Londres se réveille à peine. Nous sommes dimanche, pas tout à fait 9h, et la station de train Hackbridge est déserte. La billetterie est fermée. Les journaux sur la banquette datent du vendredi. À l'extérieur, je tombe sur un passant que j'aborde en dépliant une carte chiffonnée.

Londres se réveille à peine. Nous sommes dimanche, pas tout à fait 9h, et la station de train Hackbridge est déserte. La billetterie est fermée. Les journaux sur la banquette datent du vendredi. À l'extérieur, je tombe sur un passant que j'aborde en dépliant une carte chiffonnée.

«Ah, vous voulez vous rendre à BedZED, déduit-il d'emblée. Tournez ici et marchez quelques minutes. Vous ne pouvez pas le manquer.»

Et comment!

Entre la gare et le célèbre complexe, le chemin London est ponctué de maisons brunes, anonymes. Puis, après un détour, le Beddington Zero Energy Developpement, mieux connu sous le nom de BedZED, surgit. Et surprend.

Des dizaines de conduits d'air colorés sortent des toits. Les murs face au sud, translucides, sont tachetés de panneaux solaires. De l'autre côté, le toit descend en une jolie courbe végétale où poussent des terrasses. La journée s'annonce chaude et les clématites y sont à leur meilleur.

L'allure du complexe rappelle vaguement celle d'un engin spatial. Sur la route, certains automobilistes ralentissent même à son approche.

Pas de doute, le Disneyland de la maison verte se trouve bien ici. Même à l'aube, un petit groupe de touristes japonais s'agglutine aux portes. Appareil photo à la main, ils croquent les immeubles, au grand dam des résidants en pyjama qui tirent les rideaux. Les visiteurs se disent intéressés par l'architecture verte, mais de toute évidence, c'est l'aspect futuriste de BedZED qui les captive.

«Je ne le savais pas au moment d'acheter mon appartement, mais je suis chanceux de ne pas vivre dans le premier bâtiment, près de la route, dit un des résidants, Steve Tabard. Ceux qui vivent dans cet édifice en ont marre d'être photographiés. Nous vivons dans un complexe hors du commun et je suppose que nous devions nous attendre à une certaine curiosité.»

Voilà ce qu'espérait son architecte, Bill Dunster. Le professionnel caressait deux espoirs au moment de la construction de BedZED, en 2002: que le lotissement devienne une référence en habitation durable et écologique, et qu'il soit reconnu pour son design tout aussi avant-gardiste.

«Nous avons réuni à BedZED les innovations vertes les plus performantes que nous connaissions à l'époque, explique l'architecte. Mais pourquoi s'arrêter là? Célébrons la nouvelle ère dans laquelle l'architecture entre! Il faut oser pour que l'on parle de nous!»

L'architecte a atteint son but: on parle beaucoup BedZED. Tant et si bien que sur la porte de BioRegional, l'organisme qui gère le complexe, un écriteau mentionne que pour une visite guidée du quartier, il faut revenir le mercredi après-midi. Et de préférence réserver sa place.

Cette semaine-là, deux groupes de Chinois et une classe d'étudiants allemands exploraient le complexe.

Un modèle d'économie d'énergie

L'idée d'un écovillage en milieu urbain a été lancée pendant les années 90 par BioRegional - organisme britannique consacré au développement durable -, par l'architecte Bill Dunster et le promoteur Peabody. Elle ne s'est concrétisée qu'en 2002.

«Nous avons travaillé pour rien pendant trois ans», se souvient M. Dunster. Le gouvernement a peu appuyé le groupe, si ce n'est que pour acheter le terrain à prix avantageux.

Les créateurs de BedZED ont toutefois conçu un complexe qui produit autant d'énergie que les résidants en consomment. Un défi que des propriétaires isolés se lancent parfois, mais qui relève de l'exploit à l'échelle des immeubles résidentiels.

Des panneaux solaires situés plein sud fournissent 15% de l'électricité nécessaire au complexe. Le reste provient de la combustion des branches d'arbres émondées dans les villes environnantes. BedZED possède sa propre petite centrale électrique.

Mais les besoins sont minimes. À l'intérieur des 82 appartements, les planchers de béton absorbent la chaleur du soleil pendant le jour et la distribuent pendant la nuit. Les réservoirs d'eau chaude servent aussi de radiateurs.

