Le lendemain de la victoire des Chiefs au Super Bowl, l’édition papier du Journal de Montréal avait à sa une une photographie de Taylor Swift, enlaçant son amoureux au milieu du stade. On voyait des gens tout autour d’eux, certains brandissant des téléphones et des caméras, il y avait de l’électricité dans l’air, peut-être des confettis, je ne sais plus.

C’était comme une scène de film romantique, un moment idéal sorti de l’imaginaire d’une jeune fille sentimentale. Une union affichée au grand jour, le monde entier qui prend acte de sa force et de sa réalité, ça applaudit, sûrement, parce qu’un tel amour ne peut être que célébré collectivement, c’est une victoire, en fait, une victoire contre l’adversité, contre le cynisme, contre les pas fins qui ne croyaient pas en vous.

J’ai pensé, en voyant l’image : on dirait que c’est arrangé avec le gars des vues.

Est-ce que c’est arrangé pour le gars (ou l’équipe) des vues ? C’est ce que pensent certains commentateurs de droite. Je ne m’étendrai pas sur les détails de la conspiration qu’ils entrevoient, ils ont beaucoup circulé, comme tout ce qui concerne Taylor Swift. Un petit résumé pour ceux qui seraient parvenus à éviter ce tsunami médiatique : Swift, plus grande star de la planète, sort avec un des joueurs vedettes de l’équipe gagnante du Super Bowl, plus grand évènement sportif des États-Unis. Ils sont démocrates tous les deux, on le sait, dans son cas à elle parce qu’elle a soutenu Biden aux dernières élections, dans celui de son chum parce qu’il a fait une pub pour la vaccination contre la COVID.

Il n’en fallait pas plus aux commentateurs de Fox News, ces ardents défenseurs de la démocratie, pour voir là-dedans une opération orchestrée par le Pentagone afin de torpiller la campagne de Donald Trump – ils sont à un café de trop de déclarer que Swift a été créée en laboratoire par d’obscurs scientifiques communistes.

Comme ils entretiennent un rapport plutôt difficile avec la nuance et l’idée qu’une femme puisse faire quelque chose par elle-même, ils remettent en question la carrière entière de Swift, vociférant que sa popularité est démentielle et inexplicable, comme s’il n’y avait pas toujours quelque chose de sidérant et d’inexplicable dans les trajectoires des très, très grandes vedettes.

Pourquoi elle et pas d’autres ? On approche la popularité comme s’il s’agissait d’une récompense qui se mérite, alors que tout le monde sait que ce n’est pas le cas.

Là, c’est sûr qu’on est devant quelque chose de franchement phénoménal, et je ne crois pas exagérer en disant que de mon vivant, je n’ai jamais rien vu de tel. Chaque jour, depuis des semaines, je lis des articles concernant Taylor Swift, dont je ne connais pourtant que trois chansons. Je ne les cherche pas, ces articles, ils arrivent à moi, par la voie des médias traditionnels qui plus est, dans ce journal et dans les deux autres quotidiens montréalais, dans le New York Times, le Courrier international, partout.

Ils sont souvent très peu intéressants, où on se demande s’il ne devrait pas y avoir une apostrophe dans le titre de son album à venir, The Tortured Poets Department, si la municipalité de Charlemagne n’aurait pas intérêt à prendre les armes à la suite de l’affront fait à Céline, si l’activité des foules présentes à ses concerts peut être détectée par un séismographe (la réponse : oui, un peu). D’autres, quand même plus consistants, reviennent sur la conspiration et se demandent si la convergence de ces deux symboles de l’« American Dream », la belle chanteuse et l’athlète triomphant, peut avoir une réelle influence, au bout du compte, sur l’élection de novembre.

Dans les faits, peut-être que oui, un peu.

Et n’en déplaise aux gars de la Fox qui pensent avoir déterré un complot hyper mystérieux, ça ne serait certainement pas la première fois de l’histoire que des artistes auraient contribué à une victoire politique ou que, inversement, des politiques auraient instrumentalisé des artistes.

Durant la guerre froide, le Congress for Cultural Freedom, un organisme affilié à la CIA, prétendait combattre le communisme en finançant et soutenant, entre autres activités, le rayonnement de l’art américain à l’étranger. Ils auraient ainsi subventionné des expositions d’artistes expressionnistes tels que Jackson Pollock et Willem de Kooning, rien de moins. L’auteur Éric Reinhardt revient sur cet étrange épisode dans Comédie française, mais on peut facilement googler la chose, c’est très documenté, des essais ont été écrits sur le sujet.

Peut-être lirons-nous un jour des livres sur la vedette pop qui a empêché Trump de revenir au pouvoir. Peut-être pas non plus. Mais ça serait tout de même drôle, au bout du compte, qu’un tel homme finisse par être défait par un amour tout droit sorti d’un rêve de jeune fille.

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