La consultation parlementaire sur l'emplacement du futur CHUM a donné lieu à la mise à mort du projet d'Outremont, conçu par l'Université de Montréal. Déjà vilipendé depuis plusieurs semaines pour des motifs essentiellement idéologiques, le projet n'a pas résisté aux habiles manoeuvres du ministre de la Santé, Philippe Couillard. L'ancien premier ministre, Daniel Johnson, a asséné le coup de grâce.

Ce qui est triste dans cette affaire, c'est que le site Outremont soit écarté non pas à la suite d'une évaluation objective et sereine des deux projets concurrents, mais sur la base d'arguments souvent faussés, voire carrément démagogiques. Ainsi, en ce qui a trait aux risques posés par le transport ferroviaire, on a balayé du revers de la main l'étude fouillée de SNC-Lavalin, de même que les assurances données par les spécialistes de Transport Canada. Ces derniers sont pourtant catégoriques: les risques d'accidents sont infinitésimaux et, si accident il y avait, compte tenu des produits transportés, des mesures de mitigation et de la vitesse réduite des trains, il ne nécessiterait en aucun cas l'évacuation de l'hôpital. Enfin, les représentants du Canadien Pacifique ont soutenu que le transport par trains à Outremont serait «très, très, très sécuritaire». Qu'importe: il a suffi à M. Couillard d'invoquer à répétition le «principe de précaution», principe qui, si on l'interprétait à l'extrême comme l'a fait le ministre, découragerait quiconque de conduire une voiture ou d'utiliser un barbecue au gaz.

Pour ce qui est des coûts, M. Couillard a manifesté un préjugé tout aussi évident, qui pourrait se résumer ainsi: il y aura certainement d'énormes dépassements de coûts sur le site Outremont, tandis que les budgets seront respectés au cent près au 1000, rue Saint-Denis. Le ministre n'a tenu aucun compte de l'opinion des ingénieurs Couture et St-Pierre, qui s'y connaissent en grands projets, selon qui «les risques de dépassement de coûts sont plus élevés au 1000 St-Denis compte tenu de la dimension du site, des risques en sous-sol et du maintien des opérations hospitalières durant la construction».

Pour leur part, en commission parlementaire comme depuis plusieurs semaines, les promoteurs de la technopole ne sont pas parvenus à répondre de façon convaincante aux inquiétudes, légitimes par ailleurs, soulevées par leur projet. Pendant des mois, les gens de l'Université de Montréal ne s'étaient absolument pas préoccupés de l'opinion publique. Lorsqu'ils ont commencé à le faire, la bataille de l'opinion était déjà perdue.

Un projet aussi ambitieux ne peut être mené à bien que si tous les intervenants partagent une volonté ferme d'y arriver. «Autant le concept d'une technopole de la santé est très attrayant, s'il y a la moindre difficulté de mettre ensemble les partenaires, je serais le premier à ne pas le recommander», disait d'ailleurs Guy St-Pierre la semaine dernière.

Or, l'opposition au CHUM Outremont est virulente et imposante: le ministre de la Santé est contre, ses fonctionnaires sont contre, l'agence régionale est contre, les syndicats sont contre, les arrondissements concernés sont contre, l'opposition officielle est contre, les médias sont contre. Un récent sondage indiquait que plus de 60 % des Québécois préfèrent le site Saint-Luc. Même hors de la région de Montréal, les Québécois expriment sans hésiter une préférence entre les deux emplacements, ce qui confirme à quel point ce débat est devenu beaucoup plus politique que technique, émotif que rationnel.

Comme une décision doit être prise rapidement, même les plus chauds partisans du site Outremont doivent se rendre à l'évidence: ils ne parviendront pas à renverser la vapeur. Il est donc plus que probable que le gouvernement du Québec va choisir d'installer le nouveau CHUM au 1000, rue Saint-Denis. Il reste à espérer que le premier ministre et son ministre de la Santé auront la clairvoyance de préserver les deux grands acquis résultant du travail de Robert Lacroix et de l'Université: le concept de technopole, qui a séduit tout le monde, et l'achat du site du CP à Outremont pour le développement de l'Université de Montréal.

Malgré ce qu'ont laissé croire le CHUM et M. Couillard, la technopole, telle qu'envisagée par le recteur Lacroix, ne verra pas le jour au centre-ville. Il serait illogique pour des fervents de la synergie, comme le sont les dirigeants et les chercheurs de l'Université, de déménager les facultés de santé à distance du campus principal. Cela dit, la construction du nouveau CHUM et de son centre de recherche au 1000, rue Saint-Denis pourrait, si une volonté existe en ce sens, servir de point d'ancrage d'une nouvelle concentration d'établissements de recherche et d'entreprises spécialisées dans le domaine biomédical.

Le Comité des sciences de la vie du Montréal métropolitain, qui réunit une trentaine de décideurs intéressés au domaine biomédical, a souligné que «quels que soient le site et la configuration du projet, il doit s'inscrire dans une vision du développement d'un véritable pôle d'innovation et de développement du savoir lié à la santé». Boston a son BioSquare, Toronto son MaRS Discovery District, Paris son Biopark; le nouveau CHUM offre à Montréal l'occasion de se doter de sa propre cité du savoir en santé.

L'emplacement Saint-Luc n'est pas idéal, notamment parce que le milieu est déjà densément bâti. N'empêche, il y a sûrement de la place pour construire, par exemple, un centre d'innovation et d'incubation qui pourrait abriter des entreprises de pointe issues des travaux menés au Centre de recherche du CHUM. Plutôt que d'annoncer seulement la construction du CHUM au 1000, rue Saint-Denis, le gouvernement devrait donc lancer un projet de cité du savoir en santé au centre-ville et en confier immédiatement la responsabilité à un organisme à but non lucratif.

De son côté, l'Université de Montréal doit absolument acheter le terrain de la gare de triage, terrain qui pourra enfin être exploité après des décennies de tergiversations. Le contrat signé avec le CP permet à l'institution d'acquérir l'emplacement sans grever outre mesure son budget. Il est clair aujourd'hui que le développement futur de l'Université doit se faire à cet endroit. La Ville de Montréal doit saisir cette occasion et travailler de concert avec l'Université pour guérir cette plaie sur son territoire. Le gouvernement du Québec doit également faire sa part pour que les étapes préalables à la construction sur le site- détournement du transport des matières dangereuses, décontamination, infrastructures locales- puissent être entreprises sans tarder. L'élan des derniers mois est trop précieux pour être gaspillé.

À l'issue de ce débat déchirant, les divers intervenants, au premier chef le gouvernement du Québec, doivent travailler à rallier les deux camps et se relever les manches pour mettre en chantier deux grands projets d'avenir pour Montréal et pour le Québec: une cité du savoir en santé, au centre-ville, et le nouveau campus de l'Université de Montréal, à Outremont.