«Les pertes de chaleur sont tellement minces que quand la maison se rafraîchit trop à mon goût, je me fais du thé, raconte Steve Tabard. La température de la maison augmente sensiblement. Pour la même superficie, ma facture d'énergie n'est plus que le quart de ce qu'elle était dans mon ancien appartement.»

Le soleil est encore bas dans le ciel, et la chaleur dans l'appartement de M. Tabard grimpe. Au milieu de l'entrevue, il se lève et ferme les rideaux. La clarté provient alors du rez-de-chaussée de l'appartement, dont la face sud est ouverte sur les deux étages.

À Londres, les hivers entraînent le mercure autour du point de congélation. Malgré cela, Steve Tabard n'a jamais utilisé son radiateur électrique.

La structure du bâtiment est étanche et efficace. En prime, les créateurs l'ont voulu aussi écologique que possible. Plus de la moitié des matériaux utilisés pour bâtir BedZED provenaient d'au plus 50 kilomètres du complexe.

L'initiative a permis de réduire les émissions de gaz à effets de serre, contrecoup inévitable de la construction résidentielle. BioRegional soutient que l'attention portée au choix des matériaux a diminué de 25% l'impact du lotissement sur l'environnement.

«Ce projet n'est pas parfait, mais je crois que c'est un succès, lance Bill Dunster, en contemplant les maquettes de ses nouveaux projets, des émules de BedZED notamment pour la Chine. Ça nous prouve que lorsqu'on réunit les bons éléments ensemble, les idées peuvent se concrétiser.»

Quand la communauté s'y met

En 2002, le promoteur Peabody a vendu les plus grands appartements de BedZED un peu plus de 400 000$. Un excellent prix pour le marché londonien. Les propriétaires de ces appartements sur deux étages profitent d'environ 1000 pieds carrés, de trois chambres et d'une grande terrasse.

Le promoteur a fixé à environ 1800$ par mois la location d'un appartement un peu plus petit comptant deux chambres. À ce prix, il faut faire vite. Quelques locataires profitent d'un programme de loyer à prix modique, et la liste d'attente est longue.

Les résidants de BedZED sont donc pour la plupart des professionnels qui peuvent se payer un toit à une vingtaine de minutes des pôles économiques et culturels de Londres.

«Au départ, c'est la proximité du train et le design du projet qui m'ont plu, se souvient Steve Tabard, propriétaire depuis 2002. Ma femme est beaucoup plus écologiste que moi. Elle a plutôt craqué pour le côté vert du projet.»

Les résidants de BedZED sont pour la plupart à l'image de M. Tabard. Sensibles à la question environnementale, mais pas au point de participer à des manifestations ou d'abandonner l'automobile.

Par contre, depuis qu'ils ont aménagé dans le complexe, ils mangent des produits bios cultivés localement, ils font leur compost et recyclent de façon plus systématique. Un groupe a même instauré un service de covoiturage.

«BioRegional a fait de la sensibilisation et ça fonctionne, explique Greg Searle, responsable du volet nord-américain de One Planet Living, organisme qui espère importer l'idée de BedZED au Canada. Il faudrait quatre planètes pour supporter le rythme de consommation des Canadiens. À BedZED, c'est une seule planète.»

Steve Tabard salue toutefois le caractère volontaire de l'aventure BedZED: «Personne ne vient vider mes poubelles pour vérifier si je recycle. Il n'y a pas de contraintes, et pourtant, tout le monde participe.»

BedZED en chiffres

3: Le nombre de fois que l'air se renouvelle en 24heures dans un appartement de BedZED. Dans un logement conventionnel, c'est en moyenne 20 fois.

15%: la proportion de matériaux recyclés qui entrent dans la composition de BedZED.

50%: l'économie d'eau engendrée par la récupération des eaux de pluie, pour remplir les toilettes.

52%: la proportion de matériaux provenant de moins de 50 km du lieu de construction.

57%: la réduction de l'énergie nécessaire pour chauffer l'eau que consomment les résidants du lotissement.

82: le nombre d'habitations en copropriété et en location du complexe. Quinze sont à loyer modique.

88%: la réduction des frais de chauffage en comparaison avec la moyenne britannique.

100: le nombre de personnes qui travaillent dans des locaux aménagés à BedZED.