Montréal, ville festive ? Oui, mais peut-être pas 24 heures sur 24, laissent entendre les propriétaires de bars interrogés, peu enthousiasmés par le projet de la Ville qui leur permettrait d’ouvrir toute la nuit dans certains secteurs de Montréal. Une initiative « peu payante », selon eux, qui ouvrirait la porte aux abus.

« Je ne trouve pas que c’est une bonne idée. Culturellement au Québec, on mange tôt, on sort tôt et on fait le party jusqu’à 3 h, lance d’emblée Nazim Tedjini, propriétaire de La Voûte, bar situé dans le Vieux-Montréal. En Europe, les gens vont manger beaucoup plus tard, vont sortir beaucoup plus tard. Ils font juste décaler les heures de fréquentation. »

La Politique de la vie nocturne fera l’objet d’une consultation publique la semaine prochaine. « Montréal est une ville festive, reconnue pour sa vitalité nocturne et créative, ici comme ailleurs, a déclaré Luc Rabouin, président du comité exécutif et responsable du développement économique et commercial par intérim, dans un communiqué publié à la fin janvier. L’expérience d’autres grandes villes à travers le monde démontre que la vie nocturne offre un important levier de vitalité économique, culturelle et touristique. »

« Le projet de Politique de la vie nocturne est le fruit d’un travail rigoureux et d’expérimentations grâce à plusieurs projets pilotes qui ont permis à la Ville d’identifier les meilleures occasions pour Montréal en matière d’économie de la nuit », peut-on également lire.

Les quartiers appelés « zones de vitalité nocturne », où les heures d’ouverture seraient prolongées, n’ont pas encore été identifiés.

Or, si l’on s’attendait à ce que les tenanciers de bars applaudissent l’idée, la réalité est tout autre. Peu convaincus que ces heures supplémentaires seraient véritablement « payantes », ils appréhendent une augmentation des problèmes d’abus d’alcool et de sécurité pour les clients ainsi que pour les employés, dont bon nombre risquent fort de rechigner à l’idée de finir de travailler au moment où les gens s’apprêtent à déjeuner. Le bruit généré par les fêtards au petit matin compte également parmi les inquiétudes soulevées.

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Certains tenanciers de bars appréhendent une augmentation des problèmes d’abus d’alcool et de sécurité avec l’ouverture possible des bars toute la nuit.

« C’est une porte ouverte pour l’abus d’alcool et d’autres abus, ajoute le propriétaire de La Voûte. On le voit souvent quand on ferme à 4 h à cause du changement d’heure. La dernière heure n’est pas forcément payante et il y a plus de problèmes qui surviennent. »

« Quand il y a des projets pilotes, ce qui se passe c’est que tous les sorteux de la ville se retrouvent en même temps, dans un quartier donné, qui n’a pas nécessairement la capacité d’accueil pour un gros volume de clients », souligne-t-il également. Il craint que l’histoire se répète dans les secteurs de la ville qui seront ciblés par la Politique.

Au cours des derniers jours, Nazim Tedjini a parlé à une dizaine de tenanciers de bars. Ils étaient unanimes : « Il n’y en a pas un qui saute au plafond. »

Du côté de la Nouvelle association des bars du Québec (NABQ), qui compte quelque 150 membres, le président Pierre Thibault reconnaît aussi que le projet provoque « plus de résistance que d’acceptation ».

« Est-ce que la clientèle à cette heure-là, c’est une clientèle désirable ou indésirable ? demande M. Thibault, qui se questionne sur le niveau d’intoxication des noctambules. Est-ce que ce sont juste les éternels “pas couchables” qui vont se ramasser là ? Est-ce que ça va déplacer l’itinérance de nuit autour des établissements ? »

Celui qui est également copropriétaire de la Taverne Saint-Sacrement sur le Plateau Mont-Royal s’interroge sur la disponibilité des effectifs policiers appelés à intervenir. Il croit également que les employés, surtout les portiers, devraient être formés pour faire face aux couche-tard.

« Ça reste un projet exploratoire dans lequel on n’a pas été impliqués », souligne-t-il.

Chose certaine, si son quartier comptait parmi les « zones de vitalité nocturnes », M. Thibault n’envisagerait pas de continuer à servir de la bière après 3 h du matin. « À la Taverne Saint-Sacrement, on a déjà un équilibre qui est sain. On ne voudrait pas le fragiliser. »

Un levier économique ?

Plus au sud, dans le Quartier latin, le propriétaire de la brasserie Saint-Bock, Martin Guimond, trouve l’idée « bonne » sur papier, mais difficile à envisager dans la réalité.

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Martin Guimond, propriétaire de la brasserie Saint-Bock

C’est que, en ce moment, les employés et les clients sont difficiles à trouver. « Avant la pandémie, on ouvrait à midi et on fermait à 3 h du matin en poussant presque les gens à l’extérieur. On allumait les lumières », raconte-t-il.

Aujourd’hui, j’ouvre à 16 h et à 22 h, je ferme parce qu’il n’y a plus personne. Je ne vais pas rester ouvert 24 h à attendre des clients qui ne viendront jamais.

Martin Guimond, propriétaire de la brasserie Saint-Bock

« Si on me demande, est-ce que demain matin je voudrais ouvrir pendant 24 h, la réponse, c’est non, dit-il. C’est proposé comme un tremplin économique. Je suis très sceptique. C’est comme si on disait que les bars allaient relancer l’économie. J’ai de gros doutes. »