Un Parlement mal informé, une demande de financement cachée, des projets approuvés sans critères connus ni pièces justificatives... Le gouvernement accepte une partie du blâme pour les lacunes constatées par la vérificatrice générale sortante, Sheila Fraser, dans la gestion de certaines dépenses liées à la tenue des sommets du G8 et du G20, en juin 2010.



Dans un rapport très attendu, dont des versions préliminaires avaient fait l'objet de fuites pendant la campagne électorale, Mme Fraser soulève d'importantes questions quant à la transparence du gouvernement Harper.

La gestion du Fonds d'infrastructures du G8, de 50 millions de dollars, y est notamment très critiquée.

«C'est très inhabituel et troublant. Dans toutes mes années de vérification, je n'ai jamais vu ça», a d'emblée souligné le successeur intérimaire de Mme Fraser, John Wiersema, après avoir rendu le rapport public, jeudi, à Ottawa.

Pas de demande de fonds

C'est que la demande de fonds n'a jamais été présentée comme telle au Parlement. Ce dernier a plutôt approuvé, en novembre 2009, des dépenses de 83 millions pour réduire la congestion à la frontière dans le cadre du Fonds sur l'infrastructure frontalière, sans savoir que 50 millions de cette somme, soit plus de 60%, seraient utilisés pour des projets liés à la tenue du sommet du G8 dans la région de Muskoka, qui se trouve à des dizaines, voire à des centaines de kilomètres de la frontière la plus proche.

Pire encore, aucun document n'existe pour justifier la sélection de 32 des 242 projets proposés. Ni le bureau de gestion des sommets ni aucun fonctionnaire n'ont participé à la sélection, qui aurait été faite, selon le rapport, par le ministre de l'Industrie de l'époque, Tony Clement, en collaboration avec le maire de Huntsville et le directeur du Deerhurst Resort, où avait lieu le sommet.

Transparence

Le bureau du vérificateur général ne peut donc s'assurer que tout a été fait selon des critères appropriés et en toute transparence. «L'absence de documents pour étayer la sélection des projets à financer soulève certaines préoccupations, dit le rapport. À notre avis, il est important de disposer de documents justificatifs afin de montrer que le processus a été appliqué de manière transparente et qu'il prévoit un mécanisme de reddition de comptes.»

Réaction de Tony Clement

En conférence de presse, le ministre Clement, aujourd'hui président du Conseil du Trésor, a tenu à expliquer qu'il avait demandé aux maires des six municipalités en cause de sélectionner eux-mêmes les meilleurs des 242 projets soumis. Mais M. Clement n'a pas expliqué pourquoi aucune trace, aucune documentation n'existent pour corroborer ses affirmations ni pour quelle raison il n'a pas fait part de cette explication à la vérificatrice générale alors qu'elle enquêtait précisément sur la question. M. Clement s'est engagé à corriger ce qu'il considère comme des «lacunes administratives» dans un processus «anachronique».

Baird à la rescousse

Le ministre des Affaires étrangères, autrefois aux Infrastructures, John Baird, a pris la défense de son collègue et indiqué que, au final, c'est lui-même qui avait approuvé les projets. M. Baird a plaidé, en guise d'explication, le manque de temps et le besoin de terminer les projets rapidement.

Le ministre Baird a rejeté l'argument selon lequel le gouvernement a sciemment caché les 50 millions du fonds d'infrastructures du G8 en les faisant adopter dans un autre fonds, prévu pour les frontières.

«Nous n'avions aucune raison de garder ça secret. Nous faisions l'annonce des projets publiquement. C'était sur notre site web», a dit John Baird, qui a empêché le ministre Clement de répondre à la plupart des questions qui lui étaient adressées.

À la Chambre des communes, le premier ministre Stephen Harper a ajouté un détail inusité: le Fonds sur l'infrastructure frontalière, a-t-il dit, est «fréquemment utilisé pour des projets qui ne sont pas pour les communautés près de la frontière».

L'opposition scandalisée

Les partis de l'opposition ont tour à tour dénoncé le manque de transparence du gouvernement dans le dossier. «C'est scandaleux de voir autant de projets approuvés sans la moindre pièce justificative, a dit Thomas Mulcair, chef adjoint de l'opposition officielle néo-démocrate. Ça, c'est le gouvernement qui aime bien donner les leçons de morale sur l'administration publique, mais dans les faits, on sait pertinemment qu'ils sont de très mauvais gestionnaires de l'avoir public. Faire tout ça sans témoins, sans procédures, sans priorisation et surtout sans pièces justificatives ni documents après coup, ça témoigne d'une insouciance totale.»

Moins coûteux

Au sujet du coût total des deux sommets, il semble qu'il ait été surestimé, car les budgets et plans ont été préparés rapidement et à partir d'une «information incomplète», note le document.

Le Parlement avait approuvé des dépenses de 1,1 milliard de dollars, mais c'est plutôt 664 millions de dollars qui ont été dépensés pour la sécurité, le maintien de l'ordre, l'organisation et l'accueil des deux sommets.