Depuis un an, les acheteurs de propriétés en provenance de la Chine sont plus nombreux que jamais dans le marché de la grande région de Montréal, et même en région. À un point tel que les courtiers immobiliers ont commencé à revoir leurs méthodes de travail pour répondre aux besoins de cette clientèle fortunée. État des lieux.

Pour les bas prix... et la qualité de vie

«C'est du jamais-vu, confirme le courtier Joseph Montanaro, de Sotheby's International. Je reçois constamment des appels d'acheteurs chinois qui ont pris la décision de s'installer à Montréal pour y vivre et pour envoyer leurs enfants dans nos universités.»

À preuve: sur les dix dernières transactions qu'il a réalisées dans le marché de Westmount au cours de la dernière année, sept l'ont été avec des acheteurs venus de Chine disposant d'un budget variant entre «2 et 10 millions».

Cela vient confirmer la toute récente étude de marché de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) à propos de l'augmentation du nombre d'acheteurs chinois, qui a triplé entre août 2016 et août 2017, passant de 51 à 165, à Montréal.

À vrai dire, cette statistique ne refléterait qu'en partie la réalité du marché «chinois», selon les courtiers immobiliers interrogés par La Presse.

«C'est fou depuis quelques mois! Il y a énormément de demandes de visites de maisons provenant de clients asiatiques», résume la courtière immobilière Fleurette Lefebvre, qui vend des propriétés haut de gamme.

«Tout récemment, ajoute-t-elle, j'avais une maison à vendre à L'Île-Bizard. Quatre des cinq visiteurs étaient d'origine chinoise!»

«Les Chinois achètent partout, pas seulement à Westmount, pas juste à Brossard. On les voit à Sherbrooke, à Valleyfield. Ils ne se limitent pas à Montréal.»

La courtière d'expérience s'étonne de voir comment ces acheteurs abordent le marché immobilier québécois. «Ils sont parfois huit ou dix membres d'une même famille à venir visiter une propriété, note-t-elle. Ça crée parfois une drôle d'atmosphère.»

Elle vient de vendre un condo de 550 000 $ à Montréal à deux membres de la même famille, deux frères dans la trentaine, dont les parents habitent Brossard.

«Les parents étaient présents lors de la visite, et la maman a donné 200 000 $ à ses fils pour l'achat du condo, dit-elle. Elle m'a même demandé de prendre soin de ses fils!»

Une fraction du prix

Joseph Montanaro constate que ces acheteurs venus d'Asie «savent qu'ils vont trouver à Montréal des maisons pour une fraction du prix demandé à Toronto et à Vancouver».

«Le mot s'est passé que le marché de Montréal est beaucoup plus abordable et qu'il n'y a pas de taxe de 15 % comme à Vancouver et à Toronto», fait-il valoir.

Mais au-delà du prix des propriétés, qu'est-ce qui attire ces acheteurs? Qu'est-ce qui les incite à venir vivre au Québec?

«On me raconte, lors des visites, que c'est la qualité de vie, la qualité des écoles, des universités, les grandes maisons, les grands terrains», énumère le courtier, qui a vendu la maison de Brossard du capitaine du Canadien Max Pacioretty à un acheteur chinois, il y a quelques mois.

«Les Chinois achètent des maisons à Montréal pour s'y installer avec leurs familles, tandis qu'à Toronto et à Vancouver, ils achètent souvent pour investir.»

De bons négociateurs

Le courtier reconnaît que certains clients asiatiques s'avèrent être de rudes négociateurs «qui peuvent faire preuve de méfiance» jusqu'à ce que la transaction soit terminée.

«Il faut savoir prendre le temps avec eux, dit-il. En Chine, il semble que le mot "non" n'existe pas. Souvent, les acheteurs chinois n'aiment pas se faire dire non. Ils veulent qu'on leur explique.»

Cela demande des ajustements, convient-il. «Je transige avec les acheteurs et je dois travailler avec les courtiers chinois qui les représentent, et qui jouent parfois le travail d'interprète quand leurs clients ne parlent ni français ni anglais, ajoute-t-il. Ma façon d'exercer mon métier n'est pas la même avec les Chinois.»

Même constat de la part de la courtière immobilière Fleurette Lefebvre. «Ce sont des acheteurs qui savent ce qu'ils veulent et qui n'ont pas de temps à perdre, observe-t-elle. Il arrive parfois que des transactions avortent parce que les acheteurs proposent des prix beaucoup trop bas, en fonction de la valeur réelle de la propriété.»

En avoir pour son argent

Martin Rouleau, courtier à l'agence Engel & Völkers, affirme de son côté que les acheteurs asiatiques «ne sont pas prêts à acheter n'importe quoi, à n'importe quel prix», simplement parce qu'ils en ont les moyens. N'empêche, il y a deux semaines, sur quatre ventes à Westmount, deux acheteurs venaient de la Chine. Il calcule que sur dix demandes de visites de propriétés de luxe, six proviennent de cette clientèle.

«Il est clair qu'ils en ont pour leur argent!», estime le courtier, qui s'apprêtait justement à faire visiter une maison de Hampstead affichée à 4,7 millions à un couple d'acheteurs chinois dans la jeune quarantaine, avec deux jeunes enfants.

Une question d'adaptation

L'arrivée des acheteurs chinois sur le marché montréalais est récente. Pour les courtiers, elle représente un défi d'adaptation. 

Près de la moitié des propriétés acquises par les Chinois sont payées en liquide sans emprunt bancaire, observent les courtiers interrogés par La Presse. Une information que corrobore Francis Cortellino, chef analyste, analyse de marché, à la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).

