Vous avez acheté une belle maison dans un quartier récent et, surprise, la municipalité vous réclame subitement des milliers de dollars pour payer les infrastructures... à défaut de quoi, votre impôt foncier sera majoré pendant des années. Comment une telle chose est-elle possible?

Des taxes qui font (très) mal

La maison de Francine Dubé et de son conjoint Pierre Lavigne est à vendre. «On en a assez!», lance la retraitée.

Tout a commencé en mai 2012, un an après l'achat de leur maison de construction récente à L'Assomption, dans Lanaudière.

«La municipalité nous a envoyé deux lettres nous apprenant que la facture liée aux infrastructures municipales s'élevait à 32 265 $», se souvient-elle.

Les propriétaires avaient deux options: payer cette somme au comptant en deux versements, ou voir leur compte de impôt foncier quasiment doubler pour dépasser largement le seuil des 5500 $ par année pendant 20 ans.

«On a payé cash pour éviter que nos taxes explosent», enrage-t-elle encore.

Ces débours permettaient de payer la quote-part pour les «travaux d'enfouissement des réseaux de conduits souterrains» et pour les «travaux de construction de bordures, de pavage et d'éclairage».

Manque d'information

Cinq ans après cette mauvaise surprise, Francine Dubé a le sentiment qu'on ne lui a pas dit toute la vérité quand elle a acheté sa propriété dans le secteur Saint-Gérard-Majella, pour laquelle elle demande aujourd'hui 299 000 $.

«Personne ne nous a rien dit à propos des taxes. Ni le vendeur, ni la Ville, ni le notaire.»

Elle maintient, en outre, que la facture refilée par la municipalité pour payer les «infrastructures» est «beaucoup trop élevée».

«Je ne suis pas la seule propriétaire dans mon quartier à vouloir me départir de ma maison pour ces raisons, insiste-t-elle. Mon voisin a planté sa pancarte "À vendre" parce qu'il en a assez de payer 7000 $ en taxes foncières pour une maison de moins de 400 000 $.»

Le courtier immobilier Garwood Jean-Gilles, de l'enseigne Sutton, qui tente de vendre la propriété de Francine Dubé, ne cache pas que les acheteurs y réfléchissent à deux fois avant d'acheter une maison lourdement «hypothéquée» sur le plan de l'imposition foncière.

Sans vouloir dénigrer le marché de L'Assomption, il précise: «C'est un fait connu que les taxes y sont plus élevées que dans les villes environnantes.

Le trésorier confirme

Une affirmation que n'a pas tenté de nier le trésorier de la municipalité, Dominique Valiquette, qui dit comprendre la réalité des propriétaires, tout en mettant les choses en perspective sur la question des taxes pour «infrastructures».

«Nous avons une ville qui a connu un développement en accéléré, avec de nouveaux quartiers, soumet-il. Par conséquent, les coûts pour les infrastructures ont augmenté plus rapidement que dans des villes où il y a moins de nouveaux projets.»

Or, selon lui, la municipalité, dont le passé récent a été mouvementé (la Ville a été mise sous tutelle par Québec de mai 2015 à février 2017 et son ancien maire Jean-Claude Gingras est en attente de procès criminel pour abus de confiance), aurait eu avantage à confier ces travaux aux promoteurs immobiliers, «comme ça se fait dans les autres villes», plutôt que d'assumer elle-même la facture.

La procédure a finalement été modifiée en 2013 alors que L'Assomption a «enfin pris le virage», dit-il, et cessé de financer les travaux par règlements d'emprunt remboursés sur 20 ans au moyen d'une taxe de secteur.

«J'ai moi-même insisté auprès du conseil municipal pour que la Ville cesse de taxer les contribuables pour les infrastructures», tient à rappeler M. Valiquette.

«Mais on avait, hélas, trop tardé à le faire, convient-il, et voilà pourquoi on se retrouve avec des propriétaires mécontents d'avoir à payer une taxe de secteur qui s'ajoute à la taxe régulière. Ils payaient déjà 3500 $, ils se font ajouter 1500 $ par-dessus.»

