Même si la menace était disparue après qu'il eut tiré le premier coup de feu, l'agent Jean-Loup Lapointe n'aurait pas été en mesure d'arrêter de tirer. Tout s'est passé trop vite, conclut un ingénieur en biomécanique à qui l'École nationale de police du Québec a demandé d'analyser les événements tragiques du 9 août 2008.

En moins d'une seconde et demie (1,375 seconde), le policier a tiré quatre balles qui ont atteint mortellement Fredy Villanueva, en plus de blesser Denis Meas et Jeffrey Sagor- Metellus, selon l'ingénieur Denis Rancourt qui a réalisé une animation en 3D relatant deux scénarios possibles de la séquence des événements. «C'est facile en regardant la vidéo de dire que le policier aurait dû arrêter de tirer après le premier coup de feu, a affirmé l'expert. Mais dans l'action, il est difficile de stopper sa planification motrice tout en évaluant la menace dans l'environnement, en particulier si le policier a fait un mouvement de balayage.» Les deux scénarios retenus par l'expert corroborent la thèse de la légitimedéfense. Toutefois, le premier vient appuyer la version de l'agent Lapointe, alors que le second appuie plutôt celle de l'agente Stéphanie Pilotte. Leurs deux versions sont «compatibles, des points de vues physique et physiologique, avec l'étude biomécanique effectuée», écrit l'expert dans son rapporté déposé hier à l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva. Il a travaillé en étroite collaboration avec l'expert-conseil en emploi de la force à l'École nationale de police, Bruno Poulin.

L'agent Lapointe a toujours nié avoir fait un «balayage» avec son arme à feu. Il dit avoir tiré sur les «masses de corps» devant lui, atteignant d'abord Fredy Villanueva, puis les deux autres jeunes. C'est «plausible «, croit l'ingénieur. Mais c'est tout aussi possible que l'agent ait d'abord atteint Denis Méas, placé à droite de Fredy Villanueva, pour ensuite faire un balayage de 180 degrés, ce qui accréditerait de la version de sa coéquipière, l'agente Pilotte. De son propre aveu, le professeur de génie mécanique à l'Université de Sherbrooke s'est cassé la tête pour dégager les scénarios possibles en étudiant les versions des témoins du drame. «C'était confus. Les versions sont incomplètes et contradictoires», a décrit M. Rancourt.

Aux yeux de l'ingénieur, celle de l'agent Lapointe est « la plus complète». Il s'est aussi servi des rapports médicaux des blessés ainsi que des rapports de la pathologiste et d'un expert balistique déposés plus tôt à l'enquête. L'ingénieur estime qu'il ne faut pas blâmer les témoins pour avoirdécritdes versions différentes du même événement. «C'est possible que l'agent Lapointe ait pris la décision de faire feu au moment où les jeunes ont arrêté d'avancer vers lui. L'un a la perception qu'il doit tirer parce qu'il sent sa vie menacée. Les autres ont la perception qu'ils ont obéi aux ordres du policier en cessant d'avancer vers lui. En bout de ligne, il est trop tard», a indiqué l'expert. De leur côté, les avocats du camp Villanueva reprochent à l'expert d'être biaisé. Ce rapport a été commandé par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, celui-là même qui a décidé de ne pas porter d'accusation criminelle contre les policiers impliqués dans les événements du 9 août 2008, dénoncent-ils.

Pourquoi avoir personnifié les jeunes témoins comme des êtres musclés, alors que ces jeunes, dans la vie, sont loin de l'être? a demandé Me Gunar Dubé, avocat de Danny Villanueva. «L'esthétique» des personnages a été négligée par manque de temps, a répondu l'expert qui a consacré plus de 150 heures à la création de son animation 3D. Et pourquoi les montrer tous en train d'attaquer l'agent Lapointe, alors que les jeunes ont témoigné plus tôt à l'enquête ne pas avoir touché au policier? a renchéri Me Dubé. C'est «secondaire», a répliqué l'expert. «Le policier sort son arme parce qu'il se sent menacé. Je ne dis pas que les jeunes ont touché à l'agent Lapointe. Je montre que c'est possible qu'ils lui aient touché», a-t-il expliqué.