« Le soleil est le meilleur désinfectant. » La phrase est célèbre et elle vient d’un illustre juge de la Cour suprême des États-Unis, Louis Brandeis, au siècle dernier. Et en homme de son temps, il ajoutait : « Et la lumière électrique est le meilleur des policiers. »

Cela veut dire qu’il faut, le plus possible, que les grandes décisions soient discutées en public et que le secret est l’ennemi de la bonne gouvernance.

Cela a donné lieu, chez nos voisins du Sud, à une série de lois dites « Sunshine Laws », qui font en sorte que les réunions, que ce soit d’un comité du conseil municipal, de la commission scolaire ou des législatures, doivent se tenir en public, sauf rares exceptions strictement balisées.

Alors, que dirait le sage juge Brandeis en voyant le gouvernement du Québec faire tout pour qu’on en sache le moins possible à propos du projet Northvolt ? Ou des plans de développement d’Hydro-Québec ?

On peut comprendre qu’il puisse être nécessaire de ne pas tout révéler à tout le monde, y compris aux concurrents, des projets d’une entreprise. Mais pas au point de l’obsession du secret qui sévit au gouvernement du Québec dans tout ce qui entoure le dossier Northvolt.

La question n’est pas de savoir si Northvolt apporte un bon projet au Québec ou si Northvolt est, ou n’est pas, une bonne entreprise citoyenne, un bon « citoyen corporatif ». Le problème, c’est le secret et l’opacité.

Ainsi, on a noté la coïncidence troublante d’une modification aux normes pour la tenue d’une consultation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) deux semaines après une rencontre entre le président de Northvolt et le ministre Pierre Fitzgibbon. Le ministre affirme qu’il n’y a aucun lien entre les deux évènements. Mais pour tout citoyen qui s’informe, ça ressemble à un changement fait sur mesure pour satisfaire les promoteurs. Ce qui crée un malaise pour beaucoup de gens.

De même, des questions se posent sur les sols contaminés du site retenu – le terrain d’une ancienne usine d’explosifs – et sur les risques que cela pourrait poser pour la rivière Richelieu. Ou sur « l’accompagnement » des fonctionnaires québécois à Northvolt dans les mois qui ont précédé le dépôt officiel du projet. On veut bien croire que cela fait partie de leurs tâches habituelles, mais disons que ça ne fait pas partie du service normal (et normé) offert à tous.

Encore une fois, tout cela ne veut pas dire que Northvolt est un mauvais projet ou qu’il faille le rejeter. Mais il manque un bon coup de lumière. Comme dans « sunshine » sur l’ensemble du projet. Or, il y a justement un organisme dont c’est le mandat de faire la lumière et il s’appelle le BAPE.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Des manifestants ont réclamé une consultation du BAPE sur le projet de Northvolt le 4 février.

En fait, il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement est incapable de renverser sa logique obscurantiste pour se rendre compte que le BAPE est son meilleur allié dans ce dossier.

Selon le ministre Pierre Fitzgibbon, il s’est dit toutes sortes de faussetés de la part de militants pour l’environnement ou de « journalistes militants »1. Admettons pour les fins de la discussion que ce soit le cas. Le meilleur moyen de contrer ces fausses informations est de dire la vérité, en public, dans un cadre et des règles connus de tous. Au Québec, ça s’appelle des audiences publiques du BAPE.

Mais le gouvernement a une sorte d’obsession du secret dans ce dossier. Comme si un retard de quelques semaines allait tout mettre en péril.

Pourtant, avec un rapport favorable du BAPE, Northvolt deviendrait le projet du Québec tout entier. Un projet qui a été vérifié et validé par une autorité compétente. Ce serait un avantage important autant pour le promoteur que pour le gouvernement.

Nous sommes dans un pays où la justice se rend en public. On a vu la levée de boucliers quand on a appris, il y a quelques mois, l’existence d’un procès tenu en secret. Ce devrait être aussi le cas pour des évaluations de grands projets : la transparence devrait être la norme et pas l’exception.

Sinon, dans un tel dossier, ce qui restera toujours aussi troublant, c’est l’attitude du gouvernement lui-même. On dirait qu’il est tellement heureux d’être « dans la parade » d’une technologie de pointe qu’il est prêt à tourner les coins ronds et à prendre tous les risques – y compris financiers. Northvolt profitera d’une aide qui, tous gouvernements confondus, pourrait dépasser les 7 milliards de dollars.

Dans les circonstances, difficile de savoir si les fonds publics sont bien investis tant il est clair que le gouvernement a déjà fait son lit et s’est rangé dès le départ du côté de Northvolt.

Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement du Québec – tous partis confondus – était très certain d’avoir investi l’argent des contribuables dans un projet gagnant… pour ensuite déchanter.

Pour prévenir une telle déconvenue, un examen public du projet pourrait se révéler la meilleure voie pour le gouvernement. Mais seulement s’il cesse de considérer le BAPE comme un ennemi.

1. Lisez la réplique « De grands projets pour notre avenir » de Pierre Fitzgibbon Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue