Données désuètes, absence de stratégie, incapacité d'élaborer des scénarios : le Québec et le Canada basent leur guerre contre les changements climatiques sur des mythes plutôt que sur des analyses. C'est ce qu'affirme le physicien Normand Mousseau dans un nouveau livre lancé aujourd'hui et intitulé Gagner la guerre du climat - Douze mythes à déboulonner. Rencontre avec un homme qui dit vouloir « brasser la cage ».

Novembre 2016. Le gouvernement du Québec annonce l'achat de deux grues électriques pour le port de Montréal afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Montant de la facture, prélevé à même le Fonds vert : 3,2 millions.

Formidable ? Pas aux yeux de Normand Mousseau, physicien, auteur et ancien coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.

« D'abord, la grue est faite à 100 % à l'étranger, et il n'y a donc aucune retombée économique. Ensuite, quand on regarde les émissions évitées, ça revient à 1000 $ la tonne de CO2. Je peux vous garantir qu'il y a des milliers de façons de dépenser l'argent au Québec qui sont moins coûteuses et qui entraînent des retombées plus grandes », lance-t-il en entrevue à La Presse.

PROBLÈME D'ÉVALUATION

Pour le professeur Mousseau, cet exemple illustre tout ce qui cloche dans la lutte contre les changements climatiques que mènent le Québec et le Canada : le fait que personne ne soit capable d'évaluer quelles sont les meilleures mesures de réduction en matière d'efficacité, de coûts et d'impacts économiques. Aucune structure et aucun outil, selon lui, ne permettent non plus de vérifier si les mesures déjà déployées ont atteint leur but.

« On travaille dans le noir total, c'est effarant, dénonce-t-il. Aucun pays moderne ne gère ces questions comme on le fait ici. Le résultat, c'est notamment qu'on gaspille l'argent du Fonds vert de manière hallucinante. »

Selon Normand Mousseau, nos gouvernements manquent non seulement d'outils de projection et de vérification, mais même de données fiables pour cerner le problème.

« Le relevé officiel des émissions de gaz à effet de serre, au Québec, date de 2013. On est en 2017. Il y a de nouvelles données, mais elles ne sont pas publiées. Aux États-Unis, en comparaison, on a les données du mois dernier », dit-il.

« On travaille ici avec des données dépassées, et dont la qualité, selon plusieurs experts, est très douteuse », dit le physicien Normand Mousseau.

REGARDER LA RÉALITÉ EN FACE

Le chercheur plaide qu'en l'absence de chiffres et de stratégies, notre lutte contre les changements climatiques repose sur des mythes. Il en cible 12 dans son livre, qu'il veut absolument déboulonner.

« Si on veut gagner cette lutte, il faut arrêter de se raconter des histoires, regarder la réalité en face et commencer à agir sur cette réalité », explique-t-il.

L'une des plus grandes erreurs, selon lui, est de croire que la solution viendra des technologies.

« Des solutions techniques, il y en a. Le vrai défi est politique : c'est d'avoir un bon modèle de gouvernance », dit-il. Très concrètement, il suggère de placer l'atteinte de l'ambitieuse cible de réduction de GES du Québec sous la responsabilité d'un ministère à vocation économique, afin que toutes les décisions du gouvernement soient imprégnées de cet objectif.

« Je veux brasser la cage, dit-il. Parce qu'actuellement, on est en train de s'enfoncer. On a une cible de réduction tirée d'un chapeau, et tout ce qu'on fait pour l'atteindre est de la poudre aux yeux. »

Image fournie par Boréal

Gagner la guerre du climat - Douze mythes à déboulonner, de Normand Mousseau

Photo François Roy, Archives La Presse

Le physicien Normand Mousseau, auteur du livre Gagner la guerre du climat - Douze mythes à déboulonner

Quelques mythes ciblés par Normand Mousseau

Qualité de vie

Normand Mousseau conteste la thèse des environnementalistes voulant que la réduction des gaz à effet de serre entraîne nécessairement une augmentation de la qualité de vie. Oui, dit-il, il est possible de réduire les émissions de GES tout en améliorant la qualité de l'air, en réduisant les inégalités et en stimulant l'économie. Mais ce n'est pas automatique et cela dépend des choix que l'on fera pour y parvenir.

« Il serait possible de réduire de 80 % les émissions de GES du Québec dès aujourd'hui : il suffirait d'interdire l'usage des véhicules à moteur à combustion, de fermer les usines, de cesser de chauffer les bâtiments et d'arrêter la coupe des forêts », écrit-il pour montrer que les mesures choisies peuvent avoir des impacts autant positifs que négatifs.

Hydroélectricité

« L'hydroélectricité est le pétrole du Québec. » Cette affirmation, à laquelle on aime croire au Québec, est un mythe, selon Normand Mousseau. Le physicien plaide que le Québec n'exporte que 15 % de sa production d'électricité, souvent à perte. Et l'idée que les industriels se disputent notre énergie propre et bon marché est à oublier une fois pour toutes, dit-il. Outre les alumineries, qui bénéficient d'un tarif préférentiel, qui fait la queue pour s'installer chez nous ? « L'or vert québécois ne semble être en demande que s'il est accompagné de tarifs d'électricité particulièrement avantageux qui représentent une ristourne coûteuse pour les contribuables », écrit-il.

Prix

Croire qu'il suffit de mettre un prix sur le carbone pour modifier les comportements est une façon facile pour les politiciens de tenter de régler le problème, mais qui repose sur une illusion. C'est ce qu'affirme Normand Mousseau, pour qui les taxes ou le marché du carbone sont des outils essentiels de la lutte, mais insuffisants pour effectuer la transition vers une économie propre. L'une des raisons, selon l'expert, est que les citoyens n'agissent pas toujours comme des acteurs économiques logiques. La preuve qu'une augmentation allant jusqu'à 20 % du prix de l'essence n'entraîne pas de modification significative de la consommation au quotidien.

Cible

Le Québec s'est fixé l'objectif ambitieux de réduire ses émissions de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990. Mais croire que le gouvernement a une quelconque stratégie pour y parvenir est un mythe, affirme Normand Mousseau. Il soupçonne Québec d'avoir choisi le chiffre de 37,5 % par « pure bravade », dans le seul but de battre la cible ontarienne de 37 %. « Aussi incroyable que ce soit, le gouvernement propose une transformation radicale de notre société sans offrir de scénario ou de piste pour appuyer cette proposition, la chiffrer et suggérer, au minimum, un semblant de voie pour l'atteindre », écrit-il.

Normand Mousseau en bref

• Professeur de physique à l'Université de Montréal

• Directeur académique de l'Institut de l'énergie Trottier sur les enjeux énergétiques

• Ancien coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec

• Auteur de plusieurs livres sur l'énergie et les ressources naturelles