Des vendeurs en colère

Le courtier Éric Lachapelle, chez Via Capitale, lui aussi très actif dans le marché de L'Assomption, est bien au fait de la problématique des taxes pour les «infrastructures municipales» dans cette municipalité de Lanaudière. «Nous recevons beaucoup d'appels de propriétaires qui veulent mettre leur maison en vente parce que les taxes sont passées de 3500 $ à 5000 $, et même davantage», souligne le courtier. Selon lui, ce serait la raison invoquée par «un vendeur sur trois». Il ajoute: «Ces propriétaires s'étaient pourtant fait dire, au moment de l'acquisition, que les taxes étaient dans la moyenne.»

Un travail plus difficile

Cette situation pousse les propriétaires-vendeurs à faire d'énormes compromis pour trouver un acheteur. Tout récemment, le courtier a conclu une vente sur une maison de 285 000 $, et dont l'impôt foncier risquait d'être relevé à 5000 $ en raison de la taxe de secteur touchant les infrastructures municipales. «Pour favoriser la transaction, le propriétaire a pris sur lui de payer la presque totalité du montant réclamé par la Ville [30 000 $], soulève-t-il. C'était la seule façon d'y arriver.» «Mais, au net, le vendeur a perdu 25 000 $, ajoute-t-il. C'est beaucoup d'argent pour des tuyaux, de l'asphalte et de l'éclairage de rue.»

L'Assomption n'est pas un cas unique

De plus en plus de municipalités exigent, comme le fait désormais L'Assomption, que les promoteurs immobiliers réalisent à leurs frais les travaux d'infrastructures.

«Les pratiques ont changé, confirme Simon Dontigny, président de la firme Développement ZoneVerte, à Terrebonne. Les municipalités ne veulent plus avoir à financer des règlements d'emprunt pour de nouvelles rues, dans de nouveaux quartiers.»

Il donne en exemple Varennes, sur la Rive-Sud, qui demande aux promoteurs de se charger de tous les travaux, «incluant les clôtures dans les parcs», tandis qu'à Mirabel, la municipalité se charge du pavage, mais confie aux promoteurs les autres travaux majeurs d'infrastructures.

«Il arrive que des villes, c'est le cas de Sainte-Anne-des-Plaines, dans la couronne nord, prennent le temps de tout expliquer aux propriétaires d'un nouveau quartier afin que tout se fasse dans la transparence», précise Simon Dontigny.

«Ce qui importe, ajoute-t-il, c'est que tout le monde sache comment ça fonctionne avec les infrastructures. Il faut le préciser si ça va coûter 15 000 $ par maison, ou s'il faudra rembourser une taxe de plus ou moins 1000 $ pendant 20 ans.»

Payer ou taxer

Concrètement, en exigeant que les promoteurs assument 100 % de la facture, les villes n'ont pas à imposer aux propriétaires une taxe de secteur (pour les conduits souterrains, les bordures, le pavage et l'éclairage). Cette taxe est généralement imposée sur une période de 20 ans, le temps de rembourser l'emprunt pour les «infrastructures».

Simon Dontigny dit avoir observé ces changements, dans la façon de faire des municipalités, dans la foulée de la commission Charbonneau, qui a enquêté sur l'attribution et la gestion de contrats.

«Il semble bien, soumet-il, que les villes ne souhaitent plus octroyer elles-mêmes les contrats pour des raisons de transparence envers leurs contribuables.»

Une vingtaine de clients

L'urbaniste travaille avec une vingtaine de clients (des municipalités de la Rive-Sud et de la couronne nord), pour le compte de promoteurs immobiliers. Il souligne que le cas de L'Assomption est loin d'être unique, et qu'une majorité de ses clients ont mis du temps avant de modifier leurs procédures pour la construction de nouveaux secteurs urbanisés.

«La facture [pour les infrastructures municipales], par maison, peut varier d'une ville à l'autre, mais généralement, il en coûte entre 15 000 $ et 25 000 $, et ça peut aller jusqu'à 40 000 $, dans certains cas. Il appartient au promoteur immobilier de vendre la maison en tenant compte de cette dépense.» - Simon Dontigny

Une facture en baisse

Par ailleurs, le président de ZoneVerte a observé, sur le terrain, que la facture pour les «infrastructures» a diminué «considérablement» depuis que les municipalités ont transféré la responsabilité de ces travaux aux promoteurs.

