Construites il y a 40 ans pour accueillir les athlètes pendant les Jeux olympiques, les quatre tours du Village olympique hébergent encore aujourd'hui des milliers de personnes. Un peu en retrait de la rue Sherbrooke, elles en imposent par leur architecture. Incursion dans un monde presque à part.

D'un étage à l'autre

En nous inspirant du travail du photographe roumain Bogdan Gîrbovan, qui a immortalisé les locataires des 10 étages du complexe d'appartements où il vit, nous avons visité l'un des immeubles locatifs les plus mythiques de Montréal. Mêmes logements, différents étages : incursion dans la tour A des pyramides olympiques.

19e étage

La fille de Jacques et Pierrette Devedeux a cinq enfants. Il leur a donc semblé tout naturel de lui céder la grande maison de Cité Jardin qu'ils ont longtemps habitée pour venir s'installer tout en haut de la tour A du Village olympique, à quelques pas de là. « C'est un appartement de rêve », dit Pierrette Devedeux qui, comme bien d'autres vivant sous elle, apprécie l'immense terrasse qui fait presque office d'un second appartement.

18e étage

Guy et Micheline Côté ont longtemps vécu dans les Laurentides, où ils étaient propriétaires d'une fermette. C'était avant que M. Côté ne doive fréquenter régulièrement l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et qu'un retour en ville ne devienne la bonne chose à faire. S'ils sont nostalgiques de leur campagne, ils apprécient « l'atmosphère » du Village olympique, où ils résident depuis une quinzaine d'années. Le bingo, la piscine, les jeux de cartes, il y a presque « trop d'activités », souligne la femme de 80 ans. « On est mieux ici qu'en résidence. »

16e étage

Les yeux de Charles Schembry s'embuent. C'est son conjoint, mort il y a deux mois, qui souhaitait vivre dans les mythiques pyramides. « Quand on est arrivés ici il y a six ans, je lui ai dit : on rentre dans une maison de retraite ! », se souvient-il. L'ancien professeur de français doit aujourd'hui envisager la vie sans son amoureux. Rien n'est plus pareil et même la terrasse ne lui dit plus rien. « Cet été, il n'y aura pas de fleurs », dit-il.

15e étage

De la maison qu'ils ont longtemps occupée dans le quartier Rosemont, André Vandersteenen et Irma Maggy Avian ont vu les pyramides olympiques s'élever dans le ciel. Quand est venu le temps de vendre leur maison, ils ont cherché un grand appartement. « Ici, on a pu apporter pas mal de choses », dit Mme Avian. Elle s'était promis de ne pas emménager au-delà du 4e étage, pourtant, c'est presque au sommet de la pyramide qu'on les retrouve depuis 11 ans.

12e étage

Quand elle regarde par les grandes fenêtres de son salon, Monique Paquette-Rioux en oublie presque qu'elle n'habite plus à Saint-Simon, dans le Bas-Saint-Laurent. « Le soir, quand je vois les lumières de la ville au loin, j'ai l'impression de voir la Côte-Nord de l'autre côté du fleuve », dit-elle, un brin nostalgique. Si son mari et elle se sont installés au Village olympique il y a trois ans, c'est pour y accueillir leur fils qui a subi un traumatisme crânien. 

4e étage

Le Village olympique venait tout juste d'être converti en appartements quand Yves Lever et Marie-Claude Langlois s'y sont installés en 1979. « On était les plus jeunes quand on est arrivés ici », se souvient Yves Lever. Bien qu'ils aient changé d'appartement quelques années après avoir posé leurs valises dans la pyramide A, ils ne l'ont pas quitté depuis.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Yves Lever et Marie-Claude Langlois se sont installés en 1979 dans la pyramide A.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

«Le soir, quand je vois les lumières de la ville au loin, j'ai l'impression de voir la Côte-Nord de l'autre côté du fleuve», raconte Monique Paquette-Rioux, que l'on voit ici en compagnie d'Alain et Jean-Charles Rioux. 

Un ouvrage important

Beaucoup ont retenu le pire des bâtiments construits en prévision des Jeux olympiques de 1976, le toit du stade en étant sans doute l'exemple le plus probant.Le Village olympique n'a pas fait exception. Avant même sa construction, le caractère permanent des habitations pour les athlètes était loin de faire l'unanimité, rappelle Marie-Dina Salvione, historienne de l'architecture moderne.

« Les pyramides allaient prendre une partie du terrain de golf, du parc qui était là. Certains auraient voulu un projet temporaire, avec des maisonnettes qui auraient été détruites après les Jeux », dit-elle.

