La plus petite grenouille de la province a obtenu vendredi après-midi un coup de pouce de la Cour supérieure du Québec. Le tribunal a ordonné un arrêt temporaire et partiel des travaux d'un projet immobilier estimé à 300 millions de dollars à La Prairie, sur la Rive-Sud.

Le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) avait déposé en Cour supérieure plus tôt cette semaine une demande d'injonction temporaire pour stopper des travaux en cours qui menacent l'habitat d'une espèce en péril, la rainette faux-grillon.

À la suggestion de l'avocat du promoteur, Quintcap, les parties se sont entendues devant le juge Marc-André Blanchard pour « suspendre les travaux de déboisement et d'altération des milieux humides (...) qui sont susceptibles d'altérer l'habitat de l'espèce en cause ». 

La phase 2 du projet  Symbiocite doit prendre son envol d'ici septembre. Au final, le projet prévoit la construction de 1400 unités d'habitation en plein dans l'un des plus importants habitats de rainette en Montérégie.

La Ville de La Prairie et le promoteur rappellent qu'ils ont obtenu toutes les autorisations requises du ministère québécois de l'Environnement. Les deux parties signalent aussi avoir prévu un parc de conservation de 87 hectares qui permettra la survie de l'espèce dans ce secteur.

L'injonction ordonnée par le juge Blanchard est valide jusqu'au 17 août prochain. La Cour supérieure devra par la suite se prononcer sur une demande d'injonction visant à stopper les travaux pendant plusieurs mois le temps que la ministre fédérale rende une nouvelle décision.

La biologiste indépendante Isabelle Picard risque fort d'être appelée à témoigner en Cour supérieure dans cette affaire. Dans une entrevue accordée récemment à La Presse, elle affirmait que la situation est d'autant plus inquiétante que la technique de « phasage » des travaux censée permettre la survie de l'espèce à La Prairie n'est que de la « poudre aux yeux ».

Selon Mme Picard, aucune des mesures mises en place ne pourra assurer la survie de l'espèce à La Prairie. Par exemple, les deux premiers étangs artificiels construits dans la zone de conservation ne sont pas du tout propices à la rainette. «Quand j'ai vu ça, j'avais le goût de rire. Ça ne vaut rien, ces étangs-là. Ça devrait être un exemple de mesures de compensation complètement loufoques autorisées par notre ministère de l'Environnement.»

Six mois pour décider d'un décret d'urgence ou non

Rappelons que la demande d'injonction reposait essentiellement sur une décision de la Cour fédérale rendue plus tôt cet été. Dans sa décision datée du 22 juin, le juge Luc Martineau conclut que le refus de la ministre fédérale de l'Environnement, Leona Aglukkaq, de recommander un décret d'urgence pour protéger la rainette faux-grillon à La Prairie ne reposait sur aucune analyse scientifique. Le juge Martineau a donné six mois à la ministre pour rendre une nouvelle décision dans ce dossier.

Plus tôt cet été, le CQDE a demandé à la Ville de La Prairie et au promoteur d'interrompre les travaux le temps que le gouvernement fédéral rende une nouvelle décision. Devant leur refus, l'organisme environnemental a déposé la semaine dernière une demande d'injonction devant la Cour fédérale. Celle-ci a refusé d'entendre le dossier, prétextant qu'elle n'avait pas la compétence de trancher la question.

La troisième fois aura été la bonne pour le CQDE. «Nous sommes très heureux de cette décision», signale la directrice de l'organisme, Karine Peloffy.

«C'est une petite victoire, on verra si cette injonction se transforme en injonction permanente, affirme Tommy Montpetit, coordonnateur de l'organisme Ciel et Terre, qui défend la rainette faux-grillon depuis des années en Montérégie. Ça a quand même pris tous ces efforts pour obtenir un arrêt temporaire des travaux qui menacent une espèce menacée au Canada. Je trouve ça délirant!»

La Ville de La Prairie a refusé de commenter le dossier. Il a aussi été impossible de rejoindre le promoteur, Quintcap.

La rainette faux-grillon a le statut d'espèce en péril au fédéral. Au Québec, son statut est celui d'espèce vulnérable.

PHOTO FOURNIE PAR Tommy Montpetit

La rainette faux-grillon