Après l'obtention d'une autorisation de démolition, les nouveaux propriétaires d'un cottage à pignon, avenue Woodland, à Beaconsfield, ont eu la surprise d'apprendre qu'ils ne pouvaient aller de l'avant. Pourquoi? Certaines personnes se sont opposées à la destruction de cette demeure en raison de son «intérêt patrimonial». Conçue dans le cadre d'un programme national intitulé Trend House (Maison Tendance) mis en place au début des années 50 par les industries forestières de la Colombie-Britannique, cette maison modèle devait illustrer la beauté et les usages des bois de l'Ouest, comme la pruche du Pacifique, le cèdre rouge et le contreplaqué de sapin Douglas. Onze maisons témoins ont été construites dans diverses provinces et celle de Beaconsfield constitue le seul exemple au Québec.

La Patrie, dans son édition du 23 mai 1954, au moment de l'ouverture de cette propriété au public, rapportait que cette dernière représentait «l'habitation moderne à son plus haut degré de perfection».

Cette construction de 1635 pieds carrés comportait plusieurs idées innovatrices, comme celle du plan ouvert ou du décloisonnement des pièces communes: le salon donne complètement sur la salle à manger et ces deux «pièces» logent dans un espace double hauteur largement fenêtré. Quant à la cuisine, elle s'ouvre sur la salle à manger grâce à un passe-plat et, surtout, elle se poursuit en une salle familiale pour les enfants. Une révolution pour l'époque.

Malheureusement, on ne peut montrer ces aménagements, car lors de notre visite, les propriétaires ont empêché le photographe de La Presse de prendre une vue d'ensemble des pièces de vie.

CE QU'ILS EN DISENT

Michael Goodfellow

Michael Goodfellow, 62 ans, est le petit-fils du fondateur de Goodfellow, grossiste et distributeur de bois bien connu. Il est également le fils de l'architecte montréalais Philip F. Goodfellow qui a élaboré les plans de la «Maison Tendance» à Beaconsfield, et qui est décédé en 1972.

Après avoir eu vent de la possible démolition de cette maison modèle, Michael Goodfellow et son fils, un architecte vivant à Toronto, ont effectué des recherches sur le programme Trend House. Ensuite, ils ont mis sur pied un site internet pour renseigner le public et, surtout, l'inviter à interjeter appel de la décision de démolition de la Ville de Beaconsfield.

Mais n'aurait-il pas été plus simple d'acheter cette propriété, ai-je demandé. Vous l'auriez ainsi préservée?

«Je possède déjà une maison et, lorsque j'ai visité la Maison Tendance il y a quelques années, elle n'était pas à vendre», répond M. Goodfellow, qui habite sur la Rive-Sud de Montréal. Il ajoute: «Elle semble relativement en bon état. Elle pourrait donc être rénovée plutôt que détruite, car elle témoigne de l'évolution de l'architecture domestique moderne au Québec.»

Les propriétaires

Aux yeux du couple propriétaire, rien ne mérite d'être préservé dans cette habitation. Infiltration d'eau, pourriture, isolation désuète... son état est trop délabré, disent-ils. Sans compter les ajouts, comme le garage qui n'est pas conforme aux normes de construction. «Elle a été mise sur le marché trois fois, ce qui donnait amplement l'occasion à ceux qui désirent la conserver de l'acquérir. Et maintenant, tout d'un coup, ils voudraient que l'on investisse un quart de million minimum pour rénover une maison que l'on ne veut pas sur notre terrain», proteste-t-il.

Denis Chabot, directeur du Service de l'aménagement urbain à la Ville de Beaconsfield

Denis Chabot révèle qu'il a déjà effectué des démarches auprès des anciens propriétaires afin de «citer» cette demeure comme monument historique (la citation est l'équivalent du classement, mais au niveau local). «Mais ils ont refusé et, à la Ville, nous n'avons pas l'habitude de citer un bâtiment sans l'approbation des propriétaires», précise-t-il. M. Chabot rappelle qu'un comité de démolition composé de trois élus a approuvé la démolition de la Maison Tendance, à la suite d'un rapport d'évaluation d'un architecte. «Mais des demandes d'appel de la décision de démolition ont été faites. Le conseil municipal devra statuer sur les oppositions et rendre une décision sans appel dans un avenir rapproché», précise-t-il.

Pauline Faguy-Girard, secrétaire-trésorière à la Société historique Beaurepaire-Beaconsfield.

La Société historique Beaurepaire-Beaconsfield figure parmi ceux qui se sont opposés à la démolition. «Ça passe ou ça casse. Je ne crois pas qu'il nous reste d'autres recours», dit Pauline Faguy-Girard.

Dinu Bumbaru, directeur des politiques d'Héritage Montréal

«Il fut un temps où les permis de démolition étaient donnés sans considération, rappelle Dinu Bumbaru. Mais le cas de la Maison Tendance mérite d'être discuté, car celle-ci fait partie de l'architecture optimiste de l'après-guerre. Nous avons écrit à la Ville et devons visiter la propriété bientôt. N'oublions pas que le patrimoine ne se restreint pas qu'aux bâtiments très anciens. Il faut aussi se questionner sur le phénomène de la démolition des bâtiments modernes d'intérêt qui sont remplacés par des néomanoirs.»

France Vanlaethem, professeure associée, à l'École de design de l'UQAM, présidente de Docomomo Québec

«Il serait temps que les municipalités, notamment, se préoccupent davantage du patrimoine domestique de la modernité, affirme France Vanlaethem. La Maison Tendance de Beaconsfield n'est peut-être pas une icône, mais son intérêt réside dans le fait qu'elle est une maison modèle. Conçue pour inspirer les gens, elle témoigne des nouvelles manières de construire et d'habiter des années 50. Par exemple, l'ouverture des pièces de vie coïncide avec la transformation du rôle de la femme à la recherche d'un meilleur contact avec les membres de sa famille. Enfin, conclut Mme Vanlaethem, le remplacement de cette maison discrète par une grande demeure risque de changer le caractère bucolique des lieux où prédomine le paysage.»

Photo fournie par Michael Goodfellow

1954. Au québec, la seule maison modèle conçue dans le cadre du programme national Trend House qui s'est échelonné de 1952 à 1955, est située à Beaconsfield. Cette photo de la maison a été prise en 1954.