Les droits de mutation immobilière - surnommés «taxe de bienvenue» - sont perçus chaque fois qu'un Québécois achète une propriété. Plus d'un organisme milite pour son abolition, au moins pour les premiers acheteurs, mais d'autres tiennent mordicus à son maintien. Tour de la question.

Qui veut encore des droits de mutation immobilière?

Depuis le 1er janvier 2017, l'équivalent ontarien des droits de mutation immobilière, la Land Transfer Tax, est remboursé aux premiers acheteurs par le gouvernement, jusqu'à concurrence de 4000 $ (sur la première tranche de 368 000 $ du prix d'une propriété).

En modifiant ses règles, le gouvernement de Kathleen Wynne veut encourager les Ontariens à acheter leur première propriété. «L'augmentation du prix des propriétés est un souci grandissant pour plusieurs citoyens. Et le gouvernement reconnaît que l'accès à la propriété est de plus en plus difficile, spécialement pour les jeunes familles. Nous prenons donc une mesure pour les aider», explique Scott Blodgett, conseiller en relations médias au ministère des Finances de l'Ontario.

Chez nous, la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ) milite pour l'abolition des droits de mutation pour les premiers acheteurs. Et ce, même si certaines villes, comme Laval et Montréal, ont déjà mis en place des programmes de remboursement de la «taxe de bienvenue». «Notre principale motivation est d'aider le Québec à rattraper son retard en ce qui concerne le taux de propriété, qui se situait à 61 % par rapport à plus de 70 % dans les autres provinces canadiennes au dernier recensement de 2011», explique Paul Cardinal, économiste à la FCIQ.

La proposition est défendue conjointement avec l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec (APCHQ), qui fait valoir que les premiers acheteurs ont été durement touchés par les six resserrements hypothécaires imposés en neuf ans par le gouvernement fédéral, le plus récent datant d'octobre 2016.

L'organisme croit aussi que les droits de mutation représentent une dépense qui dissuade plusieurs premiers acheteurs d'accéder à la propriété. 

«Après le principal obstacle, qui est la mise de fonds, la taxe de bienvenue est une contrainte importante. Avec les frais de notaire et de déménagement, les rénovations et l'achat de mobilier, beaucoup de familles se découragent», explique Jean-Sébastien Lapointe, conseiller en communications à l'APCHQ.

Il ajoute que l'augmentation considérable du prix des maisons a fait bondir les droits de mutation depuis 15 ans. «En 2000, le prix moyen d'une propriété était de 110 000 $, ce qui signifiait 850 $ en taxe de bienvenue, précise-t-il. Aujourd'hui, le prix moyen est de 266 500 $, soit 2498 $ en taxe de bienvenue.»

Les deux organisations mettent de l'avant les premiers acheteurs dans leurs revendications, mais elles sont prêtes à aller plus loin. «Si les droits de mutation étaient abolis pour tous, on serait heureux, affirme Paul Cardinal. Mais ça dépend du pacte fiscal avec les municipalités, qui vont vouloir combler leurs revenus autrement.»

En effet, les droits de mutation représentaient 498 millions pour l'ensemble des municipalités du Québec en 2014. Pour chacune d'elles, la taxe de bienvenue équivaut à 1 %, 2 % ou 3 % du budget total.

Des chiffres qui poussent Alexandre Cusson, maire de Drummondville et vice-président de l'Union des municipalités du Québec, à croire que l'abolition des droits de mutation, pour les premiers acheteurs ou pour tous, créerait un énorme manque à gagner. «Dans un contexte où la diversification des revenus est extrêmement limitée pour les municipalités, on s'oppose à toute abolition, dit-il. Sinon, la plupart des municipalités vont devoir compenser en augmentant les taxes foncières pour tous les citoyens.»

Selon lui, les droits de mutation ne sont pas un réel frein à la propriété. «Sur une transaction de plusieurs milliers de dollars, on s'entend que c'est un montant minime, affirme M. Cusson. Il n'y aurait pas plus de transactions si la taxe de bienvenue était abolie.»

La courtière immobilière Nathalie Clément, de Via Capitale, croit pour sa part que la taxe influe sur plusieurs acheteurs potentiels. «Imaginez ce scénario: un couple prend cinq ans pour économiser 15 000 $, soit la mise de fonds de 5 % pour une propriété de 350 000 $. Les droits de mutation représentent 1 % du prix de vente, donc 3750 $, ce qui équivaut à 20 % de ses économies initiales. C'est une énorme charge à payer pour les premiers acheteurs!»

Le ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire (MAMOT) du Québec reçoit chaque année des demandes de différents groupes pour l'abolition ou l'augmentation des droits de mutation.

Récemment, Bernard Guay, directeur général de la fiscalité et de l'évaluation foncière au MAMOT, a recommandé au gouvernement de ne pas abolir la «taxe de bienvenue».

«S'il y avait abolition, les villes devraient augmenter leurs taxes foncières d'environ 5 %, dit-il. Et comme les droits de mutation représentent en moyenne 1 % du prix d'achat d'une propriété, on ne pense pas que ce soit un frein pour les acquéreurs. Son abolition n'aurait pas un effet déterminant sur le marché immobilier ou l'accès à la propriété, comme le croient les objectifs des organismes qui militent en sa faveur.»

Il ajoute qu'il n'a pas recommandé non plus d'ajouter des exonérations aux droits de mutation pour une clientèle en particulier, comme les premiers acheteurs. Les exemptions actuelles sont déjà nombreuses, à ses yeux: transfert d'une propriété entre parents au premier degré (de l'enfant au parent ou l'inverse), entre corporations liées et entre des organisations d'exploitation agricole enregistrées.