«Ces acheteurs ont beaucoup moins recours à des prêts hypothécaires que les acheteurs locaux, dit-il. On a calculé, dans un récent rapport, qu'à peine 40 % des acheteurs étrangers empruntent pour financer une acquisition.»

Transférer les fonds

Pour sa part, le courtier immobilier Joseph Montanaro estime que c'est «du cas par cas». «Certains de mes clients payent la maison avec un chèque visé, d'autres font un prêt hypothécaire, dit-il. Je ne suis pas prêt à dire que tous les Chinois débarquent avec une valise pleine de cash

Et il arrive que les transactions avec des acheteurs étrangers soient parfois plus complexes. «Il faut s'assurer que les transferts d'argent se feront dans les délais prévus au moment de la transaction», donne-t-il en exemple.

Parler la langue des acheteurs

Le courtier Martin Rouleau ne cache pas que son travail s'est transformé depuis que la clientèle chinoise se fait plus nombreuse dans le marché montréalais. 

«C'est une autre façon de faire les choses, dit-il. On reçoit maintenant des appels de courtiers d'origine chinoise qui représentent leurs clients. On leur fait visiter des maisons et ça se traduit très souvent par des transactions.» 

Il observe que les visiteurs s'expriment souvent en mandarin, en présence de leur courtier. «Je ne parle pas leur langue et je dois demander à leur courtier de traduire pour connaître leurs impressions», résume-t-il.

Des achats sans taxe punitive

Un fait demeure: le marché immobilier de la région de Montréal ne subit pas (encore) la même pression qu'à Toronto et à Vancouver, où la présence des acheteurs étrangers a contribué à faire exploser le prix des propriétés, au point où les gouvernements provinciaux ont imposé une taxe de 15 % sur tout achat d'une propriété par un ressortissant étranger. 

«Il ne faudrait pas qu'on imite Toronto et Vancouver, ça tuerait le marché», prévient le courtier Joseph Montanaro. Pour une propriété de 2 millions, la taxe de 15 % représente un supplément de 300 000 $ pour l'acheteur.

Voyages faciles

Il faut comprendre que ces «visiteurs» en sont souvent à leur premier séjour en Amérique du Nord. Ils «débarquent» à l'aéroport Montréal-Trudeau avec l'intention d'y déménager leur petite famille, après avoir visité quelques propriétés. De nombreux courtiers immobiliers qui se spécialisent dans le marché de la Chine ne cachent pas que l'activité est plus intense depuis qu'Air Canada assure une liaison quotidienne directe entre Montréal et Shanghai. Et c'est sans compter les trois vols hebdomadaires d'Air China entre Pékin et Montréal.

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

Les acheteurs chinois s'expriment souvent en mandarin, en présence de leur courtier.

La stabilité économique... et politique

Les Chinois qui déposent leurs valises à Montréal posent «beaucoup de questions» et n'achètent pas «aveuglément», soulève la courtière immobilière Yvonne Lee, de Royal LePage Champlain, à Brossard.

«Ce sont des acheteurs prudents qui prennent le temps de faire des comparaisons pour s'assurer qu'ils vont payer le bon prix, ajoute-t-elle. Ils connaissent les prix de Vancouver et de Toronto et ils veulent savoir pourquoi c'est beaucoup moins cher à Montréal.»

Elle ajoute: «On ne se le cachera pas, s'ils décident de venir vivre au Québec, c'est pour trouver une stabilité économique et politique. Ils ne veulent pas vivre des tensions politiques.»

Or, selon elle, des acheteurs venus d'Asie lui expriment des craintes à propos de la tenue d'un éventuel référendum au Québec. «Cette crainte est encore présente et ça revient dans les conversations, dit-elle. Mais moi, mon travail, c'est de leur donner des informations justes, appuyées sur des faits concrets. Je tente de les rassurer. Je leur dis que le climat est calme et harmonieux.»

«Ces gens-là quittent leur pays pour venir trouver le calme, la stabilité et la liberté. Ils sont prêts à venir vivre à Montréal, mais il faut les rassurer, leur expliquer que le climat politique et social restera harmonieux. C'est normal.»

Mais elle se dit incapable de leur cacher la «vérité» à propos des écarts de prix considérables entre les villes de Vancouver, Toronto et Montréal, pour une propriété comparable.

«Mes clients ne sont ni aveugles ni stupides, dit-elle. Ils veulent comprendre pourquoi la même maison coûte parfois deux fois plus cher à 600 km de Montréal. La vérité, c'est qu'une partie des activités économiques s'est déplacée à Toronto, il y a plusieurs années, et que des entreprises ont quitté le Québec pour aller en Ontario.»

Chose certaine, la courtière considère «qu'il était temps» que le marché immobilier québécois tire avantage de la présence des acheteurs étrangers en provenance de la Chine.

«Ça nous amène de la bonne business, dit-elle. Et ce n'est pas une bulle!»

Pour les bonnes écoles

De son côté, le courtier Dapeng Wang, de Winvestor Immobilier, à Westmount, observe lui aussi un fort mouvement d'acheteurs en provenance de la Chine. Ses clients sont généralement des familles «qui viennent au Québec pour y inscrire leurs enfants à l'université, dans de bonnes écoles». Il affirme par contre que les ressortissants ne lui posent pas de questions à propos de la situation politique de la province.

«Ils sont d'abord des acheteurs, ils connaissent le marché, dit-il. Ils font leurs recherches sur le web avant de visiter.»

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRECHETTE, LA PRESSE

Les courtiers immobiliers Raymond Tsim et Yvonne Lee