Une accusation de plagiat tombe ensuite sur le projet des architectes Roger D'Astous et Luc Durand. L'architecte français André Minangoy les accuse de s'être trop inspirés de sa Baie des Anges, un complexe immobilier situé près de Nice.

« Il y a un rapprochement formel évident, mais quand on observe les pyramides olympiques de plus près, on se rend compte que ça n'a rien à voir. Il y a plusieurs détails qui montrent que ce n'est pas un plagiat », dit Marie-Dina Salvione.

Le coût de construction du complexe résidentiel marque aussi les esprits. « Vrai que 100 millions pour 6000 athlètes pendant deux semaines, ça fait cher l'athlète et cher la semaine ! », lit-on dans La Presse trois ans après la construction.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Une piscine a été construite au rez-de-chaussée.

Quatre décennies plus tard, l'ouvrage reste en effet important dans le paysage architectural montréalais. « C'était un défi colossal de réussir un projet à une telle échelle », dit Marie-Dina Salvione, qui note que l'ensemble est intéressant d'un point de vue public, mais aussi à l'échelle intime.

« De l'extérieur, le passant va remarquer l'aspect très sculptural des pyramides, qui est créé par le soulignement des coursives. En fait, ce sont des éléments de béton préfabriqués avec des agrégats de pierre blanche pour bien capter la lumière et accentuer les effets de clair-obscur à une échelle urbaine. Quand on entre à l'intérieur, on voit tout le travail à l'échelle privée, qui est aussi important. On a affaire à une ville dans la ville. »

« On voit le travail sur les façades en brique, sur les huisseries, les portes, les poignées de porte, jusqu'à la fente pour le courrier », énumère Mme Salvione.

Architecture remarquable

Chez Héritage Montréal, on estime que l'ensemble des installations olympiques mérite une reconnaissance. « C'est un des legs d'un événement international parmi les plus grands en envergure. On a eu Expo 67, on en est fiers ; les Olympiques, c'est dans la même ligue », dit Dinu Bumbaru.

Un avis partagé par Marie-Dina Salvione. « Quand un objet a des qualités, des valeurs architecturales remarquables comme celles-là, on se doit de les respecter. Le bâtiment n'est pas classé, par contre, il appartient à un secteur protégé. Il est remarqué, donc s'il y a des projets de modification importants, on peut penser qu'il y a des voix qui vont s'élever », dit la chargée de cours de l'UQAM.

Les 980 logements du village olympique sont aujourd'hui en location. En 2012, le Fonds de placement immobilier d'immeubles résidentiels canadiens (CAPREIT) a acquis l'immeuble pour 176,5 millions. Des rénovations sont envisagées au rez-de-chaussée, là où se trouvent les commerces et services aux résidants qui semblent figés dans le temps.

« Nous n'avons pas encore d'échéancier, mais nous aimerions revitaliser tout en respectant le thème olympique du village, indique Marie-Anyse Pin, directrice déléguée de CAPREIT. Ce serait respecté, mais modernisé. C'est un emblème, on ne veut pas lui enlever tout son charme et son histoire. »

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

À deux mois de l'échéance de livraison, en mars 1976, les travaux vont bon train au Village olympique.

«La grande vie»

«C'est la grande vie au Village olympique », titrait La Presse en mars 1979. Avec deux colocataires, Christiane Lecours avait donné une entrevue au journaliste venu visiter ceux qui avaient pris la place des athlètes dans les grandes pyramides.

« On a été parmi les premiers occupants, se souvient la femme de 60 ans. Je pense que le journaliste a été intéressé par trois jeunes filles qui partageaient un appartement. Autour de nous, c'était surtout des familles, des gens plus âgés et en meilleure situation financière. C'était quand même un peu audacieux de décider, à trois, de déménager là », dit Christiane Lecours, qui avait alors 23 ans.

Bien qu'elle n'ait pas gardé contact avec ses colocataires de l'époque, elle conserve un souvenir chaleureux de son passage d'un an et demi dans les pyramides. « C'était un bel endroit où habiter. On avait un gymnase, une piscine, des ascenseurs, une superbe terrasse », dit-elle.

Un statut qui faisait l'envie de gens autour d'elle. « Ça ne laissait pas indifférent, je me suis fait taquiner, dit Christiane Lecours. On se demandait comment j'avais les moyens de rester là ! » La solution était simple : en partageant le logement à trois, les femmes déboursaient 128 $ chacune pour y habiter.

Ci-contre, un retour en photos sur les premières années des pyramides olympiques.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Des athlètes posent dans les appartements qui leur sont réservés au Village olympique, en 1976. Le mobilier est signé par Michel Dallaire, aussi concepteur du BIXI.