«Ça se fait beaucoup plus rapidement et pour beaucoup moins cher, relève-t-il. Avant, quand les villes se chargeaient de tout, ça prenait des mois pour trouver un ingénieur et il fallait attendre la fin des appels d'offres pour amorcer les travaux.»

Finies les mauvaises surprises?

Pour sa part, l'évaluateur Nicolas St-Cyr croit que ces nouvelles règles du jeu devraient «éviter de mauvaises surprises aux acheteurs». L'associé à la firme d'évaluateurs agréés PCG Carmon, au Marché central, à Montréal, déplore que trop d'acheteurs - souvent d'une première maison - se soient fait dire par les promoteurs immobiliers: «Ne vous inquiétez pas avec les taxes!»

L'exemple de L'Assomption, où il habite, est fort révélateur, dit-il, de cette pratique qui a placé dans une position budgétaire précaire bon nombre de propriétaires, qui se retrouvent aujourd'hui avec des maisons surtaxées, et qui sont plus difficiles à vendre pour ces raisons.

«Ce qui est malheureux, dans tout cela, c'est de constater qu'on a laissé faire les choses sans réagir, déplore-t-il. Tout le monde s'est lavé les mains.»

«Mais ça s'est vu dans d'autres villes de la couronne nord de Montréal», ajoute l'évaluateur agréé, dont c'est le travail d'évaluer la véritable valeur d'une propriété à la demande des banques prêteuses, ou d'un particulier qui souhaite savoir combien vaut sa maison avant de la mettre sur le marché.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

De plus en plus de municipalités exigent, comme le fait désormais l'Assomption, que les promoteurs immobiliers réalisent à leurs frais les travaux d'infrastructures.

C'est au courtier d'informer l'acheteur

C'est «d'abord et avant tout» le travail du courtier immobilier d'informer l'acheteur sur l'impôt foncier, insiste Raynald Demers, qui vend des propriétés dans le secteur de Mont-Sainte-Anne.

«Le courtier doit fournir toutes les informations, précise le courtier de l'enseigne Century 21, et c'est le notaire qui va les confirmer au moment de finaliser la transaction.»

Il constate, à l'occasion, que des acheteurs ont eu «de mauvaises surprises» après avoir acheté soit un terrain, soit une propriété, «parce qu'ils ont été mal informés en cours d'acquisition».

«D'où l'importance, ajoute-t-il, de poser toutes les questions. Cela permet de savoir si les infrastructures ont été payées par le promoteur immobilier, ou si les infrastructures sont frappées d'une taxe de secteur.»

En janvier dernier, il a vendu une propriété sur laquelle il restait encore 15 000 $ à payer pour la taxe de secteur.

«J'en ai informé l'acheteur qui a pu avoir une lecture plus précise de la transaction qu'il s'apprêtait à conclure, dit-il. C'est important de tout révéler à l'acheteur à propos du compte de taxes foncières.»

Acheteurs bien informés?

Surtout quand il est question d'une maison neuve ou d'une maison «relativement récente», il ne faut pas hésiter à poser des questions sur l'impôt foncier.

Parmi celles-ci: est-ce que les «infrastructures» municipales ont été financées à 100 % par la municipalité? Le promoteur immobilier s'est-il chargé des travaux? Et si tel est le cas, vendra-t-il la maison de 15 000 à 20 000 $ plus cher pour tenir compte de cette dépense?

Or, la plupart des acheteurs omettent de s'informer sur l'ampleur de l'impôt foncier avant de signer une promesse d'achat sur la propriété convoitée. «Ce n'est jamais une question que j'entends quand je fais des visites, dit le courtier Sylvain Berthelette, qui travaille dans Vaudreuil-Dorion, Saint-Lazare et Saint-Zotique. Les acheteurs regardent le prix de vente de la maison et ne s'attardent pas sur les taxes, en règle générale.»

«Ils ont choisi le secteur et l'environnement dans lequel ils veulent vivre et c'est ce qui influence leur décision», ajoute le courtier de l'enseigne Remax.

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