Jean-Michel Cousteau est de passage cette fin de semaine à l'aquarium de Québec pour présenter un film IMAX sur les dauphins et les baleines qu'il a produit et qui sera présenté jusqu'à la fin de l'été. Le fils du célèbre commandant Cousteau, qui a fait sa première plongée en bonbonne à 7 ans, est devenu à 71 ans un porte-parole de premier plan pour la sauvegarde des océans. Nous lui avons parlé de pêche, d'aquaculture, d'exportation de l'eau et de George W. Bush dans une entrevue téléphonique à son arrivée à Québec jeudi soir.

Q Vous venez présenter à Québec un film sur les baleines et les dangers qui les menacent. Comment jugez-vous l'état des pêches mondiales?

R Il y a deux choses. Plusieurs des mammifères marins sont mal en point. Il y a des abus, particulièrement en Asie, très spécialement au Japon où on offre de la chair de baleine et des ailerons de requin dans les écoles. Pour les pêches en général, 80% des espèces ne sont plus disponibles commercialement. Le thon rouge va disparaître d'ici cinq ans. On offre des poissons qui étaient considérés de mauvaise qualité dans ma jeunesse.

Q Et qu'en est-il de la chasse au phoque pratiquée au Canada?

R On ne devrait pas appuyer la chasse au phoque avec de l'argent public. Les phoques ont toujours mangé des langoustes. Les indigènes avant savaient ce qu'ils faisaient, ils utilisaient la peau pour se vêtir. Mais aujourd'hui on peut très bien faire la même chose sans utiliser les phoques.

Q L'aquaculture est-elle une solution à la surpêche?

R Sur la terre on cultive des graines et des animaux végétariens, mais pour les poissons, on est complètement malades. Un kilo de saumon de culture nécessite 2,2 kilos de poissons sauvages. C'est en train de ravager ce qui reste de poissons dans les océans. Et en plus, il y a les antibiotiques, les colorants et les parasites qui contaminent les saumons sauvages. Tout ça pour un marché de luxe.

Q L'humanité devra-t-elle se résoudre à manger des poissons d'aquaculture d'eau douce, herbivores, qui nourrissent déjà une bonne partie de l'Asie, plutôt que des poissons marins comme le thon ou le saumon?

R Moi, je suis du côté des pêcheurs. Malheureusement, ils sont en train de perdre leur travail. La nature, c'est comme les affaires. Le capital est mis à notre disposition gratuitement, mais il faut le gérer en ne prélevant que les intérêts. Ce n'est pas ce que nous faisons. En ce qui concerne l'aquaculture, c'est vrai, il faut faire pousser des herbivores.

Q On parle beaucoup des menaces sur les réserves d'eau douce. Comment jugez-vous la performance du Canada?



R À mon avis, le Canada a tellement d'eau douce qu'il la gaspille. Il est gâté par la nature. Mais il est important sur le plan éducatif de sauvegarder l'eau. Sur le plan moral, il est important de partager. Le Canada a un privilège qu'il lui faut partager avec le reste du monde.

Q Que pensez-vous de la question de l'exportation de l'eau?

R Vous avez des régions très proches de vous, aux États-Unis, qui en manquent. Il va falloir que vous exportiez de l'eau, par exemple au Midwest américain. Vous allez gagner de l'argent. Je garde mon eau et je la gaspille, ça ne pourra pas durer. Et s'il faut exporter de l'eau avec des citernes, pourquoi pas?

Q Quelle est votre opinion sur les barrages hydroélectriques planifiés au Québec? Doit-on considérer l'hydroélectricité comme une énergie polluante parce qu'elle altère de grands cours d'eau? L'hydroélectricité fait-elle partie des solutions pour lutter contre l'effet de serre?

R Les barrages, sur le plan de la pensée futuriste, c'est une chose du passé. Si ces barrages interfèrent avec la vie naturelle, par exemple les saumons, ça ne va pas. Mais il ne faut pas critiquer le passé, mais voir les solutions d'avenir, des jeunes. En Floride, il y a des projets de turbines qui fourniraient 40% des besoins d'électricité de l'État tout en tournant trop lentement pour endommager les poissons.

Q Que pensez-vous des éoliennes marines et des centrales marémotrices? Ces deux types d'énergie font face à beaucoup d'opposition de la part des populations côtières.

R Il y aura toujours de l'opposition, quand il n'y en a pas, c'est que quelque chose ne va pas.

Q Vous avez fait des études d'architecture pour construire des villes sous-marines. On parle de plus en plus d'exploiter les ressources minérales et pétrolières des fonds marins. Pensez-vous que votre rêve deviendra réalité de votre vivant, à tout le moins pour des besoins industriels?

R Sur le plan industriel, sûrement. Les villes sous-marines, c'était une erreur de jeunesse. Par contre, de plus en plus de visiteurs vont sur les mers, alors pourquoi pas avoir des sous-marins de tourisme comme des paquebots?

Q À la fin de son mandat, le président américain George W. Bush a mentionné votre nom en créant d'immenses zones protégées autour d'îles américaines dans le Pacifique. Êtes-vous à l'aise d'être associé à un président aussi controversé?

R Pas du tout. Ce président était effectivement très controversé, 73% de la population était contre lui et j'en faisais partie. Mais mon métier est de travailler avec les gens qui ont été élus. À partir du moment où on voulait résoudre des problèmes, il y avait le président Bush et la gouverneure de Hawaii, une républicaine modérée. J'ai réussi à les convaincre. On a obtenu une zone plus grande que la grande barrière de corail d'Australie.

Q Vos relations avec votre célèbre père n'étaient pas faciles. Cela a-t-il influencé vos relations avec vos propres enfants?

R Quand j'étais très jeune, mon père était inconnu, mais j'ai par contre eu le privilège d'être dans l'eau tout le temps. À 7 ans je suis devenu plongeur. Tout ce qui a été écrit sur son insatisfaction à propos de mes projets est faux. La seule chose vraie, c'est qu'en 1998, concernant une entreprise commerciale aux îles Fiji, il y a eu un début d'action juridique. Elle s'est terminée rapidement, j'ai signé un document stipulant que j'étais obligé de mettre mon prénom sur les annonces avec la même taille de caractères que le nom Cousteau. Mais nous avions tous deux le même souci de montrer que des projets peuvent être à la fois écologiques et économiquement viables.