Échange avec le porteur d’une idée qui bouscule. Notre chroniqueur se laissera-t-il convaincre ?

Montréal aimerait permettre aux bars de certains secteurs de rester ouverts toute la nuit et de servir de l’alcool à l’heure où la plupart d’entre nous préparent plutôt leur premier café.

Une « politique de la vie nocturne » vient d’être déposée à ce sujet et les consultations ont commencé cette semaine. Que cela soulève des inquiétudes est bien normal. Ce que je trouve plus étonnant, c’est que l’opposition la plus vive n’émane pas du Club des Gens Tranquilles Souhaitant se Coucher de Bonne Heure, mais bien de plusieurs propriétaires de bars eux-mêmes, comme le rapportait ma collègue Nathaëlle Morissette1.

Qu’un tenancier de bar juge qu’il n’a pas d’argent à faire en prolongeant ses heures d’ouverture ou qu’il manque d’employés pour le faire, je le comprends parfaitement. Mais l’idée de la Ville n’a jamais été d’obliger les bars à ouvrir toute la nuit !

Pourquoi ceux qui ne sont pas intéressés ne passent-ils pas simplement leur tour en laissant faire les autres ?

J’en ai parlé avec Alexandre Besnard, cofondateur d’A5 Hospitality – un groupe derrière une vingtaine d’établissements montréalais, dont le Flyjin et Apt. 200. Je l’avais entendu pourfendre la politique de la Ville au micro de Paul Arcand et je voulais comprendre.

J’ai découvert un gars volubile qui défend le last call de 3 h du matin avec ferveur.

« Ce n’est pas aux élus municipaux de changer les mœurs et les lois québécoises qui sont basées sur la santé et la sécurité publique », me lance-t-il, tenant à préciser qu’il s’exprime non seulement comme expert de l’industrie, mais surtout « en tant que simple citoyen et père de famille ».

Précisons que la Ville de Montréal n’a pas encore choisi les secteurs où la fête serait permise jusqu’au chant des oiseaux, mais souhaite que ceux-ci soient « au centre de la ville » et soient bien desservis par les transports en commun.

Certains des arguments d’Alexandre Besnard m’ont laissé pantois. C’est le cas lorsqu’il invoque le « rythme circadien » du Montréalais, qui aurait tendance à souper et à sortir plus tôt qu’un Européen et devrait donc aller se coucher plus tôt.

Il me semble que chacun devrait être libre de gérer ses biorythmes comme ça lui chante.

Alexandre Besnard est loin d’être tendre avec la politique de la vie nocturne de la Ville de Montréal, qui contient des mots comme « culture », « vitalité » ou « inclusion ». Je conviens avec lui qu’on en beurre un peu épais dans le document, mais je m’explique mal le dénigrement dont il fait preuve.

« Un DJ, c’est un dude qui joue de la musique créée par quelqu’un d’autre. Pas sûr que le Flyjin est un lieu culturel parce qu’on fait venir des DJ », dit-il.

Facile de tourner l’affaire en dérision, mais je pense qu’il existe une réelle culture autour de la musique électronique dont parle M. Besnard.

Là où mon interlocuteur amène une vraie réflexion, c’est lorsqu’il pointe le rôle de l’alcool dans la politique de la vie nocturne. Il rappelle que des établissements ouverts toute la nuit, ça existe déjà à Montréal. Et que l’engouement est loin d’être foudroyant.

« Il n’y a plus de MP3. Le Circus a fermé, le Sona aussi. Il ne reste plus que le Stereo », observe-t-il.

Selon les règles actuelles, ces établissements ne peuvent pas vendre d’alcool après 3 h du matin. Alexandre Besnard fait remarquer que c’est l’essence de ce que la Ville veut changer.

« Tout ce qui est maquillé dans le culturel se conclut avec : il faut vendre de l’alcool jusqu’à 8 h du matin sinon il n’y a pas d’argent à faire », souligne Alexandre Besnard, qui dit craindre que les établissements ne fassent la promotion de l’alcool puisque leur viabilité en dépend.

Dans sa politique, l’administration Plante insiste sur l’idée que permettre la vente d’alcool au-delà de 3 h du matin pourrait faire de Montréal une plaque tournante de la vie nocturne. Elle va jusqu’à faire miroiter des retombées annuelles supplémentaires de 676 millions de dollars si la « proportion de touristes nocturnes » à Montréal atteint celle de Berlin ou d’Amsterdam.

Convenons avec Alexandre Besnard qu’on pousse le bouchon pas mal loin ici, même s’il me semble qu’on ne perd rien à essayer de développer ce marché.

L’autre « éléphant dans la pièce », selon lui, c’est la drogue.

On va arrêter de se mentir, il n’y a personne qui danse 12 heures en ligne sur l’eau et les vitamines.

Alexandre Besnard, cofondateur d’A5 Hospitality

« Je ne suis pas le preacher dans Footloose, je ne suis pas le père de famille qui ne veut pas que sa fille écoute du rock and roll. Mais est-ce que quelqu’un pense que c’est une bonne idée de mélanger drogues et alcool ? », continue M. Besnard.

Je lui fais remarquer que dans une ville comme Paris, pour ne prendre qu’un exemple, les discothèques peuvent servir de l’alcool jusqu’à 5 h 30 du matin et fermer leurs portes à 7 h. Or, aux dernières nouvelles, la Ville Lumière n’avait pas implosé.

Je rappelle aussi à Alexandre Besnard le chaos qui survient sur certaines artères montréalaises lorsque les bars se vident tous en même temps à 3 h du matin, les fêtards éméchés se disputant la même poutine et le même taxi.

Alexandre Besnard réplique avec un contre-argument sur les dangers de la drogue du viol, plus grands selon lui avec des fermetures tardives.

« Une fille, à 2 h du matin, elle est encore avec ses 12 amies avec qui elle est sortie. À 5 h, il en reste trois et elles sont torchées », lance-t-il.

Je n’ai pas le choix de demander à Alexandre Besnard si, sous ses arguments de santé publique, ne se cache pas la crainte de voir les bars situés dans d’autres secteurs de la ville gagner un avantage concurrentiel sur les siens.

« Je ne peux pas affirmer qu’il n’y aurait aucun impact pour nous, répond-il. Mais je ne me sens pas menacé parce que je ne pense pas qu’on réponde aux mêmes besoins. Les bars et les tavernes sont des lieux de rencontres sociales. Un afterhour, ça offre une autre activité, presque sportive. Ce n’est pas le même créneau. »

Verdict

Je devine, chers lecteurs, que vous serez nombreux à vous ranger derrière les arguments d’Alexandre Besnard.

De mon côté je peine à croire qu’on court un grand danger en permettant à certains fêtards de se coucher plus tard. La Ville procède de façon graduelle et prudente.

Depuis deux ans, plusieurs établissements ont pu servir de l’alcool toute la nuit dans le cadre de projets-pilotes. Le chaos appréhendé ne s’est pas produit.

Alexandre Besnard soulève toutefois des questions intéressantes sur le rôle central que jouerait l’alcool dans la nouvelle politique de vie nocturne de Montréal. Ses inquiétudes sur la drogue du viol me semblent aussi légitimes, même s’il est convenu que l’ouverture prolongée des bars s’accompagnerait d’une sensibilisation des acteurs de la nuit.

1. Lisez notre article « Bars ouverts toute la nuit : des propriétaires disent non merci » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue