En tant que société, on s’interroge rarement sur la façon dont un enfant peut revendiquer seul ses droits. Nous assumons que ce rôle incombe à ses parents. Or, il existe plusieurs situations où les jeunes n’ont d’autre choix que de se défendre seuls. Pensons à ceux dont les parents sont en situation de vulnérabilité, comme les nouveaux arrivants qui ne parlent pas la langue ou ne connaissent pas le système. Pensons également aux jeunes qui ne veulent pas informer leurs parents d’une situation particulière qu’ils vivent.

À titre d’exemples fictifs, imaginons les cas suivants. Félix est un jeune de 16 ans, victime de profilage racial par les services de police dans son quartier. Myriam, est une adolescente de 14 ans qui se fait harceler à la maison des jeunes qu’elle fréquente parce qu’elle porte le voile. Tanya, 13 ans, est une jeune transgenre qui vit du harcèlement psychologique dans un camp de vacances. Quels sont les recours de Félix, Myriam et Tanya si leurs parents n’entreprennent pas de démarches au nom de leur enfant?

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) reçoit les plaintes liées à la discrimination ou le harcèlement pour différents motifs prévus à la Charte des droits et libertés de la personne, tels que la race, la couleur, le sexe, l’identité de genre, l’âge et la religion. Toutefois, cet organisme n’acceptera pas la plainte d’un enfant ni n’entamera de procédures au Tribunal des droits de la personne sans l’accord de ses parents. Qu’en est-il donc des jeunes victimes de discrimination ou de harcèlement comme Félix, Myriam ou Tanya? Ces jeunes n’ont pas de réels recours — en l’absence du soutien parental — afin de faire valoir leur droit à l’égalité, pierre angulaire de la charte québécoise.

Comment le nouveau Commissaire au bien-être et aux droits des enfants (le Commissaire) institué par le projet de loi 37 viendra-t-il en aide à ces enfants? Bien que la promotion du respect des droits de l’enfant soit au cœur du rôle du Commissaire, le projet de loi ne crée pas un système indépendant de plainte au bénéfice des enfants. En ce qui concerne la défense des droits, les fonctions du Commissaire se limiteront à « soutenir les enfants dans l’exercice de leurs droits » et « les accompagner dans leurs démarches ». Le projet de loi ne pallie pas l’absence de recours pour des enfants comme Félix, Myriam et Tanya.

À cet égard, il est important de rappeler que les enfants sont des sujets de droit à part entière qui bénéficient autant que les adultes de la protection accordée par la Charte.

Or, si les adultes possèdent différentes options afin de faire valoir leurs droits et obtenir des réparations, il en est autrement des enfants, qui ne possèdent pas la capacité d’introduire seuls des demandes en justice.

Dans ce contexte, une analyse de l’utilité et l’efficacité des recours actuellement offerts aux enfants dans la défense de leurs droits s’impose, afin notamment que le Commissaire puisse pleinement soutenir et accompagner ces derniers. Sans recours utiles, les droits des enfants sont illusoires et ne leur offrent aucune réelle protection. Espérons que le projet de loi sera accompagné d’une réflexion plus profonde quant aux recours existants qui s’adressent aux enfants afin qu’ils puissent pleinement faire valoir leurs droits.

Par ailleurs, les jeunes connaissent mal leurs droits et peuvent se laisser facilement dissuader par le caractère formel et complexe des plaintes administratives. À titre d’exemple, bien qu’un enfant puisse soumettre seul une demande à la CDPDJ en cas de violation de ses droits prévus à la Loi sur la protection de la jeunesse — contrairement à ce qui est prévu en matière de discrimination ou harcèlement interdit par la Charte — seulement 11 demandes provenaient d’enfants en 2022-2023, soit 2% de l’ensemble des plaintes reçues par la Direction des enquêtes en jeunesse.

Plus de 42 000 enfants étaient pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse cette même année, ce qui soulève de sérieuses questions quant à l’exercice du mandat actuel de la CDPDJ de les informer de leurs droits. Les articles récemment publiés dans La Presse au sujet de l’usage illégal des salles d’isolement dans les centres de réadaptation illustrent bien l’importance pour les enfants de connaître leurs droits et de faire des plaintes lorsqu’ils ne sont pas respectés1.

Ces chiffres désolants démontrent le rôle important que doit jouer le Commissaire en rejoignant efficacement les jeunes, incluant ceux pris en charge par le système de protection de la jeunesse, en les éduquant sur les lois et en leur offrant un réel accompagnement dans la mise en œuvre de leurs droits. Autrement, le Commissaire n’aura qu’un rôle symbolique plutôt qu’effectif dans la défense des droits des enfants.

1. Lisez le dossier «Des "tannants" en retrait dans des cellules», d'Ariane Lacoursière et Caroline Touzin= Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue