Le fragile consensus entre industriels et écologistes au sujet du Plan Nord est en train de se fissurer.

L'organisme Initiative boréale canadienne (IBC), seul groupe écologiste siégeant à la Table des partenaires du Plan Nord, a écrit au premier ministre Jean Charest pour qu'il maintienne l'exclusion de la foresterie sur 50% du territoire visé par le projet.

«C'est avec une certaine surprise que nous avons entendu les fonctionnaires de votre gouvernement déclarer lors des audiences publiques [...] que même sur les territoires qui seront protégés de l'activité industrielle, les activités forestières seront permises», peut-on lire dans une lettre signée par Suzann Méthot, directrice pour le Québec de l'IBC, et Matthew Jacobson, responsable au Québec de la Campagne internationale pour la conservation boréale au Pew Environment Group.

«Dans le document original et fondateur du processus du Plan Nord, il est clairement mentionné que le gouvernement a entrepris d'exclure toutes les activités industrielles (exploitation forestière, minière, la production énergétique) de 50% de la superficie couverte par le Plan Nord», souligne la lettre datée du 5 septembre que La Presse a obtenue.

«Nous estimons qu'une exemption générale des activités forestières serait fatale pour l'intégrité écologique du plan», tranche-t-on.

Jeudi, d'autres groupes écologistes, dont Greenpeace et Nature Québec, ont promis d'alerter l'opinion internationale sur le fait que les activités industrielles seraient permises dans la zone de 50%, dont la foresterie et même éventuellement des mines.

La zone visée par le Plan Nord se situe au nord du 49e parallèle et totalise 1,2 million de kilomètres carrés, soit plus de 70% de tout le Québec. Dans cette zone, il y a déjà 9,7% d'aires protégées.

Le plan de conservation proposé par le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) pour la région s'étend jusqu'en 2035. Il propose d'atteindre 12% d'aires protégées d'ici à 2015 et d'ajouter, d'ici à 2020, 5% supplémentaires mais sous une forme inédite, les «réserves de terre du capital nature». Cette catégorie de réserve n'est pas reconnue dans les critères internationaux d'aires protégées. Et s'il doit y avoir de la foresterie - et des mines - dans ces zones, impossible qu'elles répondent à ces critères, selon l'IBC.

«Si on veut que le Plan Nord soit un modèle de développement durable, il faut qu'il réponde à des normes internationales, a dit Suzann Méthot, de l'IBC, en entrevue à La Presse. À partir du moment où on envoie la machinerie, qu'on ouvre des routes, qu'on envoie les camions, qu'on coupe les arbres et qu'on en fait des produits commerciaux, c'est de la foresterie industrielle.»

Le MDDEP se défend en affirmant que sous le futur régime forestier, l'accent sera mis sur l'aménagement «écosystémique» des forêts. Et que même certains aspects de ce nouveau type d'exploitation pourraient être restreints ou interdits s'ils «occasionnent des pertes significatives de biodiversité».

Mais selon Mme Méthot, cela n'est pas compatible avec les principes internationalement reconnus des zones de conservation. Si l'aménagement «écosystémique» peut être considéré comme une «bonne pratique» de foresterie, il ne transforme pas pour autant les parterres de coupes en aires protégées.

«L'objectif du nouveau régime forestier est de réduire les écarts entre les perturbations qui touchent naturellement la forêt et les coupes industrielles, dit-elle. Mais l'écart est toujours là. Il n'y a aucune preuve que cette approche écosystémique maintient la biodiversité. Il n'y a aucune preuve, par exemple, que cela permet de maintenir le caribou forestier.»

Pour l'instant, l'IBC compte demeurer à la Table des partenaires du Plan Nord. Cette table de concertation réunit des industriels, des représentants des régions et des fonctionnaires de plusieurs ministères. Créée en 2009, elle ne s'est pas réunie depuis la nomination du nouveau ministre, Clément Gignac.

«Depuis le début, on soutient l'engagement de 50% de conservation et on travaille pour le concrétiser, dit Mme Méthot. Et là, on a des doutes.»

«On va sûrement faire appel à la communauté scientifique internationale pour apporter des solutions, dit-elle. À la grandeur de ce territoire et avec le fait qu'il soit pratiquement intact, on est convaincus qu'il y a moyen de planifier le développement et la conservation.»