Calculer autrement

Qu'ils soient en faveur ou non de l'abolition des droits de mutation, la plupart des intervenants interrogés suggèrent des modifications majeures dans son calcul.

Jean Hétu, professeur titulaire spécialisé en droit municipal à l'Université de Montréal, rappelle que le calcul des droits de mutation était jadis basé soit sur le prix payé par l'acheteur, soit sur l'évaluation. Mais depuis 1993, le gouvernement a défini que la valeur de base était la plus élevée des deux, avec une majoration occasionnelle. «Si vous payez 110 000 $ pour un immeuble en mauvais état, dont la valeur à l'évaluation est de 214 000 $ et qu'elle est multipliée par un facteur comparatif au reste du marché de 1,14, la valeur de base sera uniformisée à 248 000 $. Et les droits de mutation seront calculés sur 248 000 $. C'est une valeur factice!» Il suggère de calculer le tout à partir de la valeur réelle.

Le professeur met également en lumière ce qu'il considère comme une injustice: l'évaluation d'une propriété se fait tous les trois ans, et non chaque année comme auparavant. «Même si une propriété perd de la valeur, l'évaluation est gelée pendant trois ans, et on ne peut la contester que le 1er mai de la première année!», déplore-t-il.

De leur côté, la FCIQ et l'APCHQ proposent de moderniser les échelles de taxation pour s'ajuster à l'augmentation significative du prix des propriétés. Selon leurs estimations, depuis 1992, la taxe de bienvenue a été multipliée par 3,8, tandis que le prix des propriétés a été multiplié par 2,9. «À l'époque, on payait 750 $ en droits de mutation sur une propriété de 100 000 $. Mais 25 ans plus tard, la même propriété vaut environ 290 000 $. Donc, les droits de mutation s'élèvent à 2850 $», illustre Paul Cardinal, économiste à la FCIQ.

Selon les deux organisations, les fourchettes de calcul doivent changer. «Par exemple, le taux de 0,5 % pourrait être utilisé pour les propriétés valant jusqu'à 100 000 $, et non 50 000 $ comme c'est le cas actuellement, car il n'y a plus grand-chose à ce prix-là aujourd'hui, dit le spécialiste. Puis, 1 % pour les propriétés de 100 000 à 500 000 $. Et 1,5 % pour celles qui valent plus d'un demi-million.»

Selon Me Marie-Sylvie Janelle, présidente de l'Association professionnelle des notaires du Québec, il serait pertinent d'étudier l'ensemble des éléments qui ont compliqué l'accès à la propriété, au lieu de cibler uniquement les droits de mutation. «Dès qu'il y a une taxe payable en fonction de l'évaluation d'une maison, il faut analyser pourquoi le prix de celle-ci a augmenté et considérer tous les facteurs d'influence. Par exemple, le travail d'un courtier immobilier est le même pour vendre une propriété de 150 000 $ et une autre de 300 000 $. Pourtant, sa commission augmente considérablement pour la deuxième.»

Paul Hétu suggère même que le Québec s'inspire de l'État de la Floride, qui perçoit une «taxe d'au revoir». «Les revenus des municipalités ne changeraient pas, et on calculerait la taxe en fonction d'une partie de la plus-value gagnée par la propriété, chose qui dépend souvent de décisions municipales comme la construction d'un parc, l'implantation d'une station de métro ou des rénovations, explique le professeur. Celui qui part rembourserait donc une part de son profit.»

Illustration La Presse

Le ministre Bienvenue et la légende urbaine

La croyance populaire veut que la «taxe de bienvenue» ait hérité du nom de famille du ministre libéral Jean Bienvenue, puisqu'il aurait déposé le projet de loi en 1976. Pourtant, il n'en est rien.

Adoptée en décembre 1976, la loi 47 a été parrainée par le ministre des Affaires municipales, le péquiste Guy Tardif, quelques semaines après que le parti de René Lévesque eut gagné les élections.

La loi permettant aux municipalités d'imposer des droits de mutation immobilière lors du transfert de propriété avait toutefois été évoquée lors du discours du budget, en mai 1976, par le ministre libéral des Finances, Raymond Garneau.

Le 16 décembre 1976, le ministre Tardif l'a d'ailleurs mentionné, comme on peut le lire dans les archives de l'Assemblée nationale: «Ce projet est présenté d'une part, parce qu'il était déjà dans le discours du budget de l'ancien ministre des Finances, mais aussi il est présenté ici parce qu'il est, selon nous, justifiable et parce qu'il s'inscrit dans le sens des politiques mises de l'avant par le Parti québécois.»

Et Jean Bienvenue dans tout cela? Après avoir été ministre de l'Immigration de 1972 à 1976, il a été ministre de l'Éducation pendant quelques mois, avant les élections perdues par le Parti libéral.

«Il [le ministre Bienvenue] n'avait aucun rapport avec la taxe», explique Jean Hétu, professeur titulaire spécialisé en droit municipal à l'Université de Montréal.

«Mais à l'époque, les anglophones ont tourné la taxe en dérision en la surnommant la "welcome taxe". Ensuite, on a traduit cela comme la taxe de bienvenue. Mais le lien avec le ministre Bienvenue est une légende urbaine qui a été constamment reprise.»

En 1992, le gouvernement a transformé le pouvoir discrétionnaire laissé aux municipalités en obligation de percevoir les droits de mutation pour toutes.

Illustration La Presse