Le Québec n'atteindra pas l'objectif de réduction des gaz à effet de serre (GES) qu'il s'était fixé pour 2020, reconnaît du bout des lèvres le gouvernement Couillard. Cela forcera les entreprises québécoises à acheter des crédits de carbone à l'étranger, preuve, selon un expert, que l'ambitieuse cible adoptée sous Jean Charest était « bidon ».

Des documents rendus publics la semaine dernière révèlent que le gouvernement a prévu dès 2009 que l'atteinte de la cible de 2020 « pourrait impliquer des achats hors Québec » de droits d'émission. Cela veut dire que les réductions réalisées sur le territoire québécois seront insuffisantes : il faudra compenser par des achats sur le marché du carbone.

« Le volume réel et les coûts associés à ces achats ne sont pas connus à ce stade », peut-on lire dans le document, préparé dans le cadre de l'étude des crédits du ministère de l'Environnement.

En 2009, sous Jean Charest, le Québec s'est engagé à baisser ses émissions de GES de 20 % par rapport au niveau de 1990. Pour y parvenir, le gouvernement a présenté en 2012 le Plan d'action sur les changements climatiques, doté d'une enveloppe de 2,7 milliards.

Or, les derniers chiffres disponibles montrent que cette stratégie n'a pas encore produit les effets escomptés. Le dernier inventaire officiel a même révélé que les émissions avaient légèrement augmenté en 2014 par rapport à l'année précédente.

UNE FACTURE DE 200 MILLIONS

Voilà pourquoi la plupart des observateurs ne sont guère surpris que Québec soit en voie de rater ses objectifs.

Photo Alain Roberge, Archives La Presse

Les émissions de gaz à effets de serre ont légèrement augmenté au Québec en 2014 par rapport à l'année précédente.

Le chercheur calcule qu'au rythme de réduction actuel, l'atteinte des cibles de 2020 obligera les entreprises industrielles québécoises à acheter chaque année le droit d'émettre 10 millions de tonnes de CO2 sur le marché du carbone. Le cours actuel est de 18 $ la tonne, ce qui équivaut à une facture de près de 200 millions par année.

Au bout du compte, ce sont les Québécois qui paieront la note, notamment par des prix plus élevés dans les stations-service.

« FUITE DE CAPITAUX »

Le député du Parti québécois Sylvain Gaudreault est favorable au maintien du Québec dans le marché du carbone. Mais il craint que l'absence d'une stratégie efficace pour lutter contre les changements climatiques n'entraîne le déplacement de millions de dollars vers les partenaires du Québec dans le marché.

« Le gouvernement, au fond, admet qu'il y a une fuite de capitaux vers la Californie », a souligné M. Gaudreault.

Au bureau du ministre de l'Environnement, David Heurtel, on souligne que la possibilité de recourir à l'achat de crédits de carbone à l'étranger pour atteindre les cibles climatiques était prévue dès 2009. Des documents préparés à cette époque indiquaient que le marché du carbone vise à réduire les émissions de l'ensemble de ses participants, et non seulement celles du Québec.

« Il y est notamment expliqué le potentiel de réduction projeté au Québec ainsi que le fait que le marché du carbone par l'imposition de plafonds annuels décroissants garantit que le niveau de réduction souhaité sur la période sera atteint dans l'ensemble régional créé par ce marché », indique la porte-parole du ministre, Émilie Simard.

Elle souligne qu'il reste encore plusieurs années avant l'échéance de 2020 et que Québec reste sur la « bonne voie ». Il y a encore une possibilité que les achats à l'étranger s'avèrent « inexistants ».

Le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin, y voit plutôt une preuve que les actions du gouvernement Couillard pour lutter contre les changements climatiques ne concordent pas avec l'image verte qu'il cultive sur la scène internationale.

« On n'a pas de leçons à donner, malheureusement, dit M. Bonin. Ce n'est pas le genre de leadership dont on a besoin si on veut éviter une crise climatique. »

La totalité des recettes du marché du carbone sont versées dans le Fonds vert. La Presse a révélé lundi que les 19 programmes financés par ce fonds n'ont généré jusqu'ici presque aucune réduction de GES au Québec, malgré des investissements de 720 millions.

Ce qu'a dit le gouvernement du Québec sur les cibles de 2020...

... En 2009

« Avec une cible de - 20 % en 2020, le Québec aura le plus faible taux d'émission par habitant en Amérique du Nord. [...] L'atteinte de cette cible constitue donc, pour le Québec, un véritable projet de société auquel tous seront conviés à participer. » - Jean Charest

... En 2012

« En 2020, le Québec aura fait preuve d'un véritable leadership et contribué à l'effort planétaire de lutte contre les changements climatiques en réduisant ses émissions de GES de 20 % sous le niveau de 1990. »

- Extrait du Plan d'action 2013-2020 sur les changements climatiques, phase 1

... En 2017

« Lors du choix de la cible 2020, en 2009, le document public de consultation "Quelle cible de réduction d'émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020" préparé pour la commission parlementaire estimait à environ 12 mégatonnes le potentiel global de réduction au Québec par rapport à 1990 en 2020. Il était alors estimé que le choix d'une cible de - 20 % pourrait impliquer des achats hors Québec pouvant aller jusqu'à 4,4 mégatonnes. »

- Document présenté la semaine dernière dans le cadre de l'étude des crédits

Émissions du Québec (en millions de tonnes équivalent CO2)

2010: 83,83

2011: 84,30

2012: 82,11

2013: 81,93

2014: 82,08

Objectif 2020: 71,38

Source: Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre (2014)