Equipés d'une gaule et d'une carriole accrochée à un vieux vélo, Marlene et Rupert partent cueillir les fruits qui mûrissent dans les parcs et nombreux jardins privés de Londres. Une façon de sensibiliser contre le gaspillage mais aussi de faire goûter des produits locaux.

Premier arrêt devant une maisonnette qui cache un petit jardin où Marlène a déjà ramassé des pommes. La glaneuse, tout juste la quarantaine, pantalon en velours reprisé et chevelure un peu hirsute, frappe à la porte. C'est la femme de ménage qui ouvre. Seule à la maison, elle refuse l'entrée à des inconnus.

Étape suivante, quelques rues plus loin dans ce quartier modeste du nord-est de Londres. Dans une résidence privée, les branches d'un pommier croulent sous les fruits, mais des pommes sont accessibles depuis le trottoir.

Avec son immense perche équipée d'un petit réceptacle, Rupert commence la cueillette. Marlene récupère les fruits qui tombent à terre et les dépose dans la carriole en bois.

«Ces trucs sont mangeables?», demande, intrigué, un passant qui promène son chien. Rupert confirme, en croquant dans une pomme un peu cabossée mais à la chair rosée. «C'est acide, mais ça fait du très bon jus», assure-t-il.

Plusieurs groupes de cueilleurs, la plupart bénévoles, se sont constitués ces dernières années à Londres, capitale de 7 millions d'habitants qui a su préserver de très nombreuses poches de verdure.

«Il y a plein de fruits qui pourrissent dans les jardins. Les gens ne sont plus habitués à manger des produits qui ne viennent pas du supermarché», fait remarquer Rupert, un ancien ingénieur en reconversion professionnelle.

Les cueilleurs repèrent les arbres fruitiers depuis la route au hasard des rues et tentent leur chance, si nécessaire, en frappant aux portes des propriétaires des jardins. Publicité dans la presse locale et bouche-à-oreille aidant, les glaneurs sont généralement bien accueillis.

L'association Organiclea, pour laquelle travaille Marlene, a récolté environ 30 tonnes de fruits l'an dernier: beaucoup de pommes, mais aussi des poires, des prunes, des figues, des noix et même des cerises.

Ces fruits sont soit proposés dans les paniers de saison vendus par l'association, soit transformés en jus. D'autres associations les confient aussi à des écoles ou à des organisations de sans-abri.

«L'idée initiale n'est pas de vendre tous ces fruits. On essaie avant tout d'encourager les gens à voir qu'ils sont là et comestibles», explique Marlene.

Et ça marche. «On avait l'habitude de cueillir des fruits dans l'enceinte d'un hôpital, et puis ils nous ont dit une année: +désolés, on les mange+», raconte Marlene, grand sourire.

En plus de lutter contre le gaspillage, les cueilleurs défendent l'idée d'une économie locale, plus respectueuse de l'environnement. «On ne recrée pas les problèmes de l'industrie alimentaire en termes d'emballage et de transport», note Marlene.

Ces fruits récoltés au coeur des villes ont aussi une plus grande valeur nutritive parce qu'ils ne sont pas entreposés très longtemps. Et ils ont «un goût incroyable» car ce sont souvent des variétés non commercialisées, explique Rupert.

Et la pollution dans tout ça ? L'université de Sheffield (nord) a analysé les fruits récoltés en ville, selon Marlene. Verdict: ils sont consommables.

Ahmed, lui, les lave quand même avant de les manger. Ce Pakistanais de 26 ans profite des poires de l'arbre de son voisin qui donne chez lui. Mais beaucoup se perdent, alors il accueille avec joie les cueilleurs. Et profite de leur gaule, qui permet d'atteindre les fruits haut perchés, pour se remplir un saladier.