheteurs qui se laissent séduire par des propriétés dont les prix oscillent autour du million dans la métropole. Les voici: 

Les couples de professionnels 

Âgés de 30 à 45 ans, ils en sont à leur deuxième maison. Ils travaillent à temps plein et veulent une propriété pour fonder une famille ou poursuivre la vie familiale entamée en condo.

Les entrepreneurs qui «flippent»

Ils recherchent de vieilles propriétés dans des secteurs comme Outremont ou la ville de Mont-Royal, le Plateau Mont-Royal, le Mile End et Rosemont. Ils ont comme objectif de complètement rénover la propriété et de la revendre.

Les gens qui veulent du... plus petit

Ils occupent déjà une maison de plusieurs millions, devenue trop grande et qui demande trop d'entretien. Ils veulent un produit suffisamment luxueux, mais plus petit. Ils se tourneront souvent vers la copropriété.

Les acheteurs étrangers

Ce phénomène relativement nouveau attire les acheteurs dans des secteurs principalement anglophones comme la ville de Mont-Royal, où l'on trouve des écoles anglaises. Ils achètent des propriétés d'entrée de gamme.

Les acheteurs clés en main 

Ils recherchent un produit haut de gamme dans des secteurs centraux. Leur choix s'arrêtera sur des maisons en rangée sur trois niveaux, souvent des constructions récentes, avec garage intérieur.

Millionnaire à la campagne 

Les acheteurs qui décident de sortir de l'île pour dépenser 1 million sur une propriété dans les Cantons-de-l'Est, par exemple, le font souvent en conservant un pied-à-terre à Montréal, explique Réginald Gauthier, courtier et propriétaire d'Immeubles Coldbrook. 

«Ce sont souvent des gens en transition entre la ville et la campagne. Ils cherchent à se retirer prochainement, certains travaillent de la maison. Avec 1 million à Montréal ou en périphérie, on n'achète pas grand-chose. Alors qu'ici, on peut s'acheter un domaine de plusieurs acres, explique le courtier, en affaire depuis 38 ans. On en a beaucoup pour son argent. Les gens qui arrivent ici savent exactement ce qu'ils cherchent.» 

Le courtier parle aussi d'un nouveau type d'acheteur: les héritiers. Jeunes et déjà propriétaires à Montréal, ils paient comptant une maison en campagne avec de l'argent qui provient d'un héritage.

Des finances solides

Denis Doucet, directeur de l'Académie Multi-Prêts Hypothèques, rappelle les questions qui se posent lorsque l'on parle de qualification pour un emprunt hypothécaire élevé: «Le salaire n'est qu'un des éléments qui entrent dans les calculs.»

Par exemple, pour une propriété de 1 million, avec une mise de fonds de 200 000 $, les paiements hypothécaires mensuels frôleraient les 4000 $ au taux de 3,20 % (le taux moyen d'un terme de 5 ans pour un prêt de cette ampleur). Bien sûr, il faut ajouter à cela le paiement des impôts fonciers et taxes scolaires, qui peuvent facilement dépasser les 10 000 $ par an, et, dans le cas des condos, des charges de copropriété qui peuvent s'élever à 1000 $ par mois.

Le revenu familial requis pour acheter une propriété de 1 million serait d'au moins 280 000 $, calcule M. Doucet.

Un marché en pleine croissance 

Selon un rapport de la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ), de juin 2016 à mai 2017, il y a eu 768 transactions pour des maisons unifamiliales à 1 000 000 $ et plus au Québec. Cela représente 1,4 % des ventes pour ce type de propriété. Si, en proportion, cela semble peu, il faut noter que ce segment a tout de même connu une croissance de 26 % par rapport à l'année précédente.

Pour ce type de propriété, toujours selon les données de la FCIQ, les délais de vente moyens au Québec sont de 158 jours. Pour l'île de Montréal, on parle plutôt de 131 jours. En comparaison, ce délai se chiffre à 97 jours pour une résidence unifamiliale de 500 000 $ et plus dans l'île.

