Les tonnes de déchets amoncelées depuis l'été dernier au Liban ont commencé à être enlevées ce week-end en vertu d'un plan controversé destiné à mettre fin à une crise ayant provoqué de vastes manifestations contre l'incurie des autorités.

Depuis l'aube dimanche, des dizaines de camions se sont activés pour emporter des tonnes de sacs d'ordures, tellement nombreux qu'ils ont pris la forme d'un fleuve dans la banlieue nord de Beyrouth, selon des images aériennes. Ils ramassaient également les déchets jetés sur les bords de la rivière de la capitale, déjà très polluée, a constaté un photographe de l'AFP.

Malgré le lancement de ces opérations, la polémique n'est pas éteinte. Experts et militants de la société civile dénoncent une solution temporaire qui s'appuie sur la réouverture d'une grande décharge, celle de Naamé, pour deux mois.

C'est justement la fermeture en juillet dernier de cette déchèterie au sud de la capitale qui est à l'origine de la crise. Faute de solutions alternatives, elle a laissé des tonnes d'ordures qui s'empilent le long des autoroutes, des fleuves et même dans les forêts et les vallées du pays du Cèdre.

Le scandale a poussé des dizaines de milliers de Libanais dans la rue, une mobilisation non confessionnelle et non partisane sans précédent qui a illustré le ras-le-bol contre la corruption endémique, le dysfonctionnement de l'État et la paralysie des institutions politiques.

Des analystes ont vu dans cette crise un reflet de la paralysie institutionnelle au Liban, sans président depuis près de deux ans en raison des profondes rivalités politiques exacerbées par la guerre en Syrie voisine.

Le gouvernement s'est réuni à plusieurs reprises sans être en mesure de prendre de décisions pérennes et le premier ministre Tammam Salam a brandi la menace d'une démission.

«Plan inacceptable»

Outre la réouverture de la déchèterie de Naamé, le plan annoncé prévoit la création de nouvelles décharges pour une durée de quatre ans, à Borj Hammoud, la banlieue à majorité arménienne au nord de Beyrouth, et dans la Costa Brava au sud de Beyrouth, jusqu'à ce qu'une solution durable soit trouvée.

Ces mesures temporaires ulcèrent les militants du collectif citoyen «Vous puez», à l'origine des manifestations de l'été dernier, qui ont bloqué brièvement lundi des accès à Beyrouth en signe de protestation.

«Ce plan est inacceptable, car c'est comme ça que la crise a débuté», a déclaré à l'AFP Ziad Abi Chaker, ingénieur environnemental et expert du recyclage des déchets solides depuis 27 ans. «En prenant les déchets pour les mettre dans un site d'enfouissement, ils ignorent la crise des huit derniers mois. C'est un retour à la case départ».

De plus, le plan prévoit que l'incinération prendra le relais après quatre ans. «C'est la cerise sur le gâteau, car l'incinération est pire que l'enfouissement», selon l'expert.

Écologistes et militants soulignent que le problème peut être traité en recyclant la grande majorité des ordures, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Ils fustigent l'avidité des hommes politiques qui cherchent, selon eux, à avoir leur part des profits liés à l'énorme marché du traitement des déchets.

Il y a un mois, «Vous puez» avait détourné un spot du ministère du Tourisme vantant les trésors de la nature libanaise avec des images prises du ciel. Cette vidéo montre à la place des montagnes d'ordures s'étendant comme des fleuves, au beau milieu de la forêt, dans des vallées ou sous des ponts.

Le mouvement civil, qui s'est essoufflé au fil des mois malgré la persistance de la crise, ne cesse de dénoncer la classe politique qu'elle juge corrompue et incapable de lui offrir les services de base.

Vingt-cinq ans après la fin de la guerre civile, l'électricité reste en effet rationnée et, chaque été, l'eau vient à manquer dans de nombreuses régions, notamment Beyrouth. Le Liban est le pays le plus arrosé du Moyen-Orient, mais il manque cruellement de barrages.

«À présent, la balle est dans le camp des habitants des secteurs où se situent les décharges», a déclaré à l'AFP l'un des membres actifs du collectif «Vous puez» sous couvert de l'anonymat.

«Certes, des personnes ont commencé à se mobiliser dans quelques quartiers, mais lorsque vous voyez l'armée, les forces de sécurité et de renseignement déployées dans la zone de Naamé, comment voulez-vous que les résidents osent tenter une action?»