Le développement du numérique comme outil de communication impose une profonde transformation à toute l’industrie culturelle à un point tel qu’il menace, partout dans le monde, la diversité. Le numérique, c’est la culture américaine qui s’abreuve de potion magique. Elle nous semble dorénavant invincible.

Le rapport intitulé La souveraineté culturelle du Québec à l’ère du numérique, publié mercredi, offre des réponses, parfois audacieuses, à la menace américaine.

Le rapport réaffirme tout d’abord ce qui a longtemps été nié par les géants du web : les compétences gouvernementales dans le monde réel s’appliquent également dans le monde virtuel. Pour donner prise au gouvernement sur ce qui s’y passe, les experts proposent de faire de la découvrabilité⁠1, en quelque sorte, un droit d’accès à sa propre culture.

Le comité propose donc d’inscrire, dans la Charte québécoise des droits et libertés, un « droit à la découvrabilité des contenus culturels d’expression française ». L’État ainsi que les entreprises privées qui restreignent déraisonnablement l’accès au contenu culturel d’expression originale française y seraient assujettis. Ils auraient une obligation de résultat (de rendre découvrables les productions en français), mais les moyens d’y parvenir ne seraient pas définis, ce qui permet de tenir compte des évolutions technologiques à venir. Audacieux. C’est là une vraie défense de la diversité du monde.

Autre innovation : les experts proposent d’exiger la découvrabilité des œuvres originales de langue française, plutôt qu’uniquement celle des œuvres produites localement, comme entend le faire le fédéral.

En effet, avec l’adoption du projet de loi C-11 portant sur une Charte numérique, le fédéral a plutôt choisi de protéger ce qui est produit localement, par des gens locaux, peu importe le contenu et la langue. C’est une méthode qui a son intérêt, mais qui mène à des absurdités comme la classification par Netflix de Hell on Wheels comme « série télé canadienne » alors que c’est un western américain, joué par des acteurs américains, portant sur l’épopée américaine des chemins de fer… filmé en Alberta et dont une des maisons de production était de Toronto. Difficile de faire plus « postnational ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’idée de favoriser les contenus culturels d’expression française plutôt que les produits locaux uniquement est excellente pour le Québec, écrit l’auteur.

L’idée de favoriser les contenus culturels d’expression française plutôt que les produits locaux uniquement est excellente pour le Québec, mais également pour les francophones hors Québec et pour la francophonie. C’est une main tendue vers le monde.

Comment, techniquement, peut-on favoriser la découvrabilité des œuvres originales de langue française ? Le rapport propose plusieurs moyens, dont celui d’imposer des quotas aux plateformes. L’Europe le fait déjà dans le domaine des médias audiovisuels, en établissant un seuil minimal de 30 % d’œuvres européennes dans le catalogue des plateformes. Certains pays vont plus loin : la France impose un seuil de 60 % pour les œuvres européennes et de 40 % pour les œuvres originales en français. L’Espagne va même jusqu’à exiger des pourcentages de présence pour les langues régionales (Catalogne, Galice, Pays basque).

Le Québec est, depuis longtemps, actif à l’échelle internationale pour favoriser la diversité des expressions culturelles et la souveraineté culturelle des nations. Un des grands succès de sa diplomatie a été l’adoption du principe de l’exception culturelle et son inclusion dans des ententes internationales, notamment des ententes de libre-échange. Le même type de bataille doit être mené pour que des normes communes de mise en valeur de la diversité des langues soient imposées aux plateformes numériques. L’effort diplomatique nécessaire sera considérable, mais comme l’a démontré l’adoption par l’UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, rien n’est impossible.

Dans ce dossier, le partenariat Canada-Québec sera essentiel. Le Canada doit conclure des accords commerciaux qui contiennent une exemption culturelle. Si le Canada ne le fait pas, les efforts du Québec ne pèseront pas lourd.

Le comité propose donc une entente Canada-Québec pour coordonner les actions des deux gouvernements et pour élaborer le nouveau cadre réglementaire qui découlera de la Charte du numérique (C-11) adoptée par Ottawa. Ce sera tout un test pour la ministre du Patrimoine à Ottawa, Pascale St-Onge, qui n’est pas portée sur le fédéralisme coopératif.

Le Canada a toujours refusé de reconnaître que le gouvernement du Québec est le meilleur juge de l’état de sa culture, le meilleur pour déterminer quelles sont les actions à entreprendre pour la préserver et le seul représentant de la nation québécoise. Les actions proposées dans ce rapport donnent au gouvernement fédéral une belle occasion de corriger sa vision coloniale du Québec.

Ce sont les langues et les cultures qui sont les sources premières, les fondements de la diversité du monde. Dans l’univers numérique comme dans la vie de tous les jours, elles doivent être protégées. Ce rapport permet de voir qu’il est possible de le faire, ce rapport nous rappelle que le numérique est invaincu, mais non pas invincible.

1. Définition de l’OQLF : potentiel pour un contenu, offert en ligne, d’être aisément découvert par des internautes dans le cyberespace, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question.

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