«Le marché de l'emploi est en santé à Montréal. Les emplois à temps plein créés au cours des deux dernières années sont dans des secteurs d'activité qui laissent présager des revenus intéressants. Avec un niveau de confiance des consommateurs qui est très élevé et des taux hypothécaires, malgré une récente augmentation, qui sont encore près d'un creux historique, ce sont tous des facteurs favorables pour le marché immobilier actuellement», décrit Paul Cardinal, directeur de l'analyse du marché à la FCIQ.

Photomontage La Presse

Séduire pour vendre

Les courtiers immobiliers s'entendent pour dire que les stratégies de mise en marché ne sont pas les mêmes lorsqu'il s'agit de vendre une propriété dont le prix dépasse le million. Et l'approche à avoir avec le vendeur n'est pas la même non plus.

Brochure et présentation visuelle soignées, photos et vidéos faites par des professionnels, site web et fiches d'inscription qui se distinguent des propriétés offertes à prix inférieurs, etc. «Le vendeur veut différencier sa propriété du reste de l'inventaire. Il ne veut pas retrouver sa propriété présentée à côté d'un condo à 275 000 $. Dans ce segment, on veut attirer des acheteurs qui cherchent un certain luxe, mais on veut aussi faire plaisir aux vendeurs qui souhaitent une mise en marché qui reflète la catégorie à part dans laquelle ils se trouvent», explique le courtier Simon Léger, directeur des ventes pour l'Équipe Bardagi, qui couvre principalement le secteur de la couronne nord du mont Royal à Montréal.

La barrière psychologique 

Au moment de la mise en marché, il y a lieu de se poser la question de la réelle signification du chiffre du million. Est-ce que le chiffre fait peur? «Le plus vieux truc marketing qu'on utilise encore, c'est la stratégie du 999 000 $ pour être en dessous du million. Si on a le choix d'afficher une propriété à 1 049 000 $ ou 995 000 $, on dit au vendeur que l'on obtiendra probablement plus de sous en affichant un prix plus attrayant qu'en demandant un montant plus élevé. On va mettre plusieurs acheteurs en compétition parce que le prix est intéressant et de là, on pourra même être capable de vendre au-dessus du prix demandé», poursuit M. Léger.

Mais le fait d'afficher sous la barre du million n'est pas qu'une question de marketing. C'est d'abord un souci d'accès à la propriété. 

En effet, le gouvernement a tracé une ligne en ce qui concerne les mises de fonds. Auprès de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, le plafond quant au prix d'achat dans le cas de l'assurance prêt hypothécaire offerte est désormais de 1 000 000 $. Si le prix dépasse 500 000 $, la mise de fonds minimale exigée est de 5 % pour la première tranche de 500 000 $ et de 10 % pour l'excédent. «Alors, dès que l'on dépasse le million, on doit prévoir un comptant de 20 % du prix d'achat, calcule le courtier. Lorsque l'on parle d'endettement, ce n'est pas parce qu'on s'achète une maison d'une telle somme que l'on aura nécessairement 20 % de comptant, alors le million vient souvent tracer cette ligne-là.»

Un million mal situé? Les attentes des vendeurs ne sont pas toujours faciles à gérer, surtout dans le cas de gens qui ont acheté dans des quartiers centraux et réalisé des travaux exceptionnels. Ils s'attendent à obtenir 1 million, mais il s'agit de ventes plus complexes. «On a un exemple sur le Plateau Mont-Royal où les gens ont mis beaucoup d'argent et fait appel à un architecte, ils ont personnalisé à leur goût, le produit se présente très bien, mais il faut trouver le bon acheteur qui sera prêt à payer 1 million pour ces grandes rénovations, prévient M. Léger. On le voit surtout quand ce sont des gens qui ne sont pas entrepreneurs et qui achètent et rénovent en grand dans un secteur qui ne peut pas le prendre. Ça devient la maison la plus chère de la rue et ce n'est pas une bonne chose.»

Photomontage La Presse