Le Tintin de Hergé était un reporter plus occupé à traquer les escrocs dans des aventures rocambolesques qu'à publier des articles... Aujourd'hui, les bédéistes qui se font journalistes s'appliquent à raconter fidèlement, case par case, les observations qu'ils font sur le terrain. Leurs oeuvres  portent un nom: le «BD reportage», ou «bédéreportage». Explications.

Le genre n'est pas nouveau, mais il gagne en popularité. Dimanche dernier, le bédéiste Guy Delisle a remporté le Fauve d'or du meilleur album - consécration très convoitée décernée annuellement au Festival international de la bande dessinée à Angoulême, en France - pour son dernier opus, Chroniques de Jérusalem (éditions Delcourt). Son ouvrage s'inscrit, en quelque sorte, dans le courant du «bédéreportage».

Guy Delisle, il faut le préciser, ne se décrit pas lui-même comme un journaliste. «Cela m'embête toujours de me voir coller l'étiquette du bédéreportage», a-t-il confié récemment à l'AFP. «Je ne fais pas d'investigation, pas d'enquête approfondie. [...] Je ne me sens pas journaliste, j'attends que les histoires me tombent dessus.»

Mais il les raconte fidèlement. Et c'est justement ce que ses lecteurs aiment de ses récits: les petits détails qui donnent la couleur aux pays dans lesquels il séjourne. Dans les Chroniques de Jérusalem, il décrit le quotidien tendu (tordu?) que vivent Palestiniens et Juifs dans la ville sainte déchirée. Avant Jérusalem, Delisle a tiré le même genre de récit de ses séjours en Corée du Nord, en Chine et en Birmanie.

L'Américain Joe Sacco, lui, est l'incarnation du bédéreporter. Il se rend en zone de guerre, parfois pour des publications comme Time et New York Times Magazine, et en tire des récits comme son dernier Reportages (Futuropolis, 2011), qui rassemble des dessins rapportés d'Irak, de Malte, de l'Inde, du Caucase. Son imposant Gaza 1956, en marge de l'histoire (Futuropolis, 2010), fruit de son enquête sur le massacre de 275 Palestiniens par des soldats israéliens, sera d'ailleurs adapté au cinéma par le réalisateur Denis Villeneuve.

Du journalisme comme les autres? Pas exactement. Le principe de l'objectivité, si cher au journalisme «classique», ne s'applique guère dans le cas d'un reportage dessiné. Le bédéreporter se met souvent en scène dans ses propres dessins - on le voit prendre des notes, partager ses pensées. Joe Sacco, dans la préface de Reportages, ne s'en cache pas: il ne prétend pas à l'impartialité. «Mon intention [...] est de signaler au lecteur que le journalisme est pratiqué par un être humain, avec toutes les imperfections que cela implique.»

À lire: Chroniques de Jérusalem, Guy Delisle, éditions Delcourt, 2011. Reportages, Joe Sacco, éditions Futuropolis, 2011. BD Reporter, Patrick Chappatte, éditions Glénat, 2011.